Colombie, le pays des deux Prix Nobel : celui de l’ignorance et celui de la mort

Gabriel Garcia Marquez

Gabriel Garcia Marquez

Le samedi 10 décembre 2016, le Prix Nobel de la Paix (sic) a été remis à Juan Manuel Santos, 34 ans après que le Prix Nobel de Littérature eut été décerné à Gabriel García Márquez. Nous sommes ainsi devenus le pays des deux Nobel, il devrait en découler que ces deux lauréats influent ou influeront, sur la société colombienne,  faisant d’elle une société plus cultivée (grâce à la lecture et l’écriture) et plus pacifique. Malheureusement, la réalité ne ressemble en rien à cette présomption, et au contraire, nous sommes le pays de l’ignorance et de la mort, comme nous le montrons dans cet article.

Cette pseudo-aristocratie colombienne génère de la violence depuis l’école primaire car elle organise l’éducation en fonction des classes sociales : les riches étudient dans les écoles haut de gamme, les pauvres à l’école publique ou dans des collèges privés de très mauvaise qualité. C’est là que l’on trouve le substrat de la violence colombienne. On crée dès le début dans la société une attitude de rivalité et non de solidarité, et cela s’accentue à l’université […] L’université privée colombienne assure des profits à ses patrons, mais donne à ses élèves être une formation criminelle parce que l’ignorance qu’elle promeut de ce qui est élémentaire dans notre histoire est incroyable.
— Rafael Gutiérrez Girardot, “Le parti libéral : c’est un mensonge qui est en crise permanente″  (Entretien), Revue Babel, N° 11, mai- décembre 2009

Ignorance et analphabétisme dans le Macondo du Nobel de littérature

Lorsque Gabriel García Márquez a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1982 on aurait pu s’attendre à ce que cette reconnaissance, par ailleurs méritée, spécialement pour ce bijou qu’est Cent ans de solitude, transforme la Colombie en un pays de lecteurs. 35 ans après, on peut dire rétrospectivement   que cela ne s’est pas produit,  et aujourd’hui en Colombie, on lit moins que quand Gabo a obtenu le Nobel. C’est le premier point, le second réside dans le fait que de surcroît, l’ignorance règne dans la société colombienne. Ces deux aspects méritent d’être analysés avec soin.

Presque personne ne lit à Macondo

Il y a beaucoup de gens qui diront  que l’on trouve dans le crime et dans l’absence d’État  une possibilité pour gagner de l’argent plus rapidement. Le Colombien ne rêve pas de posséder une grande bibliothèque, mais de gagner quelques sous pour sortir rapidement dans la rue pour demander au premier interlocuteur  qu’il rencontrera : « Ne savez-vous pas  qui je suis ?
— Alberto Salcedo Ramos,” Los colombianos leen poco, prestado y regalado, [Les Colombiens lisent peu, prêté et offert]

En Colombie, on lit très peu et  il y a chaque fois moins de lecteurs, comme le montrent diverses études. D’après le Centre Régional pour la Promotion du Livre en Amérique Latine et les Caraïbes (CERLAC), 67% des Colombiens ne lisent jamais (sauf sur leur détestable portable),  deux sur dix achètent 1.6 livres par an.  Une enquête culturelle du DANE [Département administratif national des statistiques] de décembre 2014 révèle que moins de la moitié de la population de plus de 12 ans (48%) a déclaré avoir lu un livre et cette même enquête a établi qu’entre 2010 et 2014, la lecture a diminué de 7%. On note que les Colombiens lisent en moyenne entre 1.9 et 2.2 livres par an (1).

Le peu qui est lu est d’une qualité littéraire douteuse et de faible sens critique : en effet la consommation de littérature qui prédomine concerne la littérature de l’estime de soi, du dépassement de soi, de l’attitude positive, ou la littérature d’astrologie.

On lit même davantage de magazines que de livres, magazines parmi lesquels se détachent ceux consacrés aux potins du showbiz et de la jet set. De façon laconique, on peut dire que le peu qui est lu en Colombien’est que de la pure connerie. À ce sujet, un commentateur précise : «  il suffit de dire que 15 minutos, le pire magazine imprimé dans l’histoire de l‘humanité, celui à cause duquel Gutenberg se retourne dans sa tombe, est le deuxième le plus lu en Colombie. »  Parmi les magazines qui sont lus, le showbiz explose, étant donné que les magazines de potins occupent la première place. Ainsi, «  le magazine Tv y Novelas, [Télé et feuilletons] standard de la colombianité, occupe la première place dans les statistiques  et de loin.  […] Or, même s’il l’emporte de beaucoup, il n’est pas le seul : six autres magazines de fariboles et autres stupiditésse trouvent aux dix premières places : 15 minutosVeaCaras, Jet Set et Gente y actualidad ” (2). Chez les Colombiens, la lecture des revues politiques n’occupe pas une place importante,  puisque seules les revues  Semana  et  Credencial  sont mentionnées dans l’enquête en question. Parmi les revues dites « culturelles »,  SOHO est la plus consommée, ce qui est en rapport direct avec son contenu et, surtout en rapport avec sa présentation formelle, qui offre une pléthore de couvertures et de photos de femmes nues exhibant leurs seins protubérants.

Ceci a conduit le commentateur à s’interroger: “Que se passerait-il si toutes les revues décidaient de mettre des seins dans chacune de leurs éditions?”  Il est presque certain que le nombre de lecteurs exploserait, il serait plus exact de dire de voyeurs.  Sur la base des données antérieures, il n’est pas difficile de conclure que plus de 90% des Colombiens continuent d’être fonctionnellement analphabètes.

Dans ce pays, ni les riches ni les pauvres ne lisent, ni les gens de droite ni les gens de gauche, ni les étudiants universitaires ni leurs professeurs.  À propos de ces dernières données fournies par Colciencias [organisme responsable de la recherche en sciences et technologie en Colombie] en 2012, elles sontcatégoriques : 82% des étudiants universitaires ne lisent que leurs notes de cours et 80% d’entre eux  n’a comme matériel de lecture que les textes fournis par le professeur (ou plutôt les photocopies de ces livres) (3). Ils sont révolus les temps, qui semblent bien éloignés,  où les membres des classes dominantes lisaient et écrivaient- au point qu’une fois on a créé le mythe de l’ ″Athènes sud-américaine″ pour parler de Bogota. De cela, rien ne subsiste,  vu qu’aujourd’hui ce qui est normal au sein de ces classes dominantes, qui ont les moyens, le temps et les conditions pour lire et étudier, c’est l’ignorance, peu importe qu’un grand nombre de ces individus parlent anglais ou qu’ils soient polyglottes. En effet, beaucoup d’entre eux sont des analphabètes  polyglottes. 

Il existe de nombreuses raisons qui expliquent pourquoi, en Colombie, l’habitude de lire n’existe pas. Il y a les motifs économiques, en général en effet les livres sont onéreux par rapport au revenu moyen des Colombiens très pauvres qui préfèrent investir dans un téléphone portable, ou dans le dernier appareil électronique plutôt que dans un livre, même si ces engins sont coûteux et qu’il faille s’endetter pour les acheter. Selon le Département National de Statistiques (DANE) il est faux de dire que les gens ne lisent pas par manque d’argent pour acheter des livres, étant donné que 55% ne le font pas, tout simplement parce que cela ne les intéresse pas. D’après le même DANE, journaux, revues, livres et matériel imprimé ne représentent même pas 1% des dépenses d’un Colombien (4). On serait en droit d’espérer que dans un pays où l’on parle tellement de paix et qui veut devenir le pays le mieux éduqué d’Amérique Latine pour 2025 (comme le dit de façon démagogique l’actuel président de la République), on encourage la lecture et que les bibliothèques seront pleines à craquer et qu’on lira et débattra dans les Universités de sujets d’actualité, véritablement importants, sur la Colombie et le monde et non pas des stupidités sur les ragots du football et du showbiz. Le nombre de lecteurs diminue, et cela entraîne nombre de fermetures de librairies et de bibliothèques, alors que le nombre de bistrots augmente.

Pour un pays qui rêve d’obtenir la paix, il est extrêmement grave que les espaces que perdent les bibliothèques soient récupérés pour ouvrirdes bistrots. Alors que les indices de vente de livres diminuent sur tout le territoire national et que les visites aux librairies sont en chute libre, le nombre d’entreprises de mise en bouteille des boissons alcoolisées a doublé lors des dernières années. Selon un article du 4 septembre 2012 publié dans Portafolio,  “Bavaria  a fait état […]  au cours de la réunion de ses actionnaires, de ventes nettes renforcées au premier semestre de l’année pour 2,25 milliards de pesos, avec une augmentation de 8,4% par rapport à la même période de 2011, lorsqu’elles ont totalisé 2,07 milliards de pesos”5.

Il y a d’autres raisons de fond, parmi elles une des plus importantes est en lien avec la culture traqueta (terme utilisé par les tueurs à gages du trafic de drogue et paramilitaires à Medellin, qui rappelle le son caractéristique de la mitraillette et qui par extension  caractérise une culture mafieuse où l’argent justifie tout, NdT]  qui s’est imposée dans le pays dans toutes les strates de la société et dans toutes les classes. Dans cette culture traqueta, le moins important c’est la lecture, bien que les  traquetos classiques –style Pablo Escobar- aiment se vanter de posséder des livres. “En Colombie, il y a des légendes selon lesquelles les mafieux des cartels de la drogue achetaient les libres selon de la couleur des couvertures pour les utiliser comme objets décoratifs. ‘J’ai besoin de deux mètres de livres rouges’, disaient-ils (6). On pourrait dire qu’il s’agit là des habitudes des mafieux, mais ce modèle s’est imposé chez les politiciens, journalistes et toute autre sorte de professionnels en Colombie.  Le cas des journalistes est proverbial, si l’on suppose que cette profession recourt à  la lecture, mais c’est une vaine prétention, comme on peut le constater à n’importe quel moment en regardant le journal télévisé, en lisant un journal ou en écoutant un programme à la radio. A ce sujet, l’écrivain mexicain Juan Villoro, qui fut invité il y a quelques années au lancement d’un master en journalisme à l’Université du Rosario, dit aux participants : ″ Ainsi donc, jeunes gens, l’unique conseil que je peux vous donner, c’est de lire, sinon vous finirez journalistes (7)″.

Si on faisait des recherches sur les habitudes de lecture des présidents, des gouverneurs, des maires, des parlementaires, on ne serait pas surpris que la plupart d’entre eux n’aient jamais lu un livre complet dans leur vie, comme le dénote la profondeur qui émane de leurs tweets ou de leurs comptes Facebook, constituant un véritable attentat à la raison, par les stupidités qu’ils distillent, comme l’illustrent si bien, pour ne citer qu’un seul cas, les tweets des parlementaires du Centre (Anti) Démocratique.

D’autre part, le plus symptomatique, c’est qu’en Colombie, on lit peu Gabriel García Márquez. À notre connaissance, il n’existe pas de chaires universitaires qui portent son nom qui permettraient d’impulser la lecture de son œuvre, quelque chose digne d’être mentionné. Certes, il y a pourtant des universités dans lesquelles existent ou ont existé des chaires portant les noms de Diana Turbay Quintero (Université de district, institution publique) ou celui de César Pérez García (Université Coopérative de Colombie). La première est la fille d’un homme politique libéral, et Président de la République, Julio César Turbay Ayala (1978-1982), qui a été séquestrée et assassinée par les narcos, et sur la vie de laquelle Gabriel García Márquez a écrit un livre, parmi d’autres, un de ses textes les plus insipides. Indépendamment de sa mort tragique, cette dame n’a rien apporté de significatif à la culture colombienne, qui justifie de donner son nom à une chaire universitaire. Le cas le plus honteux, et significatif de la culture mafieuse qui s’est imposée en Colombie, c’est celui de la chaire César Pérez García, un politicien libéral qui est en prison et qui a été condamné à 20 ans parce qu’il était l’organisateur et le planificateur du massacre de Segovia (novembre 1988) lorsque 43 personnes sympathisantes de l’Union Patriotique ont été tuées par des assassins paramilitaires. Pérez García en plus est le patron de l’Université Coopérative de Colombie., dont il a été le président plusieurs lustres. Mais il y a encore pire :

César Pérez García est aussi déchu pour quinze ans de ses droits d’exercice de fonctions publiques. Le bureau du Procureur général l’a sanctionné pour viol du régime des habilitations quand il s’est présenté à l’élection, a été élu et a occupé le poste de député à l’Assemblée d’Antioquia pour la période 2008-2011, même s’il avait perdu l’investiture en tant que membre du congrès le 20 janvier 1994. Il a aussi été condamné à 9 ans de prison pour avoir établi indûment des contrats, pour détournement de fonds et usage de faux dans un document public, pour des faits survenus lorsqu’il a exercé comme Président de l’Assemblée en 19988.

Pour un personnage avec un tel passif, dans le « centre d’éducation supérieur » cité, on a pourtant créé la chaire ouverte d’ingénierie César Pérez García. Elle porte son nom en hommage à un individu pourtant objet d’une condamnation. À ce sujet, sur la page web de l’Université Coopérative apparaissait une annonce, que l’on peut considérer comme une véritable apologie du crime et une incroyable démonstration de cynisme et de sans gêne, qui parle d’elle-même :

La Faculté d’Ingénierie du siège de Medellin, a fêté dans son département situé dans le secteur de Buenos Aires le traditionnel jour de l’Ingénieur. […] l’événement central de la célébration a été le lancement de la Chaire Ouverte d’Ingénierie “César Pérez García” par la Directrice Académique du siège Medellin,  Ligia González Betancur. Au cours de l’intervention, elle a mentionné les débuts de l’Université et le rôle joué par le docteur Pérez García au cours des premières années dans la consolidation de l’institution.De la même façon, elle a mentionné ses qualités personnelles et professionnelles. La chaire ouverte se constitue comme un espace d’appropriation de la connaissance scientifique, technologique et entrepreneuriale sur des aspects relatifs à l’ingénierie d’ordre ingénieurial. On la dénomme ouverte parce qu’elle accueillera des personnes intéressées de tous les secteurs de la société. Elle cherche en interne à ce que les étudiants parviennent à identifier des aspects académiques propres à leur formation, mis en rapport avec les meilleures pratiques et développements actuels qui sont conçus dans des groupes de recherche, des entreprises et des organisations nationales et internationales (9).

Comme la Colombie est le royaume de l’insolite- et García Márquez l’a clairement mentionné dans son œuvre- il n’est pas étonnant qu’il y ait plus de maisons d’éditions que de librairies. D’après CERLAC [Centre de recherche interdisciplinaire et multidisciplinaire sur l'Amérique latine et les Caraïbes] dans le pays il existe 340 éditeurs formels, alors que dans le même temps  dans tout le pays et en forçant un peu les chiffres, il n’existe que 200 librairies. Le sujet est tellement insolite que l’industrie éditoriale colombienne est reconnue comme une des plus puissantes d’Amérique Latine, en même temps que le Colombien moyen apparaît comme un des pires lecteurs du monde, avec un indice qui dépasse à peine un« demi –livre » par an. Une grande partie de cette production éditoriale part sur le marché extérieur faute de lecteurs en Colombie (10).

Ignorance et éducation traqueta

La lecture n’est qu’un indicateur mis en avant parce que l’on établit un lien entre le  Prix Nobel de Littérature et les habitudes de lecture et d’écriture, et l’on pourrait espérer qu’en Colombie ces dernières aient été améliorées sensiblement après l’obtention du prix mentionné par  Gabriel García Márquez. L’autre indicateur est celui de l’éducation, qui est plus général, et pour lequel la Colombie a connu une régression notable ces dernières décennies.  Cette régression est associée à la crise de l’éducation publique à tous les niveaux, plus dramatiques dans l’enseignement primaire et secondaire. C’est une stratégie à long terme des classes dominantes et de l’État, dont le résultat a été le renforcement d’une éducation privée, coûteuse et de classe, qui a généré une fracture sociale claire et la construction de ghettos éducatifs pour les riches.

L’objectif est clair: pour conserver les niveaux d’inégalité  qui caractérisent la société colombienne, rien de mieux que d’empêcher l’accès à une éducation digne et complète, et de maintenir dans l’ignorance la plus grande partie de la population. Et ils ont réussi, étant donné que malgré les niveaux de scolarisation qui ont augmenté, l’ignorance s’est étendue comme une peste dans les secteurs populaires.  El Tiempo le note comme si de rien n’était. : "1,2 millions d’enfants ne vont pas au collège, ou parce qu’on a besoin d’eux pour les faire travailler,  ou à cause de la violence ou par manque de ressources économiques" (11). C’est de cela qu’il s’agit, nous maintenir prisonniers d’un double esclavage : celui du corps et celui de l’esprit. Avec le premier, on assure la reproduction physique du capitalisme à la colombienne, avec le second on amène les Colombiens pauvres à  adorer leurs maîtres et à idolâtrer les chaînes qui en font des êtres soumis.

On ne manque pas d’exemples sur l’ignorance qui prédomine en Colombie et qui  s’impose en plus comme s’il y avait là un grand mérite  et comme quelque chose qui rapporte de grands profits. A titre d’exemple : prenons le cas du « chanteur » de reggaeton Juan Luis Londoño, alias Maluma, qui vient de sortir une chanson, accompagnée d’une vidéo, sous le titre de  “Cuatro Babys” avec une tendance machiste exacerbée, véritable apologie de la violence contre les femmes. Parmi les réflexions  « profondes », d’un haut niveau intellectuel, transmises par la chanson, on trouve celles-ci :

La première désespère, elle s'énerve si je gicle en dehors. La seconde a une capote et elle me paye pour que je la lui mette. La troisième m'enlève le stress, coup sur coup, on en tire toujours trois. Au premier coup, je la fais planer, mais elle veut le faire avec Maluma et moi en même temps. (…)
Différentes nationalités mais quand elles baisent, elles crient toutes pareil. Elle veut que je l’emmène à Medallo (Medellin), elle veut que je la fasse monter dans la bagnole dernier modèle. Et les deux autres je les baise d’un coup aux chiottes (12).

Ce personnage dont le niveau intellectuel se reflète dans les paroles citées, a été catalogué comme le Meilleur Artiste Latino-Américain aux Europe Music Awards 2016 de MTV,   ce qui indique que l’ignorance traqueta et bien de chez nous  s’exporte maintenant. On présente cet individu à la jeunesse colombienne comme une référence, un modèle qu’il faut imiter. Son niveau intellectuel et culturel est semblable à celui de n’importe quel sicario [tueur à gages], ce que démontre sa conception particulière de la femme. Avec des tels exemples et des telles références on ne peut pas être surpris de constater  que le féminicide avance en Colombie, où quotidiennement des femmes sont assassinées, violées, maltraitées (plus particulièrement des femmes pauvres) , comme ce fut le cas pour la petite Yuliana Andrea Sambony.

Maluma, qui comptabilise 40 millions de fans sur les “réseaux sociaux”, est un ignorant prétentieux ; en réponses aux critiques reçues à cause de sa misogynie, il s’est comparé à Jésus-Christ : «  Pour une chose ou une autre, on va toujours te juger, fais seulement ce que ton cœur te dicte, ce qui te rend heureux.  Si on a parlé de Jésus-Christ, pourquoi être surpris lorsque l’on parle de toi ? ». Bien évidemment, le féminicide  sort du cœur des ignorants, comme le montrent les souvenirs que l’on vend dans les villages d’Antioquia (Medellin), la région de Maluma.  Sur les coupes à eau de vie, qui ont  la forme d’un pot de chambre, assez typiques de la culture locale, on peut lire cette phrase très profonde : « Frapper une femme, ce n’est pas de la lâcheté, c’est la dompter »

Cela met en évidence le fait que l’ignorance non seulement est celle des pauvres- une réalité terrible produite par l’inégalité et la destruction de l’enseignement public- mais elle caractérise aussiles puissants et maîtres de ce pays. Il convient de rappeler ce qui se passe au sein de l’Université des Andes, encensée par l’auto-publicité et la propagande, meilleur exemple de médiocrité et d’ignorance des classes dominantes de Colombie. Cette université prétend et seprésente elle-même comme la meilleure du pays et la huitième d’Amérique Latine (13).  C’est une institution raciste et classiste où l’on forme quelques cadres des classes dominantes qui gèrent le pays comme leur propriété privée, et dont  un bon nombre ont pillé le pays avec acharnement (rappelez-vous les membres de la famille Nulle et les enfants d’Álvaro Uribe Vélez, Gabriel García Morales…). C’est de là que sont sortis des présidents, des ministres, et des directeurs de planification nationale, des maires, des gouverneurs, des gérants d’entreprises nationales et multinationales…

On pourrait  s’attendre à ce qu’un tel palmarès s’exprime dans la culture  et le niveau intellectuel des étudiants de cette université.  Il convient de se souvenir  du Ridiculum Vitae de Gabriel García M. (Morales non Márquez), du même nom et origine géographique (caraïbe colombienne) que notre Nobel de littérature, et célèbre ces derniers jours pour avoir touché des pots-de-vins pour six millions et demi de dollars de l’entreprise Odebrecht. El Tiempo présente ce Ridiculum en ces termes :

Gabriel Ignacio García Morales, né à Carthagène, est économiste à l’Université des Andes, spécialiste des USA.

En 2009, il est arrivé au Vice-ministère du Transport et a été directeur chargé de l’Inco[Institut National des Concessions devenu Agence Nationale des Infrastructures]. Il a été également professeur à la Faculté des Sciences Economiques et Administratives de l’Université Technologique de Bolivar, où il dirige la chaire de microéconomie.

À cette époque, quand il l’a nommé à ce poste, l’ex président Uribe l’a qualifié d’ « une des personnalités jeunes les plus importantes des Caraïbes et de la patrie ».  

Il a également été décoré  comme l’un des ‘cinq carthagénois les plus illustres’ de cette administration (14).

Ce qui est intéressant c’est le ridiculum oculto de ce personnage, sorti de l’Université des Andes et  qui a étudié aux USA (l’économie bien sûr). Parmi ses activités savantes, on peut relever des contrats indûment signés,  la corruption, l’enrichissement illicite de 6.5 millions de dollars pour un seul contrat, remis par la multinationale Odebrecht pour remporter des appels d’offres publics  en Colombie, concrètement le tronçon 2 de La Route du Soleil.

Après avoir donné cet exemple d’”honnêteté”  d’une personne illustre sortie de l’Université des Andes, cela vaut la peine de rappeler que la vie quotidienne de cette institution est un reflet fidèle de l’ignorance qui sévit là. Un exemple en est le groupe Facebook qui s’auto-intitule ″ Cursos y Chompos Asperos Uniandinos”, qui intègre des milliers d’étudiants de cette université, quelques articles parlent même de quinze mille. Leurs posts et commentaires sont classistes, ils se moquent des pauvres, des afro-descendants et insistent sur les stéréotypes de toute nature. Ils ont publié sur leur page la  photo d’une fille avec des taches blanches, et en dessous ils ont écrit : «  voilà ce qui arrive quand tu es noir et que cela fait des semaines que tu n’as rien volé ». Des sujets aussi sérieux que le VIH, le cancer, l’esclavage, les sociétés africaines, les font rire.  Un étudiant qui fait partie du groupe considère que « les publications sont habituellement moqueuses et marrantes ». Pour eux, les femmes ne sont que des objets sexuels qui doivent s’occuper du lavage et de la cuisine. Par ailleurs, ils associent les juifs aux chambres à gaz et au savon (15). Il n’est pas rare que de là découle des menaces et du harcèlement  cybernétique et physique contre des  étudiants et des profs, comme on l’a vu récemment. A ce sujet, on mentionne que les Chompos ont l’habitude de faire le salut avec le «“¡Heil Chompos!”, imitant le geste nazi. Avec raison, il y a quelques années, Rafael Gutiérrez Girardot assurait que le problème  n’est pas que les Andes soit une sorte d’université usaméricaine qui fonctionnerait en Colombie mais qu’il s’agit d’une université usaméricaine très nocive.

C’est cela la Colombie “cultivée et lettrée” des classes dominantes, prototype de l’intolérance, du racisme et du classisme, qu’a si bien su rendre Gabriel García Márquez  dans ses meilleurs pages. La différence étant que nous ne sommes pas en train de parler de fiction littéraire mais de la dure réalité colombienne, que nous devons supporter chaque jour, parce que comme le dit la mère du dictateur de L’automne du Patriarche : « … si j’avais su que mon fils allait être président de la république, je l’aurais envoyé à l’école… ».

Nobel de la Paix, récompense au terrorisme d’État

“En omettant l’énorme responsabilité des classes dominantes, de l’État et de leurs forces répressives ; en passant sous silence les assassinats de syndicalistes, la répression féroce de la base sociale réelle ou supposée de la guérilla, les dizaines de milliers d’opposants obligés de s’exiler ; en omettant toute autocritique, au nom de l’establishment ; en désignant comme « bourreaux », à travers d’authentiques victimes, mais soigneusement triées sur le volet, les seuls guérilleros des FARC, le flamboyant nouveau Nobel a conforté, renforcé et donné du grain à moudre à ceux qui ont voté « non » lors du référendum du 2 octobre dernier″

 Maurice Lemoine, Colombie: Le Père Nobel est une ordure

Prix pour des criminels et des terroristes d’État

Le Prix Nobel de la Paix est devenu une reconnaissance mondiale pour des grands criminels et a servi, entre autres choses, à justifier leurs crimes passés, présents et à venir. Les exemples à ce sujet ne manquent pas, mais il est bon d’en rappeler quelques-uns. Revenons en arrière. En 2012, l’Union Européenne l’a reçu, soi-disant, « pour sa contribution pendant six décennies à l’avancée de la paix et de la réconciliation, la démocratie, et les droits humains en Europe ». Oui, cette même Europe est devenue une prison pour des peuples et elle impose strictement ses intérêts néo-libéraux, comme on peut le vérifier avec la Grèce ; elle co-participe à l’intervention en Libye et elle a plongé ce pays dans un chaos absolu ; elle est responsable de la mort de milliers de migrants, qui meurent en Méditerranée ou à d’autres confins de l’Europe « civilisée ».

En  2009, on a remis le prix à Barack Obama, et ce n’est pas une mauvaise blague, « pour ses efforts extraordinaires en vue du renforcement de la diplomatie et de la collaboration entre les peuples ». Brillante collaboration que celle de bombarder, d’envahir des pays, d’organiser des guerres et de faire tuer  ceux que l’on déclare ses ennemis lors des « mardis de la terreur ».

En 1994, on l’a remis à Shimon Peres «  pour honorer un acte politique qui requérait un grand courage des deux côtés, et qui a ouvert des possibilités pour un nouveau développement vers la fraternité au Moyen-Orient ». Le courage de ce criminel israélien résidait dans le massacre de Palestiniens de tous âges et dans l’opposition au retour des millions d’expatriés par le régime sioniste. Comme on peut le voir à travers ces exemples, le Prix Nobel de la Paix a été remis à des criminels de guerre, avec la particularité  qu’après l’avoir obtenu, ils n’ont pas modifié leur conduite assassine, c’est-à-dire, qu’ils sont des criminels du début à la fin.

Dans ce sens, le journal conservateur US The Wall Street Journal avait raison lorsqu’il se plaignait que le Prix Nobel de la Paix n’eut pas été remis à un ex-président (Alvaro Uribe), qui de loin, n’a pas de concurrent qui puisse arriver à son niveau en Colombie. Ses crimes n’ont pas d’équivalent dans notre histoire et ont peu à envier à Barack Obama, Henry Kissinger ou Shimon Peres (16). Les réalisations de Juan Manuel Santos par rapport à celles de son prédécesseur sont moindres et à cause de sa politique criminelle intensive on aurait dû le remettre au rancher d’Antioquia pour son grandiose curriculum mortis.

Oligarque jusqu’au bout des ongles

Juan Manuel Santos appartient à l’oligarchie colombienne, c’est un  descendant d’ex-président et de journalistes qui ont tiré les ficelles de la politique et de l’opinion publique dans ce pays. Sa trajectoire personnelle est celle d’un serviteur inconditionnel du capitalisme dans sa version néolibérale, comme il l’a démontré en participant aux divers gouvernements depuis le “jardin d’enfants” (gouvernement de ministres très jeunes) néolibéral de César Gaviria (1990-1994),  quand il a assumé le rôle de premier ministre du Commerce Extérieur, poste indispensable pour consolider l’ouverture économique impopulaire et destructrice qui a désindustrialisé et augmenté l’inégalité en Colombie.  En 2000, il a été désigné Ministre des Finances et du Crédit public, et de là, il a poursuivi sa campagne contre la population pauvre : parmi les mesures les plus anti-populaires on peut relever celle qui consiste à éliminer les transferts de ressources aux collectivités territoriales,  par la promulgation de la loi 715 qui a été néfaste pour l’enseignement public, accélérant sa privatisation et  supprimant les droits du travail des professeurs.

En 2004, et en pleine effervescence uribiste, il s’est retiré du Parti Libéral et a fondé le Parti de la U, pour épauler la réélection frauduleuse de l’homme de l’Ubérrimo [L’Abondant, nom du ranch d’Uribe, NdT]. En 2006, il a été nommé Ministre de la Défense (sic), et au cours de son mandat les crimes d’État ont été généralisés, baptisés de façon euphémique« faux positifs ». C’est quand il était « Ministre de la Guerre » qu’a été menée l’incursion illégale et criminelle sur le territoire équatorien, où 26 personnes ont été massacrées, parmi lesquelles Raúl Reyes et quatre étudiants mexicains. Cette opération, comme on l’a déjà démontré,  a vu la participation directe de militaires US, dans le cadre d’un programme secret,  en connivence avec l’État colombien,  pour assassiner des rebelles (17).

Durant son mandat en tant que Ministre de la guerre, on a assassiné Iván Ríos, membre du Secrétariat des FARC,  et son assassin lui a coupé une main pour réclamer la récompense de cinq millions de pesos qu’offrait ce ministère. Ce fait vil, n’a pas été condamné par Santos, qui n’a pas caché sa joie  devant un crime si traître et si lâche.

Santos se vante de tous les faits mentionnés et il n’a jamais demandé pardon pour  ces derniers faits aux familles des étudiants mexicains qui ont été lâchement assassinés. Dans un texte honteusement apologétique de son écrivaillon  Héctor Abad Facciolinceon peut même lire: ”Santos a donné l’ordre de tuer Raúl Reyes, le Mono Jojoy etAlfonso Cano; Santos avait la gâchette prête pour répondre à la moindre attaque  qu’il vivait en menaçant Chávez; Santos n’hésita pas à lancer des milliers de bombes incendiaires sur des centaines de campements des Farc″ (18).

Avec ces antécédents de guerrier et de néolibéral, il est arrivé à la Présidence de la République en 2010 et pendant son exercice il a conservé, sans lâcher un millimètre, ce double talent, comme le prouvent les « réalisations » de sa double période de gouvernement. Sur le plan économique et sur le plan social, Santos a impulsé le programme  néolibéral et d’ouverture, commencé 30 ans auparavant. C’est évident pour les privatisations qui ont continué, la plus mémorable ayant été celle d’ ISAGEN, [entreprise qui produit et commercialise de l’énergie, NdT]   qui a été bradée au capital transnational, et constitue la deuxième privatisation de l’histoire du pays, pour le prix dérisoire de 6.5 milliards de pesos (19).

Pendant les gouvernements Santos, des traités de libre-échange  en vrac ont été signés et la mal nommée Alliance du Pacifiquea été promue, projet impulsé par les USA et visant à détruire l’ALBA et le MERCOSUR. Le gouvernement colombiena signé des traités de libre-échange tous azimuts, allant jusqu’à signer un traité avec l’État sioniste d’Israël en 2013. Ce n’est pas surprenant quand on se souvient de l’admiration de Santos pour Israël et de son orgueil que la Colombie soit appelée l’Israëld’Amérique du Sud. 

Juan Manuel Santos, en compagnie du président israélien  Shimon Peres,  criminel de guerre et Prix Nobel de la Paix, à Jérusalem, le 10 juin 2013.  À cette occasion a été signé un traité de libre-échange entre les deux pays.

Juan Manuel Santos, en compagnie du président israélien  Shimon Peres,  criminel de guerre et Prix Nobel de la Paix, à Jérusalem, le 10 juin 2013.  À cette occasion a été signé un traité de libre-échange entre les deux pays.

Dans le domaine de l’agriculture, le gouvernement de Santos a lancé les ZIDRES (Zones d’Intérêt de Développement Rural, Economique et Social), qui renforcent le pouvoir du grand capital intérieur et extérieur, contre les intérêts des paysans et des petits propriétaires et  il a en plus légitimé  l’accaparement irrégulier de  terres en jachèrespar des entreprises nationales étrangères et nationales, ce qui aggrave l’usurpation des petits paysans et accentue la concentration des terres aux mains des grands conglomérats , ouvrant en plus la porte à la destruction environnementaled’importantes régions du pays, spécialementdes hautes plaines dans la partie orientale du territoire national.

Le gouvernement Santos est un partisan inconditionnel de l’exploitation minièreet du modèle extractiviste et rêve de transformer la Colombie en un « pays minier », et pour cela il a permis que le territoire national soit répartientre les grandes multinationales comme s’il s’agissait d’un gâteau, au mépris des droits des communautés, et en détruisant la biodiversité, l’eau et notre richesse naturelle.  Cela s’est illustré par l’attribution de 302 titres miniers entre septembre 2014 et 2015 et par l’adéquation de la législation en faveur des entreprises et au détriment des petits agriculteurs  locaux.

Sur le terrain éducatif il s’est chargé de promouvoir le programme “ser pilo paga” (être futé paie), un joli nom pour désigner la vieille proposition de Milton Friedman de subventionner la demande, qui fait que l’État colombien transfère des ressources financières aux universités privées au lieu de financer l’enseignement public.

Si sur les terrains économiques et sociaux, il a approfondi le néolibéralisme, il en va de même pour la militarisation de la société.  Les manifestations socialeset populaires ont été répriméesavec le même acharnement que ses prédécesseurs, le meilleur exemple étant ce qui s’est produit avec la grève agraire de 2013 et les différentes manifestations agraires et indigènes. Dans le même sens, on doit prendre en compte la complicité de l’État avec les paramilitaires, qui ont changé de nommais pas de méthodes criminelles, comme le démontrent les événements de Buenaventura (non pas  la Capitale de l’Alliance duPacifique mais  de la Tronçonneuse homicide), de même que les assassinats de leaders sociaux, de défenseurs des droits humains, d’écologistes, d’enseignants, d’étudiants… en Colombie, avant et après la remise du Prix Nobel de la Paix.

La militarisation a quelque chose à voir avec l’exaltation des Forces Armées, que l’on exonère des “faux positifs” et des paramilitaires, et auxquelles on promet de conserver leurs privilèges après la fin du conflit armé, comme si de rien n’était.

 Il y a un point spécial, qui mérite d’être rappelé et est  en rapport avec le fait que Juan Manuel Santosest directement responsable des assassinats de Jorge Briceño (Mono Jojoy) et du commandant des FARC Alfonso Cano, comme le reconnait Héctor Abad Faciolince, son scribouillard, lorsqu’il dit : «  Pour que ses détracteurs sachent que l’ex-ministre de la Défensen’avait pas cessé d’être un guerrier, Santos a ordonné, presque en même temps, que l’on bombarde le campement du Mono Jojoy […] (qui) n’est pas mort du coma diabétique qui le guettait , mais des shrapnel d’une bombe intelligente  guidée par le signal de son téléphone portable” (20). Ce que dépeint de façon si bénigne Abad Faciolince comme étant l’action d’une bombe intelligente a été un véritable massacre au cours duquel ont été utilisés plus de cent avions et hélicoptères et 565 bombes, chacune de 250 livres (113 kg), qui ont plu sur le campement d’un homme qui dormait. Voilà ce qu’est le courage du prix Nobel de la Paix !

Quant à Alfonso Cano, voilà ce qu’en dit le scribouillard du santisme:” Bien que cela fût connu bien plus tard, ces conversations secrètes ont été sur le point d’être rompues lorsque le président Santos n’a pas interdit l’opération militaire qui a abouti à la mort d’Alfonso Cano, peut-être le guérillero le mieux formé et qui avait le moins de résistance vis-à-vis du processus de paix. ″Grâce à de vieilles expériences amères, Santos savait que ce n’était plus seulement la main tenduequi ferait pencher la balance de la guérilla vers le dialogue” (21). Cela s’appelle, sans euphémisme, de la trahison et de la félonie, qui n’a rien de la fiction, mais c’est la dure réalité, qu’Abad Faciolince applaudit, comme si la peine de mort existait en Colombie et comme si quelqu’un, même s’il est le Président de la Colombie, pouvait disposer de la vie des autres. Et ces faits ne pourront être effacés de l’histoire du pays,  ni de celle du conflit armé, quelques soient les tours de passe-passe littéraires qu’on tente d’utiliser pour les justifier.

En conclusion, contrairement à ce que dit Héctor Abad Faciolince, qui délire en qualifiant Juan Manuel Santos de «  grand homme d’État », sa gestion quand il a eu l’occasion d’exercer des charges publiques, y compris la présidence de la République, démontre qu’il est un oligarque typique de droite, qui évidemment sert les classes dominantes de ce pays et les intérêts du capital transnational, en priorité US. Il n’y a, dans la vie de Juan Manuel Santos, pas le moindre geste, pas le moindre fait qui soit allé à l’encontre  de son appartenance de classe, et ceux qui penseraient différemment, vivent sur une autre planète, et sûrement pas en Colombie., parce que sa paix non seulement est néolibérale mais aussi parce qu’elle se résume à la fin du conflit armé tout en ne touchant pas aux structures de l’injustice et de l’inégalité, celles-là même qui ont généré la guerre dans ce pays.

Or on pourrait penser, de façon raisonnable, qu’existe la possibilité qu’un individu qui a les antécédents de Juan Manuel Santos, qui a été un belliciste invétéré, puisse se transformer et devenir un vrai pacifiste. Oui, bien sûr, la possibilité existe, mais Santos n’a pas donné de signes de son amour de la paix, ni pendant son gouvernement, ni pendant  les conversations avec les FARC, ni après qu’il a reçu le Prix Nobel.

Messages et symboles de guerre au cours de la réception du Nobel de la Paix et après

Le discours d’Oslo du 10 décembre 2016, lorsqu’il a reçu le Nobel, estrévélateur de ses conceptions sur la paix, la réconciliation et la mémoire, étroit d’esprit et mesquin, on ne pouvait pas s’attendre à autre chose d’un représentant typique de l’oligarchie créole. On peut démontrer qu’il n’est pas disposé à demander pardon ni pour les crimes auxquels lui-même a été mêlé  ni pour le terrorisme d’État régnant en Colombie,  par le fait qu’il pas été fait une seule mention de l’assassinat de cinq mille jeunes Colombiens par l’Armée colombienne, connu sous l’euphémisme de « faux positifs », dont Juan Manuel Santos est directement coresponsable , ayant exercé comme Ministre de la Défense du gouvernement d’Álvaro Uribe Vélez.   Il n’apas été fait non plus référence aux paramilitaires, organisés et financés par l’État colombien et par les classes dominantes de ce pays, et qui ont perpétré des centaines de massacres sur le territoire colombien.  Il n’a pas fait mention des cinq mille assassinés  de l’Union Patriotique ni aux disparus du Palais de Justice.

Avec ce discours d’Oslo, on garde l’impression que la guerre en Colombie n’avait qu’un seul camp, celui de l’insurrection, comme si l’État et les paramilitairesn’existaient pas ou étaient de tendres colombes. Santosn’a pas eu le cran de demander pardon pour les crimes du terrorisme d’État, ce qui indique clairement le type de réconciliation, de pardon et de « plus jamais ça » dont le discours d’Oslo s’est nourri et dont l’impunité absolue du bloc anti-insurrectionnel au pouvoir est l’essence même.   

Pour ôter tout doute sur la signification du Prix Nobel pour Santos, et sa véritable volonté, il faut lire le message révélant un fait symbolique envoyé le jour même où il a reçu le fameux prix: sa réunion avec deux criminels de guerre US, chimiquement purs, comme dirait Gabriel García Márquez, qui n’ont pas une molécule de pacifisme, que sont Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski.

Des criminels qui ont été mouillés dans le soutien à des dictatures criminelles d’Amérique Latine et autres lieux dans le monde. Concrètement, Kissinger a soutenu le macabre Plan Condor dans la décennie 1970 dans le Cône Sud. S’associer à un personnage d’une telle volonté criminelle signifie fouler aux pieds la mémoire des milliers de disparus, torturés et assassinés d’Argentine, Uruguay, Brésil, Paraguay, Bolivia, Chili…et, ce qui prend symboliquement tout son sens alors que cette rencontre se fait au moment de la réception du Prix Nobel de la Paix. 

À Oslo, après avoir reçu le Nobel de la Paix, Juan Manuel Santos s’est réuni avec deux des pires criminels de guerre du monde contemporain : à sa droiteZbigniew Brzezinski et à sa gaucheHenry Kissinger (également Nobel de la Paix en 1973)

À Oslo, après avoir reçu le Nobel de la Paix, Juan Manuel Santos s’est réuni avec deux des pires criminels de guerre du monde contemporain : à sa droiteZbigniew Brzezinski et à sa gaucheHenry Kissinger (également Nobel de la Paix en 1973)

Après la remise du Prix Nobel de la Paix, il convient de voir les grandes réalisations de Santos. Parmi elles, on peut mentionner qu’après la signature de l’Accord de Carthagène, les assassinats de leaders sociaux et de dirigeants populaires se sont accrus dans différentes régions du pays, surtout dans celles où il y avait une présence historique de l’insurrectiondes FARC-EP. Face à ces crimes,  Santos  a gardé un silence absolu et a été jusqu’à insinuer : «  Le ministère public nous a dit qu’il n’y a aucune intention systématique. Cela s’est produit dans les zones où les FARC étaient présentes. Il y a des mines illégales et des plantations de coca. Ceci est en lien avec ce qu’il  va advenir de ces commerces »22. Autrement dit, les morts n’ont rien à voiravecune nouvelle guerre sale, mais ce sont des faits isolés.  C’est la vieille rengainede la guerre en Colombie, et non de la paix, qui repose sur le fait de nier ou couvrir les assassinats de leaders sociaux, de dirigeants politiques de gauche et de défenseurs des droits humains.

Un tel discours vise comme toujours à dépolitiser et légitimer la violence. Dans le même sens, Santos n’a rien dit et n’a pas condamné l’assassinat par traîtrise de deux membres des FARC, qui s’est produit le 17 novembre 2016, perpétré par l’armée, avec une violation claire du cessez-le-feu bilatéral.

La paix n’a pas à voir seulement avec les actions militaires : dans le domaine social, depuis le 10 décembre les actions contre la population colombienne ont continué, on peut distinguer parmi elles l’approbation d’une réforme fiscale, qu’on peut cataloguer de véritable attaque contre les masses pauvres de ce pays, avec l’augmentation de la TVA (l’impôt le plus rétrograde et antidémocratique qui existe) de 16 à 19% et des  avantages en nature et des concessions aux riches et aux puissants, comme la baisse de l’impôt sur les revenus pour les grandes entreprises. 

Le 25 décembre, Santos a annoncé en grande trompe la mise en œuvre d’un accord de coopération militaire entre la Colombie et l’OTAN, un acte en soi peu pacifique envers les pays d’Amérique Latine. Pour confirmer que rien n’a changé et que le Prix Nobel de la Paix est pure ostentation, Santosa soutenu que «  c’était son objectif depuis qu’il était ministre de la défense, la demande remonte à neuf ans en arrière pour obtenir un accord de coopération qui est le mécanisme suprême qu’ait l’OTAN » (avec des pays non-membres). Déjà avant cette déclaration, des membres du gouvernement colombien avaient annoncé que l’objectif était «  d’apprendre les hauts standardsde l’OTAN dans des domaines comme les urgences civiles etles opérations humanitaires et de « paix », également «  des sujets associés à l’intégrité, la transparence, ainsi que des mécanismes anticorruption ». Les « enseignements » de l’OTAN en Yougoslavie, Lybie, Afghanistan, Irak…peuvent être qualifiés de tout , sauf d’opérations humanitaires et de paix, et on peut encore moins penser que c’étaient des agissements transparents.

Cette déclaration démontre alors que l’objectif de se lier à l’OTAN ne visait  pas seulement à affronter les FARC et l’ELN, mais aussi à agresser les pays voisins, si l’on tient compte du fait que la Colombie – de manière éhontée - est le premier pays qui signe un accord de cette nature avec l’OTAN, qui est, rappelons-le,  une organisation terroriste et criminelle, conduite par les USA et responsable de crimes contre l’humanité en Europe, Afrique et Asie. Est-ce là un acte de paix et de concorde avec le continent latino-américain ? Peut-on considérer Juan Manuel Santos comme un homme de paix lorsqu’il lie de manière irresponsable la Colombieà une organisation qui a provoqué douleur et mort dans diverses régions  du monde dans les dernières décennies ? Comme l’OTAN, et son membre principal les USA, ils sont aussi responsables de l’apparition d’Al Qaïda et de Daesh et de milliers d’attentatsà la voiture piégées en Irak, Syrie et Afghanistan,  voilà ce que Santos veut que se reproduise dans les rues de nos villes, quand dans divers lieux de la planète ils se sentiront attaqués par la Colombie.

Alors qu’on cautionne le rattachement de la Colombie à l’OTAN comme si c’était une grande réussite, le gouvernement de Santos lui-même, avec les modèles classistes  et d’exclusion de type contre-insurrectionnel, s’unit au chœur de condamnation du bal de fin d’année entre les membres des FARC et des délégués de l’ONU.  

Poursigner ses actions de ”paix”,  le gouvernement Santos a annoncé dès les premiers jours de janvier 2017 par l’intermédiaire du ministre de la Défense qu’il rétablissait la fumigation manuelle au glyphosate, par le biais d’un plan pilote sur 800 hectares dans les départements du Chocó et du Nariño. Comme si l’utilisation manuelle de ce poison, mondialement interdit et condamné par la communauté scientifique à cause de ses effets négatifs sur la santé et l’environnement, allaient modérer ses conséquences. Par ailleurs, le fait que la Colombie soit l’unique pays du monde qui utilise ce produit chimique contre sa propre population et ses écosystèmes reste toujours une honte nationale, c’est une  action qui n’a rien de pacifique. Cette honte augmente encore lorsque l’on sait que même un pays occupé par les USA comme l’Afghanistan a refusé de l’utiliser sur son territoire.

Conclusion : Santos, un autre invisible

Dans un article publié l’année dernière, intitulé « Les invisibles », William Ospina affirmait qu’une des choses qui étonne le plus c’est le fait que

les dirigeants astucieux de ce pays atteignent une fois de plus leur objectif qui consiste à montrer au monde les responsables de la violence, et de passer inaperçu en tant que responsable des maux. À force d’être toujours là, au centre de la scène, non seulement ils parviennent à être invisibles, maisils réussissent même à être innocents ; non seulement ils sont absous de toutes leurs responsabilités,  mais ils finissent par être ceux qui absolvent et pardonnent (23).

Ces mots résument de manière juste le rôle de Juan Manuel Santos  dans l’histoire récente du pays et, en particulier son rôle dans les accords avec l’insurrection. Lui qui, en tant que membre notable de l’oligarchie créole,  a tiré profit de la guerre, apparaît maintenant comme un homme de paix, sans avoir rien concédé de significatif pour la transformation de la structure injuste et inégale du capitalisme  colombien, pas même une légère démocratisation de l’organisationpolitique vétuste qui existe dans ce pays.  

Les faits, comme démontré dans cet essai,  et la façon dont les accords de La Havane se sont déroulés, ont mené à  un plébiscite inutile. Ils font  partie d’un piège dont l’objectif estde ne rien concéder à  l’insurrectionen échange de son désarmement. À cela, il faut ajouter le traitement mesquin et misérable que l’on inflige à cette insurrection, étant donné que dans les zones où on l’a regroupée, on ne la laisse même pas se déplacer,  on ne lui donne aucune nourriture et aucune garantie de conditions sanitaires élémentaires.

Pour compléter l’analyse, dans le discours dominant qui est reproduit par tous les grands médias de désinformation, la guerre que nous avons vécue pendant des décennies, n’est ni de la responsabilité de l’État ni du blocdu pouvoir contre-insurrectionnel, mais seulement  de celle de l’insurrection.

De cette façon, on lave et on cache les crimes des Forces Armées, des entrepreneurs nationaux et étrangers, et on nie les liens directs entre l’État et les paramilitaires. En peu de mots, le terrorismed’État en Colombie disparaît et ainsi on garantit l’impunité des véritables maîtres du pays, comme on le voit ces derniers jours avec la corruption galopante, par exemple avec les affaires du clan Sarmiento Angulo (un des cacaos de Colombie) [le cacao synonyme d’argent depuis l’époque coloniale, qui était une monnaie d’échange dans les peuples indigènes du Mexique et d’Amérique Centrale, désigne maintenant les personnes les plus riches de Colombie, NdT]  et la corruption d’Odebrecht, qui, ni vu ni connu, a été  l’un des plus grands bénéficiaires de cette corruption, mais dont le rôle est occulté par le Procureur Général, qui a été nommé par Santos, et qui a été l’avocat de confiance et le conseiller pendant longtemps de ‘l’homme le plus riche de Colombie’. Ce même individu, qui joue un rôle néfaste pour l’avancée des accords limités avec les FARC, est celui qui favorise son patron Luis Carlos Sarmiento Angulo. Dans ce cas, comme le dit Alberto Donadio:

Néstor Humberto Martínez, de sa fonction de procureur général de la Nation, continuera d’agir comme l’avocat de l’homme le plus riche du pays. Cette conduite ne serait pas différente de celle qu’on impute à García Morales,  qui a profité de son investiturepour obtenir des gains économiques illicites. Si NHM signe  la remise de peine, lui et García Morales, comme fonctionnaires publics auront agi de manière indigne, ignominieuse, malhonnête et scandaleuse. Avec une différence en faveur de García Morales, qui n’a reçu que 6,5 millions de dollars. Néstor Humberto Martínez permettra à  Sarmiento Angulo de continuer à exécuter un contrat officiel qui pour lui, en tant qu’entrepreneur, lui rapporte  484 millions de dollars grâce à sa part de 33% (24).

Voici le pays que Juan Manuel Santos n’a absolument pas fait changer et qu’il n’osera jamais remettre en question pour des raisons d’appartenance de classe et dans lequel les véritables responsables de la guerre disparaissent comme par magie. En résumé, c’est le pays des invisibles, de ceux qui tuent toujours, volent, trompent mais que l’on présente comme des « hommes de bien », ou comme « de prospères entrepreneurs ». Et, tout récemment, devenus des amoureux de la paix et de la concorde : la paix des sépulcres, bien sûr.

Renán Vega Cantor 
Traduit par  Pascale Cognet
Edité par  Fausto Giudice

Notes

1. Alberto Salcedo Ramos, Los colombianos leen poco, prestado y regalado, enhttp://www.eltiempo.com/multimedia/especiales/cuanto-leen-los-colombianos/15606578/1;  http://www.semana.com/cultura/articulo/los-colombianos-no-leen/16582-3

2. Nicolás Morales, Colombia un país que lee (basura), enhttp://www.revistaarcadia.com/opinion/columnas/articulo/colombia-un-pais-que-si-lee-basura/33838  

3. http://www.semana.com/cultura/articulo/los-colombianos-no-leen/16582-3 http://www.elespectador.com/noticias/cultura/personas-ya-no-leen-articulo-569334

4. http://www.semana.com/cultura/articulo/los-colombianos-no-leen/16582-3

5. Joaquín Robles Zabala, ¿Por qué los colombianos leen tan poco?, enhttp://www.semana.com/opinion/articulo/los-colombianos-leen-poco-opinion-joaquin-robles/360609-3

6. Alberto Salcedo, loc. cit.

7. http://www.urosario.edu.co/Maestria-en-periodismo/Lecciones-Inaugurales/3a-Leccion-Inaugural/

8. María Elvira Bonilla, El prontuario de un educador, enhttp://www.elpais.com.co/elpais/opinion/columna/maria-elvira-bonilla/prontuario-educador

9. http://www.centrohistorialopezmichelsen.hol.es/catedra-cesar-perez-garcia.html. Énfasis nuestro. 10.Christopher Tibble, ¿Por qué no lee Macondo?, enhttp://www.revistaarcadia.com/impresa/reportaje/articulo/por-que-no-lee-colombia/41882;  http://www.semana.com/cultura/articulo/los-colombianos-no-leen/16582-3

11. Citado por Luis Prieto, en Colombia ignorante, en http://www.lapatria.com/columnas/colombia-ignorante

 12. Disponible en http://www.musica.com/letras.asp?letra=2263584  

13 http://www.semana.com/educacion/articulo/mejores-universidades-de-colombia-de-2016-en-ranking-qs/477697       

14. http://www.eltiempo.com/politica/justicia/perfil-de-exviceministro-gabriel-garcia-morales-relacionado-con-odebrecht/16791542 Énfasis en el original.

15. http://www.semana.com/educacion/articulo/redes-sociales-reflejan-discriminacion-de-raza-y-genero-en-universidades/470035

16. Editorial del 9 de abril de 2016, disponible enhttp://lat.wsj.com/articles/SB11868258185747443806804582364113675776278

17. Diana Priest, “Destapan Plan de la CIA para asesinar a dirigentes de la insurgencia”, The Washington Post, diciembre 21 de 2013, publicado en Rebelión, diciembre 23 de 2013, disponible enhttp://www.rebelion.org/noticia.php?id=178552. El articulo original en inglés se encuentra en:http://www.washingtonpost.com/sf/investigative/2013/12/21/covert-action-in-colombia/?hpid=z1

18. Héctor Abad Faciolince, “Juan Manuel Santos, personaje del año”, El Espectador, diciembre 11 de 2016, p. 4.

19. http://www.elcolombiano.com/negocios/empresas/isagen-segunda-privatizacion-mas-alta-de-colombia-BD3432245

20. H. Abad Faciolince, loc. cit.

21. Ibíd. Énfasis nuestro.

22. BBC Mundo, Londres, diciembre 10 de 2016.

23. William Ospina, “Los invisibles”, El Espectador, septiembre 28 de 2015.

24. Alberto Donadio, Fiscal favorece a Sarmiento Ángulo, enhttp://www.elespectador.com/opinion/fiscal-favorece-sarmiento-angulo


Merci à Tlaxcala
Source: http://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=19901
Date de parution de l'article original: 07/02/2017
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=20195