Anaduolie - Mauskovic Dance Band & Derya Yildirim envoient le bois

A force d’écouter Cyril Hanouna, on finirait par douter du bien fondé de la culture, puisque le susdit est un teubé de première catégorie ; un peu comme le grand commandeur des crédules en Turquie, Recep Erdogan qui a fait passer un pays laïc en état islamisé par la répression et les alliances bidon pour mater toute velléité de révolte contre le patriarcat. Cela dit, d’exil, en reprenant la tradition 70’s du rock anatolien, Derya Yildirim fait entendre son discours charmeur et, sur l’Amstel loin du Bosphore, le Mauskovic Dance Band qui en emprunte certains contours, fait exploser ses limites à grand coups de dub. Hé Recep, une taffe pour te décoincer le bulbe ?

Bukaroo Bank est le deuxième album de Mauskovic sur lequel le groupe réinvente son approche du son, tout en conservant l'euphorie rythmique du premier album et des singles qui l'entouraient. Et cela sonne de manière effrontée, avec un son d’une proximité immédiate et totale, comme si vous étiez dans la pièce pendant que les jams se font entendre, mais qui en fait utilise le studio de manière très subtile.

Enregistré en 2020, pendant l'une des périodes de confinement intermittent des Pays-Bas, le MDB a voulu, pour cet album, s'éloigner de sa base précédente, le Garage Noord - un espace amstellodamois ad hoc pour l'enregistrement, les répétitions et les fêtes après les heures de travail. Ils ont choisi Electric Monkey, géré par l'ingénieur Kasper Frenkel. Ses piles de ce que Nicola appelle "un équipement très étrange", et sa capacité à saupoudrer de la poussière dub magique sur tout, convenaient parfaitement à l'ambiance. Les résultats brillent et frissonnent avec des sons de synthétiseurs assemblés, des rythmes épissés et répercutés d'une manière qui rappelle le grand Jamaïcain du dub Lee Perry - peut-être la plus grande influence du groupe.

Certaines sections vous rappelleront l'afro-disco ou un highlife un peu plus ancien, d'autres des prototypes industriels comme les débuts de Cabaret Voltaire, ou des piliers d'On-U Sound des années 1980 comme African Head Charge, ou des grooveurs de New York comme Liquid Liquid... Il y a des éclosions de saxophone, de congas, d'unités d'écho, de guitares wah-wah disco, de beats qui semblent programmés mais ne le sont pas (un clin d'œil au côté industriel de MDB). Si cela vous semble déroutant, sachez cependant que Bukaroo Bank est un album irrépressiblement joyeux et c’est déjà beaucoup. Le constater en live (souvent imparable) le 1/12/2022 sur l’eau à La Mazette - 69, Port de la râpée 75012 Paris

Les sensations psych-pop anatoliennes Derya Yıldırım & Grup Şimşek (prononcé 'Shimshek') sont de retour. Dirigé par la chanteuse et multi-instrumentiste turque Derya Yıldırım, basée à Berlin, et comptant des membres en France et en Grande-Bretagne, le groupe est connu pour ses reprises contemporaines de ballades folk traditionnelles anatoliennes tout en puisant dans un mélange enivrant de psychédélisme, de jazz et de l'univers pop omnivore d'aujourd'hui. Derya Yıldırım et sa bande transcontinentale de frères et sœurs sont un guide essentiel du psychédélisme contemporain.

Le style vocal de Derya Yıldırım n'est peut-être pas du goût de tout le monde. Comparée à la légende vivante de la pop anatolienne, Selda Bağcan, à laquelle Yıldırım peut aspirer, sa voix s'élève rarement jusqu'aux grandes envolées de Selda, baignées de réverbération. L'articulation de Yıldırım est le plus souvent fine ou parfois stridente, avec un air implorant. C'est ce qui ressort le plus clairement de sa première chanson, "Gümüş" (Silver). De plus, même ses plus fervents défenseurs lui reprochent d'être coincée dans un groove des années 70. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose, puisque la tendance rétro-psycho-anatolienne qui sévit depuis quelques années, en nous faisant (re)découvrir le rock anatolien de Baris Manco à Erkin Koray, en passant par Altin Gün, Mauskovic Dance Band et Selda Bagcan, semble avoir encore de beaux jours devant elle. Et pourtant, le groupe est d’exil puisque basé à Hamburg.

Bien que ces nouvelles chansons n'explorent pas nécessairement de nouveaux territoires - elles ont toujours un air de flashback mélodieux des années 70, où The Doors rencontre Bariş Manço - il y a aussi quelques nouvelles créations qui rendent cet album intéressant. Le meilleur titre, et de loin, est "Bal" (Honey), une chanson que Yıldırım a écrite elle-même et qui a un potentiel certain pour les pistes de danse. Elle commence par un carillon de guitare, un groove de synthétiseur chargé de basses, quelques pincements de bağlama et un style vocal doux, velouté et merveilleusement séduisant. Après le Haydar Haydar qui a fait les beaux jours des programmateurs radio de 2021, on sent bien que le son a changé et que le live du 18/11/202 au Festival Les femmes s'en mêlent, va montrer en quoi et comment tout cela a évolué. Rendez-vous donc à Petit Bain, en face de la Très Grande bibliothèque pour regarder, via la Seine, le Bosphore dans les yeux… 

Jean-Pierre (Grand Bazaar) Simard l
Mauskovic Dance Band - Buckaroo Bank - Bongo Joe
Derya Yıldırım & Grup Şimşek - Dost 2 - Bongo Joe