Rollin' around la B.O. avec Erik Truffaz

Méconnaître Erik Truffaz aujourd’hui, c’est négliger quarante ans de musiques actuelles. Qu’il s’agisse de contemporain, de jazz, de hip hop, de chanson ou d’électro, voir de son maître en Fourth World, Jon Hassell, ou de son actuelle participation au Cri du Caire… Mais bon, le compagnon de Sandrine Bonnaire rêve cinéma depuis son adolescence et nous offre ici un disque de proximité assez indispensable de moments à re-partager en puzzle culturel qui trouve dans nos mémoires cinéphiles comment mixer nos souvenirs. Pour les magnifier.

Pour Rollin’, Truffaz et son acolyte de presque toujours, Marcello Giuliani (qui coproduisent l’album, autant dire qu'ils le réalisent ensemble), ont d'abord couché sur papier un générique idéal. C'est un des trucs qui frappe dans la carrière de Truffaz, ce sens du casting - ne pas économiser sur les seconds rôles. Chacun de ses disques compose une troupe digne des Marvels, super-héros des textures et des carambolages esthétiques. Ici, en plus de la basse de Giuliani, qui s’en remet à l'acoustique, le groupe s’étoffe des anciens fûts de Raphaël Chassin, des claviers minés d’Alexis Anérilles et de la guitare monkienne de Matthis Pascaud. C'est ce gang très exactement qui descend en ville, qui réarrange le portrait à une collection de musiques photogéniques. En notant au passage que Truffaz souffle B.O., en ne négligeant jamais les séries, mais bon hein, The Persuaders, c’est John Barry… 

Il faut dire que le sieur Erik a découvert les complications de la vie en matant Scènes de la vie conjugale de Bergman à 14 ans. On comprend mieux pourquoi à 62 il retourne à ce choc, en dévidant neuf propositions/thèmes pour dire son actuelle évolution / présence : l’amour fou de Fellini avec la Strada de Nino Rota, les Tontons Flingueurs via Michel Magne et la Route de Nuit, un One Silver Dollar pour la Marylin et le Mitchum de la Rivière sans retour de Preminger signé Alfred Newman ( père de Randy), le Fantomas d’André Hunebelle signé (encore) Michel Magne pour l’opposition Marais/De Funès, le sublime Ascenseur pour l’échafaud improvisé devant les rushes de Malle par un Miles adorant Jeanne Moreau ( comme Bonnaire/ Truffaz aujourd’hui ), Amicalement vôtre de Robert S. Baker via John Barry comme évoqué plus haut pour Brett et Dany (wilde so wilde !) réécrit avec une mesure à 7 temps, le monumental César et Rosalie de Dabadie par Philippe Sarde, cette fois co-signé Bonnaire/Truffaz, le Casse de Verneuil magnifié par Morricone et enfin, Quel temps fait-il à Paris de Tati par Alain Romans.

Si l’album n’était qu’un panégyrique de sa cinéphilie, Truffaz serait passé à côté du propos. Sauf que actualité du son oblige, et l’animal a non seulement le sens du groove, il suit/ et participe toujours à ses évolutions qui l’ont vu fréquenter indifféremment Pierre Henry, Murcof, Michael Brecker, Talvin Singh, etc. De fait, le groupe là présent fait monter le son dans l’ascenseur de l’actualité avec les évolutions entre jazz, techno et hip hop, pour moudre le son et obtenir le grain voulu. Du rire, des larmes, de l’action et du love. Rien que du love… Achetez-le sans tarder: ça frétille, ça veloute, ça crisse et ça souffle un nuage parfumé où s’ébattent les plaisirs. Vous actualiserez les vôtres à façon.

Jean-Pierre Simard le 10/04/2023
Erik Truffaz- Rollin’ - Blue Note

Manuel Braun