Jean-Luc Navette et l'hyper-réalisme flou

Rêver sa vie en divaguant sur la culture (pop) US, tout en étant tatoueur, puis en se consacrant exclusivement au dessin à la mine de plomb, c’est le parcours ô combien atypique de Jean-Luc Navette qui expose chez Arts Factory Greetings from Home, un ensemble de 150 œuvres inédites réalisées entre 2020 et 2023, jusqu’en mai. Choc !

photo © mariette briand

Figure incontournable de la scène tattoo durant près de 20 ans, Jean-Luc Navette s'est peu à peu mis en retrait pour se consacrer depuis 2017 à son travail personnel. En délaissant l'encre noire pour la mine de plomb, sa production récente entérine cette direction. Une façon de couper le cordon avec son activité d'origine, tout en apportant plus de nuances dans ses compositions et les sujets abordés.

Nourri par une imagerie issue de l'histoire des États-Unis au détour de la révolution industrielle, l'univers de Jean-Luc Navette évoque à l'origine les bas-fonds de la Nouvelle-Orléans, le blues et le bayou poisseux, jusqu'aux tragédies de la grande dépression. Il convoque aujourd'hui les fantômes de l'american way of life des 50's dans une saisissante galerie de portraits. Inspirées par les apparitions ectoplasmiques des photographes spirites et les classiques du film noir, les doubles-expositions dessinées de Jean-Luc Navette impressionnent par leur ébouriffante maîtrise. Images furtives d'une époque révolue, elles ouvrent une brèche entre le monde des vivants et celui des revenants, le XXIe siècle et l'aube des trente glorieuses.

Jean-Luc Navette est né en 1975 à Villeurbanne. Il vit et travaille entre Lyon et Kassel. Diplômé de l'école d'art Emile Cohl en 1999 où il a étudié l'illustration et la bande-dessinée, il va s'orienter dès 2001 vers le tatouage et ouvrir Viva Dolor, sa propre enseigne en 2003. Il réalise en parallèle de nombreuses affiches de concerts et pochettes de disques; orchestrant au fil de ses illustrations une parade nocturne hallucinée où bad boys et filles de mauvaise vie croisent d'inquiétantes apparitions spectrales, ambassadeurs zélés de l'impitoyable Faucheuse.

Dernier été du vieux monde et Nocturnes, deux monographies parues aux éditions Noire Méduse en 2012 et 2017 rendent compte de cette démarche. Ce travail autour du livre se poursuit avec les éditions Banzaï qui publient en 2020 ... Que le ciel s'ouvre, un fac-similé de ses carnets de dessins. Côté expositions, Jean-Luc Navette est un artiste rare. Après une présentation d'envergure en 2012 pour le tout premier Art Show organisé par la revue HEY! au Musée de la Halle Saint-Pierre, il aura fallu patienter près de dix ans avant de pouvoir admirer ses œuvres à Paris. Programmée en 2021, l'exposition Double Trouble en duo avec Maya McCallum crée l'événement et marque le début d'une collaboration régulière avec la galerie Arts Factory.

Quel que soit le sujet abordé par Jean-Luc Navette, ce qui frappe dans cette expo à Arts Factory, ce n’est pas le précision du trait omniprésente, c’est la façon dont il articule ses sujets pour leur donner plusieurs dimensions. Comme il est impossible de se pâmer encore et toujours pour les USA d’Eisenhower, il faut signifier que l’on est pas dupe; que l’on sait ce que l’on regarde, ce que l’on veut montrer - et comment le montrer. De la vie de tous les jours en divers états, au sexe, de la danse à la mort, du commun au particulier, le trait ( à tomber) limite hyper-réaliste se fond, se double, se dédouble pour dire… non mais attends ! pas dupe ! pas coincé dans le monde de l’effigie ( tatoueur il a donné) mais comme témoin du coin de l’œil à la limite de la vision, par trop de vision. A la limite du trop qu’on doit dfracter pour lui refiler un autre mode de vision, quitte à passer pour un autre. Mais non, justement, l’autre est déjà dans l’image, dans la façon posée de la donner à voir. Et c’est fort, très fort. On adore !

Jean-Pierre Simard le 10/04/2023
Jean-Luc Navette -Greetings from Home - 5/05/2023
Arts Factory 27, rue de Charonne 75011 Paris