Cenizas, des cendres sur le dancefloor du dernier Nicolas Jaar

Si on vous disait que ce nouvel album de l’immense Nicolas Jaar évoque pour nous, à la fois : l’ambient d’Aphex Twin, le Miles Davis de In a Silent Way et les Swans, vous seriez bien avancés. Intriguer c’est bien, mais on peut mieux faire, alors … 

Même si ses derniers et somptueux essais étaient tous signée Against All Logic; on l’avait bien reconnu, à tenter de s’affranchir de son passé évoqué, il y a 4 ans avec Sirens : une affaire de conflits familiaux, d’enfance mal vécue entre New-York et le Chili, Londres et la renommée internationale arrivée dès le premier album - genre classique instantané - Space is Only Noise, on avait eu de suite envie d’en savoir/entendre plus et, de BBC mixes en Boiler Room Sessions, on avait été servis, même fin janvier dernier, en découvrant son A.L.L Mix.

Mais foin d’A.L.L Mix qui annonçait l’album, voici que débarquent 13 titres envoûtants, voguant entre electronica, contemporain, musique traditionnelle sud-américaine, jazz et ambient, au fil d’une atmosphère planante composée d’instruments traditionnels, d’enregistrements et de chants puissants qui accompagnent les mélodies électroniques de Nicolás Jaar. Mais ce qui nous fait le plus plaisir est d’y découvrir, de suite, un remix de Mud signé Geju.

Cenizas signe le retour de l’artiste à l’essence même de sa musique, proposée comme assez abstraite de prime abord, quand les différentes pistes installent un univers rempli de poésie, dont le charme ne peut que retenir les esprits, même les plus sceptiques. Les autres qui ont reconnu les sources du son n’en apprécieront que mieux la démarche. D’Aphex Twin, la démolition du paysage au fil de son inscription, comme sur les magistrales compilations ambient, des Swans (mais c’est plus pertinent sur le A.L.MIx) la violence sous-jacente qui n’a pas besoin d’exploser pour se manifester. Et enfin de Miles, le son d’In a Silent Way écrit par Joe Zawinul, mais produit par Davis à la “direction sonore” dans l’équilibrage des nappes (Agosto). Jaar  travaille et étudie ses notes avec soin et minutie. Si tous ces morceaux sont imprégnés de sa signature, des mélodies aux sonorités latines superposées à des basses électro, chaque piste se distingue des autres par une singularité propre. La musique de Nicolas Jaar est un bijou de détails, à apprécier dans son ensemble et/ou décortiquer avec soin.

Si Cenizas est avant tout un album d’atmosphère, il n’est pas dénué de sens pour autant; à croire même qu’il ouvre des pistes à chaque morceau Le projet peut s’écouter avec détachement, mais un peu de concentration permettra d’en saisir toute la subtilité harmonique et d’évolution du tempo. Nicolas Jaar vient de nous offrir une œuvre délicate, dans laquelle il se réinvente en poussant les modèles existants pour faire singulier. On le sent à une période charnière, les cendres sont celles du passé… Il existe d’autres manières d’exorciser des moments difficiles, celle-ci nous complaît tout particulièrement, à offrir à chacun le labyrinthe d’émotions qu’il a envie de parcourir dans l’instant. Un album de danse intérieure, en quelque sorte, quelquefois à la frontière du krautrock de Can, d’autres en laissant divaguer un saxo ou des percus. Cerise sur le gâteau, le mix de Geju qui déconstruit encore plus loin pour ne plus laisser surnager qu’un fantôme mélodique et des percussions soutenant une voix. Pas juste un nouvel et excellent album, un tournant musical. Rien n’a jamais été aussi proche d’un silence qui poursuit la musique. Génial!

Jean-Pierre Simard le 30/03/2020
Nicolas Jaar - Cenizas - Other People Records

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