Interview de Xavier Coste & Antoine de Caunes pour “Il déserte”

Porté par le trait & les couleurs de Xavier Coste, Antoine de Caunes se raconte et met en image l’expérience singulière vécue par son père, Georges de Caunes, en 1962 : vivre seul sur une île déserte avec pour seuls compagnons une chienne, un chat, des poules, du bétail sauvage et les pierres. On vous ouvre les coulisses de ce livre en compagnie des auteurs.

Vivre seul, une année sur une île déserte de 50 km2 perdue en plein Océan Pacifique avec pour lien avec le monde une radio où ce « Robinson français » raconterait son expérience… Voilà le pari de Georges de Caunes, journaliste, présentateur du journal télévisé de la RTF et grand voyageur qui a accompagné Paul-Émile Victor au Groenland. 

Sur Eiao, Georges de Caunes n’oublie pas son rendez-vous avec la radio, mais oublie de souhaiter un bon anniversaire au jeune Antoine de Caunes, 8 ans. Avec une narration construite autour d’allers-retours entre passé et présent, entre Antoine de Caunes enfant et son père absent, entre la solitude de Georges de Caunes et la vie de l’île, cet album mêle témoignage, journal intime, coupures de presse et photos pour nous faire ressentir cette folle expédition autant que le ressenti d’un fils qui attend son père. 

« Ça m’a permis de revisiter cette histoire et d’essayer de comprendre un peu ce qui avait pu pousser mon père à se lancer dans une entreprise aussi cinglée, aussi dangereuse, aussi folle. » M’explique Antoine de Caunes que je rencontre en compagnie de Xavier Coste, à Angers au cœur du festival Cultissime

Dans ce livre, il y a plusieurs couches dans la narration, à la fois le récit du père sur l’île, ses paroles à la radio ou carnet, mais aussi vos propres inserts en tant que narrateur jeune puis au temps présent, comment vous avez découpé ce script ? 

Antoine de Caunes : Comme il y avait plusieurs angles narratifs possibles —parce qu’il y a plusieurs personnages qui parlent— tout le plaisir, justement, c’était de tricoter ça, de faire s’entrecroiser les points de vue. 

C’est ce qui donnait un peu de matière et de diversité au récit, parce que si vous restez au récit d’un homme qui est sur une île déserte, à simplement se préoccuper de savoir comment il va survivre et trouver de quoi boire vous avez vite fait le tour. Pour construire la dramaturgie, il fallait plusieurs personnages.

ll y a des inserts avec des photos, des documents, est-ce que c’est compliqué à insérer dans les planches ? 

A.d.C : C’est comme dans toutes les narrations, il faut faire des choix. Et on avait beaucoup de matière, c’était vraiment le choix du roi.

X.C. : Même trop de matière ! Ça a été dangereux au départ. 

Xavier, tu as beaucoup travaillé sur des adaptations de texte, ici c’est une adaptation de carnet croisée avec un témoignage d’Antoine et son scénario, comment tu as mis en image tout ça ? Comment tu as storyboardé ? 

Xavier Coste : Il n’y a pas eu tellement de storyboard, le livre a été très décousu dans sa conception, c’est ce qui nous a plu aussi. Au départ, on avait juste l’anecdote, qui est assez incroyable, mais on ne savait pas si on avait assez de matière pour faire un livre. Mais c’était assez excitant.

Avec Antoine, on regardait beaucoup les archives de son père, que ce soit le journal intime ou la presse de l’époque. On passait notre temps à dire tout ce que Georges de Caunes avait accumulé, et on échangeait avec Antoine sur ce qu’on trouvait intéressant, on mettait en commun nos trouvailles, nos idées.

Par exemple, très tôt, Antoine avait vraiment envie d’avoir des esprits et tout de suite ça m’a donné l’envie de la page, c’était vraiment un ping-pong permanent. C’était hyper enrichissant. 

Et avancer comme ça, c’était très rafraîchissant au point que je suis presque frustré de ne pas retrouver un sujet comme ça, avec cette manière de faire, pour mon prochain livre. Mais on ne peut pas faire que des livres comme ça, c’est impossible, même pour l’éditeur, c’est un enfer à suivre. Ils étaient très contents du projet, mais on ne savait pas où on allait, il n’y avait pas de pagination, on n’avait pas de fin, on l’a fait dans une espèce de tension. Mais c’était vraiment chouette. 

Quels outils as-tu utilisés ? 

X.C. : Je l’ai fait entièrement au numérique. Au début du projet, je suis allé dans un magasin de beaux-arts et j’ai acheté plein d’aquarelles, mais je n’y ai absolument pas touché parce qu’on l’a fait avec cette manière-là : il fallait que je puisse bouger les choses en permanence.

Du coup, le numérique a été un outil incroyable pour cette manière de faire, ça m’a permis de recomposer les pages [Antoine le regarde] tout en étant jugé par Antoine de Caunes [rires].

Il y a des pleines pages, doubles pages, des moments très graphiques, que ce soit avec la nature ou les esprits, comment tu travailles ces respirations ? 

X.C. : Je suis ravi que tu me poses cette question. Je me suis aperçu, au fil du temps, que j’étais plus un peintre frustré, en fin de compte, qu’un auteur de BD. Mais je n’ose pas vraiment me confronter à la peinture parce que j’ai toujours envie de raconter des histoires. Du coup, j’essaie de garder de la place dans mes livres pour lâcher les chevaux. 

Antoine, est-ce que tu as eu la tentation de visiter Eiao, de voir ce lieu ? 

A.d.C : Aucune. C’est trop loin, c’est trop compliqué et puis elle est tellement liée à un mauvais souvenir que je ne vois pas l’intérêt d’un pèlerinage là-bas. Je préfère garder l’image que je m’en fais.

Et toi Xavier, est-ce que tu as travaillé d’après photo ? 

X.C. : Contrairement à Antoine, j’aurais adoré aller sur place, parce que j’ai du mal à me figurer l’île. On a des cartes de l’île, mais d’un point de vue topographique, j’avais du mal à me représenter la chose. Georges de Caunes avait pris plein de photos et on voit qu’il n’y a que des cailloux, il n’y a pas grand-chose et je n’arrive pas à me représenter les reliefs.

Par contre, en allant sur YouTube, j’ai vu qu’il y a pas mal de gens qui, récemment, sont allés sur l’île et ont filmé, mais ça n’a rien à voir avec ces photos ni avec ses descriptions : c’est hyper verdoyant. Lui décrivait des cailloux, une terre rouge. Du coup, il a fallu que je m’empare de l’île, qu’elle devienne un personnage à part entière. Mais un personnage un peu indéfini, on n’arrive pas tellement à se représenter : c’est plus un décor de théâtre.

Et Georges ? 

X.C. : Comme il y a très peu de personnages, il fallait que j’arrive bien à les sentir. 

Et j’ai mis du temps avant d’apprivoiser le physique de Georges de Caunes, j’ai eu du mal à le chopper, mais c’était passionnant à faire. 

Et assez étonnant parce qu’effectivement j’ai fait plusieurs biographies, notamment de Rimbaud ou Egon Schiele, mais là il y a un rapport différent : je faisais la BD avec son fils, et je savais que toute la famille allait voir l’album derrière et je voulais vraiment que ça ressemble à Georges de Caunes.

Antoine, c’est un moment difficile de votre enfance, qui trouve un éclairage à la lecture de ses carnets une fois adulte, est-ce que creuser, l’imaginer, le faire vivre sur son île à à nouveau fait évoluer votre point de vue ? 

A.d.C : Ça m’a permis de revisiter cette histoire et d’essayer de comprendre un peu ce qui avait pu pousser mon père à se lancer dans une entreprise aussi cinglée, aussi dangereuse, aussi folle. Ça a ce mérite-là, mais je n’attendais pas non plus une catharsis, c’est plus de raconter une histoire qui me semblait digne d’intérêt avec une dimension suffisamment universelle pour intéresser tout le monde.

Il a voulu suivre le roman de Daniel Defoe, vous lui prêtez le Tintin qui évoque une île maudite, à 8 ans, et aujourd’hui c’est une bande dessinée, en réalité c’est une affaire de livre ? 

A.d.C :  Tout se boucle ! Évidemment, les livres c’est le cœur de la vie. La mienne en tout cas.

Le livre est enrichi d’un cahier d’archives à la fin, extraits du carnet de Georges de Caunes, coupures de presse & documents pour compléter l’ensemble qui se conclut sur sa dernière idée : s’installer 15 jours dans une cage du zoo de la Palmyre, en Charente-Maritime, pour observer les humains qui visitent le zoo. 

Thomas Mourier, le 2/12/2025
Xavier Coste & Antoine de Caunes - Il déserte - éditions Dargaud

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