Disparition de Rock$tar et actualisation de l'industrie musicale

Autour de la disparition d’une star, une formidable, poignante et hilarante galerie de personnages qui se donnent à fond, pour écrire un grand roman systémique du rock, de la marchandisation et de l’échappée belle, possible ou non.

Ils étaient des dizaines et des dizaines à s’être massés dans la rue du Chien d’or ce soir-là, parqués le long du trottoir derrière des barrières censées mettre un peu d’ordre parmi la foule. Sous l’œil des vigiles et d’une caméra qui, devant le mythique MirrorBall – depuis peu renommé « MB-Assur2iC » comme chacun sait -, filmait la scène pour les infos. Un événement. Fans de la première heure, mélomanes curieux, désœuvrés d’un soir désireux de se dire qu’ils y étaient, qu’ils avaient touché le mythe du bout des yeux. La rue avait été coupée à la circulation la veille. À deux pas de là, sur le boulevard Ginzberg, les dernières places se revendaient à prix d’or.
Dans cette foule compacte qui s’étirait devant la salle de concerts, un père et sa fille. Søren et Justine. Jordan, le fils, le grand frère, n’avait pas voulu venir. Pas sa came, qu’il disait. Lui préférait s’abrutir sur des trucs dépourvus de mélodie, du bruit précisait le père en écoutant ces hurlements dignes d’une truie qu’on égorge. Toujours mieux, rétorquait le fiston, un vrai petit merdeux quand il s’y mettait, que ce truc de dépressif ringard et prétentieux.
Les fans avaient passé la journée à poireauter dehors, certains même arrivés la veille pour être sûrs de pouvoir se poster au plus près de leur idole. Comme à chaque fois que Justin Ash se produisait quelque part. Quand les portes s’ouvrirent, tout le monde bousculait tout le monde avec une seule idée en tête : entrer dans les premiers et se ruer tout contre les barrières de sécurité au pied de la scène.
Lionel était aux premières loges, lui. Devait couvrir et documenter une bonne partie de la tournée pour Rock Diaries. Seul photographe de presse accrédité par l’entourage de la star, dont les exigences en la matière étaient inflexibles depuis qu’entre Ash et les journalistes le divorce était consommé. On avait donc accordé l’exclusivité à Rock Diaries, dont le big boss avait mandaté Lionel – qui, lui, n’avait rien demandé à personne. La musique d’Ash, déjà du temps de GEISH@, ça lui en touchait une sans chatouiller l’autre, comme disait Art., un vieux pote. Pas franchement sa came non plus, en l’occurrence. Ce qui avait rendu Chiara dingue de jalousie quand il lui avait appris la nouvelle. Chiara, sa meuf, qui comme tout le monde ou presque crushait sur Justin Ash. Au point d’en faire le sujet de sa thèse.
Et donc, ce soir-là, au MirrorBall. Lionel prenait des photos du public depuis la scène, oublieux de ce qui se tramait en coulisses. Les petits veinards qui avaient réussi à obtenir un billet arboraient un large sourire lorsqu’ils voyaient qu’on les visait. C’était la première du Give Up the Ghost Tour qui devait emmener Justin Ash et sa nouvelle formation, MyTrendyPianoBar, sur tout le continent, dans des salles à taille humaine où il ne s’était plus produit depuis que son succès avec GEISH@ l’avait propulsé sur des scènes érigées au milieu de stades énormes ou de salles ressemblant davantage à des entrepôts, des abattoirs ou des usines qu’à des lieux culturels.
Pour Lionel, c’était juste un job. Mais pour beaucoup de monde, c’était un événement – cinq ans que Justin Ash n’avait plus foulé une scène.

Alors qu’il doit donner son premier concert depuis cinq ans, la rock star mondiale Justin Ash disparaît. Positionné juste à la charnière stratégique de la culture musicale contemporaine, dans cette zone grise où l’on peut remplir des stades presque à volonté mais où l’on continue à poursuivre, éventuellement au prix de quelques incompréhensions, une réelle démarche artistique, Justin Ash incarne beaucoup de choses pour beaucoup de personnes. Enquêtes fiévreuses, éditoriaux abasourdis, déclarations opportunistes, « coups » marketing en gestation, soupçons complotistes, chagrins expressifs ou dépressions silencieuses : tout ce que l’entertainment agressif et la culture authentique peuvent produire se déverse tout à coup dans l’actualité mondiale, alors même que le mystère de cette disparition, malgré quelques pistes, rapidement avortées, résiste ardemment aux investigations des premiers jours puis des premières semaines. Et tout un peuple, petit ou grand, sincère ou cynique, de réagir à ce qu’incarne désormais Justin Ash, pour toute une chacune, tout un chacun, toute une industrie et, bien entendu, toute la chaîne de l’information

Ancien port fluvial, au nord de la ville. Où trois jours après la disparition de Justin Ash des dizaines d’entrepôts décrépissent, abandonnés aux rats et à la vermine. Aux mouettes aussi. Des bâtiments sans âge aux fenêtres colmatées par les toiles d’araignée. Le vent s’y engouffre, y module ses mélopées sinistres et complaisantes, s’entortille autour des machines laissées à la rouille, fait claquer des portes de métal sur leurs gonds désaxés, rouler des barres de fer qui ne servent plus qu’à briser des côtes ou fendre des tempes au gré des règlements de compte dont le lieu est ces jours-ci le théâtre. Ça, et les petits négoces, les trafics, les squats, les dépucelages précoces. Une descente de flics de temps à autre. Et des soirées sauvages, plus ou moins officielles, plus ou moins encadrées.
Comme ici, ce soir. Un vieil entrepôt réaffecté en salle de concerts. Plus underground tu meurs. E7, le nom de l’entrepôt perdu au milieu d’autres. Vous entrez par une lourde porte en métal découpée dans le flanc du bâtiment, sous des pans de tôles qui claquent. Au bout à gauche, une sono, des amplis, une batterie à même le sol. Le ronflement d’un groupe électrogène. Pas loin devant vous, un bar de fortune avec des frigos récupérés Dieu sait où, des fûts de bière bon marché qu’on dirait fraîchement débarqués d’un porte-conteneurs et dont vous ignorez s’ils sont pleins ou vides. Voire frelatés. Un vieux bout de tableau noir tenant vous ne savez comment avec, écrit à la craie, le prix des consos; Aux murs, des peintures, des sculptures de métal, de vieilles affiches au milieu de graffitis obscènes mais soignés. Parmi lesquels JUSTIN ASH IS GOD GAY. Une immense pendule rétroéclairée est suspendue à un mur derrière ce qui fait office de scène. Des câbles électriques traversent le bâtiment. Des douilles vides ici ou là. Des gobelets, des canettes, des mégots de cigarettes. Et pour seule lumière, froide et rasante, des projecteurs de chantier posés au sol qui prêtent au lieu une ambiance de cimetière un soir d’Halloween dans une vieille série B. Ce que confirme à chaque entrée en scène la fumée que crache une machine au milieu des amplis. Dehors, les voitures sont garées n’importe comment. Le long du fleuve, le long des entrepôts, des vieux cavaliers et palonniers n’ayant plus servi depuis des lustres, des grues rouillant dans l’attente d’être démontées, des pompes d’avitaillement. Ici, concert ou pas, toutes les nuits sont interlopes.
Vous sortez à présent prendre l’air, bière à la main, clope aux lèvres. MamMotherEction vient de terminer son set. Trente minutes de folie furieuse. De leur point de vue – Juju a filmé le set, ils débrieferont plus tard -, ils ont tout déchiré. Devant leurs potes venus s’éclater un samedi soir, se sortir du bahut, de ses injonctions au travail et des coupes prélevées sur l’avenir, échapper aux parents et aux règles. WOoouhouUH ! Le kif intégral. Quand est-ce qu’on remet ça les gars ?
Et tandis qu’ils débarrassent le plancher pour laisser la place à Sonic Paste qui clôt la soirée, dehors on ne parle déjà plus de musique, du moins pas directement et sûrement  pas de la prestation de MamMotherEction, on les connaît trop – Guilhom, Jordan, Greg, Jul, Clément, des potes de classe avec qui on traîne depuis le primaire parfois – pour reconnaître en eux autre chose qu’une bande de lycéens boutonneux aux cheveux gras, qui comme tout le monde puent des pieds dans les vestiaires de sport et flippent grave à l’approche du DS de maths. L’aura censée nimber leurs personnes en les plaçant à une distance infranchissable des autres, si proche soit-elle, est d’avance malmenée par la promiscuité qu’on leur connaît et, soyons francs, la médiocrité de leur jeu. Monzain peut-être pourrait y prétendre – le pion du bahut qui askip joue bientôt, dont le rang et l’âge avancé l’éloignent un peu d’eux. Quoiqu’on ne puisse s’empêcher de voir en lui le type relou qui te gueule dessus en étude parce que t’as fait tomber un truc et qui, perché à son bureau de pion, les tiags en éventail, mate Vénus Magazine pendant que tu trimes sur l’isométrie, les polymères ou les approches géostratégiques de la mondialisation. Non. Ce dont on parle au grand air en assimilant les vapeurs d’alcool, c’est comme partout ailleurs ; de Justin Ash – il y a débat, sur sa disparition ou sa contribution réelle à la rock music. Ça, et bien sûr les meufs, les profs, les darons. Et les trucs à faire tourner.

La musique rock, au sens large, avec tout ce qui l’accompagne ou l’environne, artistiquement ET commercialement, constitue un composant essentiel de la culture contemporaine, dans ses dimensions intimes comme politiques. Elle est un emblème aussi bien qu’un symptôme d’une certaine essence du capitalisme, moderne ou tardif, comme de ce qui fonctionne et dysfonctionne du côté des dites contre-cultures.

Toute une littérature vitale a su saisir avec beaucoup de talent le carburant qui anime le rock, depuis un intérieur réel ou fantasmé (et l’on se tournera vers Olivier Martinelli s’il s’agit de toucher du doigt l’énergie ou la transmission qui y sont à l’œuvre, avec « La nuit ne dure pas », « Une légende » ou « Mes nuits apaches », vers Nicolas Houguet et son « Albatros » ou vers Fabrice Colin et son « Big Fan », pour saisir ce qui se passe, pour le meilleur et pour le pire, au cœur du « fan », vers Douglas Cowie et son « Owen Noone et Marauder », lorsqu’entre en jeu le regard du musicien sur lui-même, ou encore vers Louis-Stéphane Ulysse et son « Médium les jours de pluie », pour approcher la dynamique amoureuse interne à une œuvre, et, bien sûr, vers Nick Hornby, son « Juliet, Naked » ou, davantage encore, son mythique « Haute fidélité », qui semblent parfois pouvoir englober l’ensemble – ou presque – de cette matière trop riche), et depuis un extérieur complice, subtilement analytique et critique (songeons aux essentiels Jean-Michel Espitallier« Du rock, du punk, de la pop et du reste » , Stan Cuesta« La musique a gâché ma vie », Michka Assayas« Un autre monde », ou encore Jean-Luc Manet« Haine 7′ – et, naturellement, le grand Nick Tosches« Hellfire », par exemple. Et on pourrait et devrait mentionner aussi, pour leurs fulgurances nécessaires dans ce vaste domaine, Mélanie Fazi, Fabrice Capizzano, Gilles Marchand, Erwan Larher, Julien d’Abrigeon, Benoît Vincent, Catherine Dufour et Mathilde Janin – sans oublier, rayonnant en formidable soleil noir, la poésie de Patrick Bouvet (et tout particulièrement ses « Carte son », « Petite histoire du spectacle industriel » et « Media Machine Muzak »).

Quatrième roman de Stéphane Vanderhaeghe, publié chez Quidam éditeur en août 2025, « Rock$tar » parvient, de plus d’une manière, à exprimer l’ensemble insensé de tout cela – et c’est déjà en soi un véritable tour de force -, mais aussi quelques autres ingrédients essentiels du rock, qui ont sans doute à voir avec la nature profondément politique de la culture et des (revendiquées) contre-cultures.

C’est ainsi que, davantage encore que du côté de l’essentiel « Lipstick Traces » de Greil Marcus et de sa lecture secrète du XXe siècle à l’aune du rock, on pourrait trouver les véritables résonances de ce roman, les lignes souterraines qui lui prêteraient peut-être leur concours décisif, chez le Marc Spitz de « How Soon Is Never ? », incroyable roman, hélas jamais traduit en français, imaginant une tentative de reformation des Smiths à l’initiative d’un fan particulièrement déterminé, pour livrer une passionnante vision de l’industrie du rock, business autant que passion, et dans l’économie eskimo forgée par Pacôme Thiellement (on vous parlera prochainement de cet ouvrage lumineux sur ce blog) à propos de Frank Zappa (mais irriguant un territoire encore beaucoup plus vaste), pour imaginer précisément certaines échappatoires apparemment incongrues face au mur d’airain de l’argent-roi, en y instillant une dose bienvenue de situationnisme (de la contestation du spectacle remplacée par le spectacle de la contestation jusqu’au barnum de la récupération et de l’intégration marchande de la création).

Un peu partout dans la ville, la vie finit par reprendre son cours, morne et apprivoisé. Malgré les questions sans réponses et après une première vague de suicides alimentée par le désespoir et un sentiment d’abandon dans les semaines ayant suivi la disparition, les gens progressivement font leur deuil ou se persuadent que Justin Ash refera surface un de ces quatre matins. Mais quelle que soit l’option à laquelle on a envie de croire, ce qu’on se répète ad libitum, désormais, tel un vieux refrain usé à force d’être repris et varié, c’est que sans Ash le rock est définitivement mort.Et qu’il est temps de passer à autre chose pour celles et ceux qui le peuvent. Justin Ash n’étant plus là pour l’incarner, le rock – le vrai, le dur – cette musique contestataire faite de sang et de fureur, faite de sueur et de bruit, cette musique rebelle et non-conformiste, n’est plus qu’une relique du passé à laquelle, un temps, on a pu croire en fantasmant que le monde, électrisé par les accords barrés et pétri par les lignes de basse, pouvait être changé, que les murs pourraient enfin tomber depuis le temps qu’ils tremblaient sous les coups et les frappes assénées aux peaux tendues des batteries, que l’utopie pouvait être nourrie à la source, et qu’à force de hurler la colère et la résistance, de louer le sexe et la liberté des corps, de prôner la fronde et de vilipender les politiques, le système finirait par s’effondrer sur lui-même, emporté par des cascades de décibels – bref, qu’un monde nouveau, libre, singulier, dédié à la paix et à l’amour, à la jouissance immédiate, à l’art et la musique, était possible au bout des couplets/refrain/bridge à 120 BPM en 4/4.
Ce à quoi Chiara Tripani médite ces jours-ci en tâchant de mettre un peu d’ordre dans ses notes et ses idées, qu’elle va bientôt devoir soumettre à son directeur de thèse, Paul Gondrieux. Le fond de sa pensée ? Le rock est mort. Pour de bon. À force de le répéter tel un mantra depuis des lustres, il fallait bien que ça finisse par arriver. Justin Ash aura été la dernière rockstar. Qui d’autre, aujourd’hui, pour reprendre le flambeau ?
Depuis ses origines jusqu’à la disparition inexpliquée, mais pas incompréhensible, d’Ash, le rock s’était peu à peu dilué, sa pointe critique émoussée. Même s’il n’en avait pas eu l’air, à sa façon Ash avait été le dernier avatar punk, et à ce titre incarnait une ultime tentative de résistance. Or sa disparition, pour Chiara, était précisément à comprendre comme un signe, un aveu d’impuissance : le combat qu’il avait mené – consciemment ou pas, d’ailleurs, là n’était pas la question – contre la marchandisation du monde et le gommage des marges, s’était soldé par un échec cuisant. La dissolution de GEISH@, après un premier infléchissement musical vers des sonorités plus âpres et dépouillées, plus froides, accompagnées de textes moins immédiatement intelligibles et dont la force rhétorique s’était lentement atténuée au profit de paroles plus abstraites – lorsqu’il y en avait encore -, travaillées par l’ambiguïté, rongées par une insaisissable et flottante ironie, une autoréflexivité souvent dévastatrice, était à percevoir comme une première étape nécessaire : il fallait saborder le groupe, saper les bases sur lesquelles son succès reposait, pour l’empêcher de devenir, trop tard hélas, ce qu’il était devenu. Une marque. Un produit. Une entreprise. Une erreur.

À la ville, l’auteur, maître de conférences à l’université Paris 8, enseigne la littérature américaine et la traduction, et poursuit ses recherches plus particulièrement sur les pratiques expérimentales dans la littérature américaine contemporaine, spécialiste entre autres de Ben Marcus, de Blake Butler ou de Robert Coover (on attend avec une vraie impatience de se plonger dans son « Dear Incomprehension – On American Speculative Fiction », publié en 2024 chez University of Alabama Press). On ne sera donc pas totalement surpris (et moins encore si on a lu ses trois romans précédents) de l’extrême brio développé ici pour saisir une vaste complexité à travers une galerie de personnages hauts en couleur, détonants et même parfois baroques, déjouant les attentes lorsqu’ils procèdent initialement d’un cliché rock connu, faisant exploser les barrières et les frontières entre genres littéraires et domaines d’extension des luttes lorsqu’ils surgissent de derrière l’horizon habituel des possibles. La mise en scène subtile d’une mascarade dans laquelle la fanfare sait se montrer diablement subtile est certainement l’un des plus beaux secrets de fabrication du grand post-modernisme (dont Robert Coover à nouveau, Thomas Pynchon ou John Barth seraient, éventuellement et par exemple, des incarnations maximales) : Stéphane Vanderhaeghe nous prouve ici, de manière éclatante, sa haute maîtrise de ces ingrédients expérimentaux, délicats et foisonnants, et de sa capacité rare à transformer un travail minutieux de la forme en un grand écho littéraire de la foulée bien particulière adoptée par le Johnny Depp de « Las Vegas Parano », pour se déplacer avec les précautions nécessaires dans les chambres d’hôtel où vivent précisément les rock$stars.

On savait depuis les excellents « Charøgnards » (2015) et « À tous les airs » (2017) à quel point Stéphane Vanderhaeghe excelle à inventer l’écriture spécifique et nécessaire pour des moments de vacillement et de délitement, de dissolution des certitudes et de montée des faux-semblants. On savait depuis « P.R.O.T.O.C.O.L. » (2022) qu’effectuer comme mine de rien la revue en profondeur d’une vaste mythologie contemporaine, telle celle de la révolte, de la révolution et du complot ne lui faisait aucunement peur. Avec « Rock$tar », il nous offre sans doute – et offre du même coup à la littérature – le grand roman systémique du rock (un rock aussi rhizomique et endurant que fragile et exposé), de la culture et de sa marchandisation, et de l’échappée belle, interstitielle, qu’elle soit possible ou non in fine.

Or une poignée de fans s’insurgeaient, pour qui Varnish n’était ni plus ni moins qu’une autre manœuvre commerciale de la part de la maison de disques. Certains doutaient même de l’authenticité du morceau. La voix était trafiquée et méconnaissable, pouvait être celle de n’importe qui, voire une voix de synthèse chauffée par l’IA – ce qui en soi ne voulait rien dire : Ash avait fait le coup sur plusieurs chansons, déjà du temps de GEISH@ ; il n’avait jamais hésité à la triturer à l’aide de multiples effets qu’il superposait pour écraser sa tessiture, obtenir un grain plus synthétique – la dépersonnaliser en quelque sorte, pour ne pas dire la déshumaniser. Pour qui connaissait Ash, le geste était loin d’être neutre et les spécialistes y voyaient une manière de critique adressée à l’industrie. Il n’avait jamais voulu commenter son geste, mais le tour réflexif qu’avait pris son œuvre avait été amorcé dès le deuxième album de GEISH@, Hipsters Inc., sur lequel figurait ironiquement le titre « Rate this Song » par exemple. Trois ans plus tard, l’album Radio-Friendly (Hit Mu$ick Only) ne laissait plus aucun doute quant au virage méta-musical qu’avait pris le groupe, qui se confirmerait encore avec One-Hit Wonder quatre ans après, l’ultime album original de GEISH@.
Leroy ne savait pas quoi en penser. Le titre était plutôt bon. Et s’il n’avait pas été écrit par Ash, la contrefaçon était quasi parfaite. Si en revanche la chanson était authentique, la question demeurait : où et comment la maison de disques l’avait-elle dénichée ? Qui avait autorisé la diffusion de ce morceau ?
Mais Søren Leroy laissait ces questions à d’autres, plus compétents sans doute que lui pour y répondre. Il avait d’autres projets en tête ; se battait sur d’autres fronts où la rumeur frappait.

Hugues Charybde, le 2/12/2025
Stéphane VANDERHAEGHE - Rock$tar - Quidam éditions
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