La croisière de l'angoisse fait peau neuve chez l'Olivier

A un moment où la bête immonde recommence à vagir avec le petit chenu, l’adolescent bordello et les LR qui sucent à la roue, il est de bon ton de lire à gauche, les œuvres du père du thriller, Eric Ambler, homme autant de gauche que de goût qui a offert des romans noirs pointus sur la politique et ses évolutions des années 40 à la fin du XXe siècle. Et justement, L’Olivier republie en une nouvelle traduction de Marc Gibot, Journey into Fear, La Croisière de l’angoisse

Plusieurs de ses récits d'espionnage sont portés à l'écran : en 1943, La Croisière de l'angoisse, sous le titre Voyage au pays de la peur par Norman Foster et Orson Welles et Au loin, le danger, sur un scénario de W.R. Burnett sous le titre Intrigues en Orient par Raoul Walsh, et en 1944, Épitaphe pour un espion sous le titre Hotel Reserve par Lance Comfort et Le Masque de Dimitrios sous le même titre par Jean Negulesco avec Peter Lorre et Sydney Greenstreet. Contrairement aux récits manichéens à l'atmosphère lourde et angoissante jusqu'alors privilégiés par le genre, les romans d'espionnage d'Ambler mettent en scène des gens ordinaires, qui deviennent espions par hasard ou par sottise. Ces antihéros, souvent charmés par les idéaux du patriotisme triomphant, se retrouvent victimes de traquenards, de méprises ou de faux-semblants et remettent en doute un peu trop tard les mensonges du pouvoir. Homme de gauche, Ambler met à profit sa connaissance du milieu des affaires et sa formation d'ingénieur pour construire des récits crédibles qui, bien que teintés d'humour, demeurent impitoyables dans leur dénonciation de la raison d'État et des valeurs dominantes de l'Occident capitaliste.

Istanbul, décembre 1940. Graham, un ingénieur anglais spécialisé dans l’artillerie de marine, est pris pour cible par un tueur à gages en rentrant d’une boîte de nuit, le Jockey Cabaret. Le chef des services secrets turcs, un certain colonel Haki, décide de l’exfiltrer d’urgence. Nous voici plongés dans une atmosphère trouble qui n’est pas sans rappeler celle d’un autre roman d’Eric Ambler : Le Masque de Dimitrios.

Graham embarque sur un cargo italien, le Sestri Levante, qui doit le ramener en Europe. Commence alors une angoissante partie de cache-cache avec les neuf autres passagers qui voyagent à bord de ce cargo, et dont l’identité semble parfois douteuse. Dans le grand jeu de l’espionnage, Graham a tout d’un amateur. Parviendra-t-il vivant à destination ?

Eric Ambler décrit ce huis-clos avec la précision mêlée d’humour typiquement britannique qui est sa marque de fabrique. Vingt ans plus tard, Ian Fleming, l’inventeur de James Bond, saura s’en souvenir.

Jean-Pierre Simard, le 25/11/2025
Eric Ambler- La Croisière de l’angoisse - éditions de l’Olivier

Dolores Del Rio & Joseph Cotten, les héros du film