Sur l’affaire « Mila », par André Markowicz

Sur l’affaire « Mila ».

Je n’avais pas suivi cette affaire « Mila ». Et là, d’un seul coup, je regarde et j’essaie de comprendre. Donc, cette jeune fille discute en direct sur internet avec une copine, se fait entreprendre par un mec (visiblement arabe, c’est ça ?), le rembarre, se reçoit une bordée d’insultes racistes et sexistes, s’énerve, lui dit que l’islam est une religion de merde, et là, à cause de ça, c’est la terre qui arrête de tourner en France. Je veux dire, cette Mila se fait insulter sur tout le réseau, reçoit des menaces de mort, est obligée de se cacher, d’abandonner son établissement scolaire et de vivre sous la protection de la police, juste pour ce qu’elle a dit, dans un mouvement de colère (en fait, totalement justifié) et ça remonte jusqu’aux dirigeants du culte musulman en France, et jusqu’au gouvernement — et, dans les deux cas, on arrive à des résultats accablants.

Parce que tout est accablant dans cette affaire. — D’abord, la réaction du mec, et, disons-le, la réaction des mecs qui soutiennent le crétin raciste qui a commencé. Mais qu’est-ce qu’ils ont dans la tête pour penser que toutes les filles, s’ils les veulent, doivent obligatoirement être à eux ? Je veux dire, est-ce que c’est un effet de la religion en tant que telle, ou un effet de la connerie machiste alliée à une non-lecture de la religion ? Qu’est-ce qu’ils ont, comme merde, oui, dans la tête, pour penser ça ? J’ai fait une chronique, il y a quelques années, sur les prêches des imams sur YouTube, ça m’avait sidéré, le niveau d’obscurantisme, et la haine de la femme.

Ensuite, les menaces de mort, et là, c’est autrement plus grave : comment ça, cette Mila n’est plus en sécurité chez elle (parce qu’il y a quelqu’un qui a donné son adresse) et elle a dû quitter son lycée ? Attendez, il y a quelqu’un qui la menace chez elle ? Dans son lycée, ou quoi ? — Je suppose que, dans ce lycée (je ne sais pas où il est, et je ne veux pas le savoir), il n’y a pas de membres de Daesh. Et donc, qui, précisement, la menace ? Le fait est qu’elle reçoit des dizaines de menaces de mort — c’est-à-dire qu’il y a des dizaines (voire des centaines) de personnes en France qui sont prêtes à menacer de mort, voire à tuer vraiment, quelqu’un qui a juste dit ça, que l’islam est une religion de merde ? Et ça veut dire que ces menaces sont suffisamment sérieuses pour que l’Etat cherche à cette Mila un établissement scolaire, et mette déjà tellement de temps à le trouver, parce que, visiblement, elle est en danger partout ? — C’est-à-dire, très concrètement, très simplement, que la campagne de terreur qui, en France, a culminé avec l’attaque contre Charlie, en fait, elle continue — non pas contre des « vedettes » mais contre n’importe qui ? Il faut bien admettre que oui.

Ensuite, les réactions. Comment se fait-il que les voix qui s’élèvent pour défendre Mila, ce sont, dans une majorité écrasante, celles de la droite sinon de l’extrême-droite ? Comment se fait-il que nous laissions à des sarkozystes, voire à Marine Le Pen le monopole, quasiment, de l’indignation ? Est-ce un effet internet, ou, je ne sais pas, de censure ?... — Mais, je dois le dire, je viens de voir (tout récemment, après des jours et des jours, donc), une réaction très correcte, quoique partielle, de Mélenchon.

Ensuite, la réaction de Nicole Belloubet... sur l’atteinte supposée à la liberté de conscience que constituerait le blasphème, dans un pays laïc. Et de voir qu’il y a eu deux plaintes déposées en même temps : une pour menaces de mort (contre ceux qui menacent Mila) et l’autre... contre Mila elle-même (pour atteinte à la liberté de conscience)... Evidemment, cette deuxième plainte, déposée, donc, visiblement, à l’initiative du ministère de la Justice, a été classée en deux jours, parce qu’elle est absurde, juridiquement parlant. Richard Malka a raison de dire que Dieu n’a aucun droit en France. Mais, ça, qui devrait en être le garant, sinon la ministre de la Justice ? — Laquelle s’en sort en parlant de « maladresse ». Ce n’est pas une maladresse, c’est une faute lourde, une atteinte au principe fondateur de la République , et Nicole Belloubet, pour cette faute lourde, ne peut pas s’en tirer comme ça.

Au total, donc, quoi ? —

Une terreur quotidienne, toujours prête à rejaillir à la surface, sitôt qu’on dit quelque chose contre l’islam ; un racisme latent, et une haine de la femme — de la femme libre, de la femme qui répond — là encore, toujours prête à s’enflammer ; une absence totale de distance et de prise en compte du fait qu’en France, on peut dire ce qu’on veut sur les religions (pas sur les gens qui pratiquent ces religions) ; la droite et l’extrême-droite qui s’engouffrent pour protéger, n’est-ce pas, les « valeurs nationales » : et le ministère de la Justice qui non seulement se ridiculise, mais porte atteinte à toute notre histoire républicaine.

Et tout ça, pour une conversation de dix secondes sur un « chat ». — Un instantané de la France aujourd’hui.

André Markowicz, le 5 février 2020

Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses fameux posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime sur les "affaires du monde" et son travail de traducteur. Nous lui en sommes reconnaissants.