Le petit prince de Jalal Adaem, par Tieri Briet. Quand la France renvoie des réfugiés se faire tuer au Soudan

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La nuit va venir pour Jalal. Encore une autre nuit d'avant l'hiver en novembre, une nuit de solitude et d'oppression, une nuit d'enfermement derrière les barbelés du Centre de Rétention Administrative, à Rennes où Jalal est détenu depuis 49 jours. Longue nuit obscure et sans espoir dans une zone sale et policière qui sert à enfermer les exilés avant déportation : rapatriement de force vers le pays qu'ils ont fui au péril de leur vie.

Jalal Adaem a 25 ans. Il vient d'un camp de réfugiés au Soudan qu'il a fui quand il avait seize ans, juste après le massacre de sa famille par une milice de l'armée. Depuis le mardi 8 octobre 2019, Jalal est enfermé au Centre de Rétention Administrative de Rennes, dans l'attente d'être renvoyé dans son pays où les militaires qui ont tué ses parents l'attendent en se frottant les mains : régulièrement, l'État français leur renvoie par avion des opposants menottés qu'il suffit de jeter en prison avant de passer aux séances de torture.

Depuis le 8 octobre, cela fait donc 49 jours et nuits d'angoisse pour Jalal. Comme les autres étrangers enfermés, il a subi l'oppression des fouilles, des menottes et des insultes de la part des agents de la Police Aux Frontières et le mercredi 20 novembre, nous étions une centaine devant la préfecture de Nantes, pour contester l'expulsion de Jalal vers le Soudan. Les amis soudanais de Jalal étaient là, et les amis français, européens, peu importe, nous étions là nous aussi.

En langue arabe, Jalal vient de nous faire parvenir un message. Je recopie ses mots qu'on vient juste de traduire en français : « J’étais dans mes moments les plus sombres mais le fait que vous soyez à mes côtés m’a rendu plus fort. Je préfère mourir ici en prison, restez avec moi ou j’irai en enfer. SAUVEZ-MOI DE HEMITI ! SAUVEZ-MOI DES JANJAWID ! Je vous remercie du fond de cœur, l'enfer m’attend, sauvez-moi ! Je suis oppressé. Merci, vous êtes dans mon cœur.»

Mohamed Hamdan Dogolo, celui qu'on surnomme Hemiti, le «général Terreur», est un chef de guerre, officier de l'armée soudanaise. Il commande une milice arabe au Darfour, les janjawid, qui font régner une violence systématique à coup de meurtres et de pillages parmi les civils, au sud du Darfour. En juin 2019, le général Terreur a dirigé la répression à Khartoum, qui a fait plus d'une centaine de morts civils, avant de devenir l'un des hommes forts du gouvernement de transition mis en place pendant l'été.

À tous ceux qui lui rendent visite au parloir, Jalal répète inlassablement qu'il préfère mourir ici, dans une prison française, plutôt que d'être envoyé en enfer là-bas, au Soudan. Après l'heure des visites, pour continuer d'apprendre le français, Jalal se plonge dans la lecture du Petit prince, le livre de Saint-Exupéry qu'en France on offre à nos enfants. Les nuits restent noires et glaciales dans la prison pour étrangers de Rennes , et le Darfour reste un tombeau pour ses enfants qu'un préfet de Loire Atlantique continue d'envoyer à la mort.

Pourtant, malgré la procédure d'expulsion du territoire français, malgré l'aveuglement de la machine administrative nationale, Jalal garde encore espoir et apprend notre langue en répétant les mots du Petit prince, dans les dernières pages du livre, juste avant qu'il ne retourne dans son étoile : — J'aurai l'air d'avoir mal... j'aurai un peu l'air de mourir. C'est comme ça. Ne viens pas voir ça, ce n'est pas la peine.

Tieri Briet

Pétition pour la libération de Jalal : https://www.change.org/p/prefecture-loire-atlantique-gouv-fr-jalal-une-expulsion-vers-la-mort-merci-l-etat

Page Facebook : https://www.facebook.com/Mobilisons-nous-pour-Jalal-ADAEM-110789153711952/


Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il a grandi à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu voyageur-ferrailleur pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Il écrit pour la Revue des ressources, Ballast et L'Autre Quotidien en continuant d'explorer la Bosnie, le Kosovo et l'Albanie pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ».

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