La gauche arrive enfin au pouvoir en Colombie

Gustavo Petro et Francia Márquez célèbrent leur élection à la présidence et à la vice-présidence de la Colombie, respectivement.

La candidature de Gustavo Petro, qu'il a remportée avec un taux de participation historique, représente les voix des secteurs traditionnellement exclus des organes de décision.

Gustavo Petro est le nouveau président de la Colombie. Avec 11 281 002 voix contre 10 580 399 pour Rodolfo Hernández, la gauche arrive finalement au pouvoir avec le candidat du Pacte historique.

Sa victoire est sans précédent car il représente les voix de secteurs traditionnellement exclus des organes de décision. Et bien qu'il y ait eu dans le passé des dirigeants ayant une tendance idéologique de gauche, comme Alfonso López Pumarejo, Petro est le premier à arriver au pouvoir en représentant les secteurs qui se sont traditionnellement opposés à l'Establishment.

Sans compter qu'il est accompagné de Francia Márquez, une dirigeante sociale de La Toma (Suárez), Cauca, une femme noire qui, avant de devenir avocate, était employée de maison. Elle représente des secteurs ethniques et régionaux qui n'avaient jamais occupé la Casa de Nariño auparavant.

La participation a battu tous les records. 58 % des Colombiens ont voté. De plus, ils l'ont fait avec un taux de participation record, le plus élevé en un demi-siècle depuis les élections de 1974, alors que le Front national venait de prendre fin. C'est un triomphe, en outre, qui n'était pas gagné d'avance.

Le grand retour de Petro au second tour

Bien que Petro ait remporté le premier tour avec 40 % des voix et 8 527 132 votes, l’addition des voix des deux premiers candidats de la droite donnait le trumpiste Rodolfo comme favori. Si l'on additionnait les 28 % qui ont voté pour lui au premier tour et les 24 % qui avaient voté pour "Fico", il obtenait déjà 52 %.

Le résultat d'aujourd'hui montre que la somme n'était pas mathématique.

L'élan de Rodolfo après le premier tour n'a duré que quelques heures. Il a laissé Petro prendre toute la place et a perdu l'initiative. La campagne de Petro a lancé une opération systématique de destruction de l'image de son rival (avec un puissant appareil d'intimidation numérique et l'aide des erreurs de communication de Rodolfo, bien sûr), le dépeignant comme sexiste, antidémocratique, exploiteur de pauvres.

Petro s'est projeté comme le candidat le plus institutionnel et a déployé une armée d'émissaires politiques dans tout le pays.

Dans le même temps, Petro - avec un discours beaucoup plus modéré que celui qu'il a utilisé au premier tour et la promesse d'appeler à un Accord National - gagnait le soutien de personnalités du centre, comme les économistes Alejandro Gaviria et Rudolph Hommes, des politiciens comme Angélica Lozano et Juan Fernando Cristo, et d'autres leaders d'opinion qui avaient accompagné Fajardo au premier tour.

Sous la table, le candidat du Pacte a également fait des alliances avec des structures politiques moins respectables comme celles de Zulema Jattin, sous enquête pour parapolitique, et celles de criminels condamnés comme William Montes, les "Ñoños" et même Eduardo Pulgar, qui a assuré le transport pour emmener des partisans de Petro voter dans diverses régions du pays.

Cette logistique du jour J a également contribué à augmenter le pourcentage du vote total dans les zones favorables à Petro, ce qui lui a finalement donné la victoire. Le total des voix a augmenté de 1,2 million de voix par rapport au premier tour. Entre ce moment et aujourd'hui, le candidat de gauche a gagné 2,7 millions de voix tandis que Rodolfo a perdu 600 000 voix par rapport à ce que lui et Fico avaient le 29 mai.

À Bolívar, par exemple, le vote a augmenté de 12 %, à Sincelejo de 11 %, à Chocó de 15 %, à Atlántico de 14,5 %. En revanche, dans les endroits où Rodolfo avait une chance de progresser, comme à Antioquia, le vote a augmenté de moins de 1 %, et à Santander de 2,3 %, alors qu'au niveau national, il a progressé de 6 % au total.

Évidemment, Petro a été aidé par le fait d'avoir un rival qui, au second tour, n'est pratiquement pas apparu à la télévision ou sur les réseaux, qui n'est pratiquement pas sorti dans les rues ou n'a pas donné d'interviews, et a fui les débats télévisés. Et surtout, il n'a pas mis une seule idée sur la table, si ce n'est de mettre fin au "vol".

Malgré cela, Rodolfo est aussi entré dans l'histoire. Obtenir plus de voix que n’en avait obtenues l’ancien président Iván Duque, sans le soutien de politiciens et sans une longue trajectoire politique, sans investir presque aucun argent et sans compter sur rien d'autre que lui-même et une structure numérique multiniveau de type Herbalife, lui avait ouvert désormais un chemin sans précédent vers la présidence.

Ce qui vient après

Rodolfo Hernández a reconnu très tôt les résultats du deuxième tour et a proposé sa collaboration à Petro. Le leader traditionnel de la droite Álvaro Uribe a fait de même. Grâce à ces gestes démocratiques, le pays s’épargne le cauchemar des scrutins contestés et le risque de manifestations de colère dans les rues. Bien que, comme il l'a fait par le passé, Gustavo Petro ait commencé à semer des doutes sur la transparence du processus électoral dès 8 heures aujourd'hui, la question de la fraude sera enterrée.

Le triomphe de Petro, le plus important leader de l'opposition en Colombie, renforce la démocratie, car il met fin à l'idée que l'exclusion politique qui, pendant des années, a justifié la violence politique et alimenté l'imagination des Colombiens qui ont rejoint la guérilla, comme Petro lui-même, ait une raison de continuer d'exister.

Dans son discours de victoire, Gustavo Petro a mis l'accent sur la réconciliation du pays et son idée d'un accord national autour des réformes dont la Colombie a besoin. Il a explicitement déclaré qu'il n'était pas venu dans un esprit de vengeance et qu'il serait ouvert à une rencontre avec l'opposition, dirigée par qui que ce soit.

Il a défini les trois lignes de son gouvernement : la paix, la justice sociale et la justice environnementale, en mettant l'accent sur la question du changement climatique, le parapluie sous lequel il finira par promouvoir les transformations du modèle économique qu'il a promis (il n'a pas mentionné la pandémie ni le président Iván Duque, l'un des grands perdants de la journée).

"Nous allons développer le capitalisme en Colombie. Pas parce que nous l'aimons. Mais parce que nous devons d'abord surmonter la pré-modernité en Colombie, le féodalisme, le nouvel esclavage", a-t-il déclaré. Il a également intercédé pour les jeunes manifestants de la Première Ligne (l’équivalent du Black Bloc) arrêtés par la Justice la semaine dernière et pour les maires suspendus par la Procuraduría pour avoir fait campagne pour lui (c'est-à-dire Daniel Quintero, le maire de Medellín).

Il a également précisé que son ambition ne se limitera pas à la Colombie, mais que, sous l'égide de la protection de l'environnement, il tentera de se projeter comme un leader latino-américain.

Le discours d’investiture - long et non écrit - a été prononcé par Petro sur une scène de la Movistar Arena, où, outre sa famille, Francia Márquez et des membres de son mouvement Soy porque Somos (Je suis parce que nous sommes) étaient présents. Le fait que la vice-présidente, Francia Márquez, soit une Afro-colombienne est en soi un grand changement.

Antanas Mockus, qui a rejoint Petro dans la dernière ligne droite, et la mère de Dilian Cruz, le jeune homme tué par la police lors des manifestations de 2019, sont également montées sur scène pour demander justice pour son fils et les "victimes des faux positifs" (ndt: meurtres de civils déclarés comme des pseudo-guerilleros par les forces armées).

Aujourd'hui, une nouvelle ère commence pour la Colombie. Et cette photo en dit plus que mille mots.

Juanita León

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Cet article a été initialement publié dans le média colombien La Silla Vacía.