Que l’ancien monde tombe comme une peau morte. Par Natacha Samuel

IZIS (Israël Bidermanas, dit) (Français, Lituanien, 1911-1980), Le muguet du 1er mai, place Victor Basch, Paris, 1er mai 1950

IZIS (Israël Bidermanas, dit) (Français, Lituanien, 1911-1980), Le muguet du 1er mai, place Victor Basch, Paris, 1er mai 1950

Le virus est un fait social total, notre temps s’y précipite. Il est à la fois politique sanitaire et métaphysique. Vouloir penser vite et de manière synthétique ce qui nous arrive n’a pas de sens. Il s’agit au contraire de déplier, d’ouvrir à tout ce qui est vrai à la fois.

Virus est extrêmement dangereux, si nous ne nous protégeons pas c’est l’hécatombe.
Il est le fruit de la destruction en cours du vivant par le capitalisme.
Il n’est pas la première épidémie de l’histoire, il y en a eu encore récemment de terribles.
Il n’est pas la principale cause de mortalité actuelle. Le paludisme tue ainsi chaque année des millions de gens alors qu’ils pourraient être soignés. Mais covid a commencé par toucher les riches qui voyagent et serrent des mains, ce qui a immédiatement alerté.

Les pouvoirs en place habitués à la toute puissance ont craint plus que tout d’être accusés d’impuissance face à si petit. Ils ont alors déployé le fait du pouvoir et l’état d’exception, chacun révélant son mode opératoire et la longueur de son bras.

L’effet d’aubaine est incontestable : un rêve pour le capitalisme, chacun encaserné chez soi, ne sortant que pour consommer ou produire, la consommation et la production pénétrant de toutes façons à la maison plus que jamais. Abattus les murs de nos îlots d’amour et de sens. Chacun infiniment contrôlable au corps, une vieille dame qui s’assoit sur un banc, une jeune femme qui va acheter des tampons, un garçon qui a mis une banderole à sa fenêtre, un autre qui fait du scooter. Et la mort dans l’air, la désacralisation avérée de la mort et de la vie donne, comme en temps de guerre, le droit à la gâchette facile. À l’abandon décomplexé des déjà abandonnés. À mort les morts, exilés pour toujours sur les routes barbelées et les mers agitées, sans abri sans manger sans eau, vieux qu’on laisse tomber en institution comme des mouches. Tous les improductifs à la lanterne.

L’inconscient de l’époque se littéralise, tout vient au jour. Profitons de cet éclairage cru et de ce temps dilaté pour observer minutieusement, comme si la lumière n’était là que pour quelques instants.
Observer aussi poindre l’espoir et la grâce : les chants d’oiseaux et les odeurs d’arbres dans les rues de la ville débarrassée des monstres voitures, la démonstration du possible arrêt de la machine et de la force de la nature qui reprend droit, la conscience joyeuse de la responsabilité individuelle et des liens de solidarité active.

Cet espoir, comme ces alarmes, doivent faire date : ce monde c’est nous qui l’avons bâti, nous qui le bâtissons chaque jour, tous responsables de l’état du monde tant que nous vivons. La machine tourne d’ordinaire parce que nous ne cessons de la faire tourner.

La catastrophe (écologique) est le bout du capitalisme, nul ne peut maintenant l’ignorer. A nous de refuser. D’acheter. D’obéir. A nous de continuer à tisser des liens solidaires et affinitaires, à créer la ville, à organiser la résistance. Sans se perdre en controverses, le binaire est notre écueil, la pensée de chacun ne doit pas chercher à dominer mais au contraire à accueillir, à rencontrer, à mouvoir.

Nous avons un pied dans la porte, un levier. Peut être se dire que la révolution est déjà en route, qu’il s’agit pour chacun d’y travailler chaque jour. Rejoindre les assemblées de quartier, les archipels d’action et de sens. Les faire pousser, que l’ancien monde tombe comme une peau morte.

Natacha Samuel, le 1 mai 2020