Révolte Chronique (1). Par Christian Perrot

L'actualité nous tombe dessus. Et comme elle a souvent la douceur d'un mur qui s’effondre, bonjour les dégâts !


Il va falloir que les syndicats de policiers qui semblent diriger le ministère de l'Intérieur trouvent quelque chose de fort pour mettre en cause la véracité de cette vidéo d’une arrestation tournée le 26 avril à deux heures du matin sur l’île Saint-Denis, et justifier le comportement et les paroles des policiers qu'on y voit et entend. C'est un peu fort comme formule ? Mais c'est quand même comme cela que ça se passe aujourd'hui en France, une cogestion du "maintien de l'ordre" et des carrières des policiers entre les élus et ceux qui sont sensés leur obéir, et donc détenir, "au nom de la République", le fameux "monopole de la violence", qui leur a été concédé par des bourgeois lâches : une exemption de l'état de droit scandaleuse et absolument anti-démocratique, la racine de tous les abus impunis, des échecs des "enquêtes" de l'IGPN, du peu d'empressement de la justice à poursuivre et condamner des policiers.

Alors certes, pour ce qu'on en voit, on peut dire en faveur de la police qu'au moins cet homme a été repêché (en effet, on aurait pu le laisser se noyer purement et simplement). C'est la moindre des choses, mais au moins, si cela a existé - on n'en a pas les images - c'est évidemment bien. Mais tout le reste parle de lui-même. Pas raciste, la police française ?

- PS : merci à Taha Bouhafs. D'après les syndicats policiers, et hélas quelques journalistes, il paraît qu'il est trop "militant" pour être un vrai journaliste. Ils se font une drôle d'idée de ce que doit être un vrai journaliste.

Lewis Hine

Lewis Hine

Le temps des ouvriers (et le nôtre)

Une série en quatre épisodes d'Arte dont je découvre le premier épisode en ce moment-même. C'est passionnant et fondamental. Regardez-la. Montrez-la à vos enfants. C'est l'histoire de notre expropriation et de notre mise en esclavage depuis le dix-huitième siècle. L'enfer des ouvriers. Des paysans et artisans indépendants dépouillés de leurs biens et savamment ruinés - ou, s'il le fallait, chassés de chez eux, leur maison brûlée, par les voyous engagés par les propriétaires, puis par la police et l'armée - pour que leur seule chance de survivre soit celui de se vendre, eux et leur famille entière, enfants de cinq ans compris, aux propriétaires des fabriques, et des machines qu'il fallait faire tourner, pour faire du profit, et pour cela contraindre des gens qui n'en avaient pas la moindre envie à vendre leur force de travail pour un bout de pain, dans des conditions horribles, devenus esclaves eux-mêmes de ceux qui avaient fait fortune, dans les colonies britanniques, dans la traite négrière et la récolte à bas coût (et à coups de fouet) du coton par une main d'oeuvre quasi-gratuite.

Coût de l'essor du capitalisme, en Europe désormais comme avant en Afrique et dans les colonies : l'empêchement par la violence, le vol et l'asservissement, de toute possibilité de subsistance autonome de l'immense majorité de la population, et sa ruine organisée, préméditée, savamment pensée par les économistes de l'époque, et imposée comme aujourd'hui, dès que les pauvres veulent relever la tête, par le sabre et le fusil, et toute la force de l'état, de sa justice conçue par et pour les propriétaires, qu'ils soient des aristocrates ou des bourgeois.

Évidemment, tout cela a des rapports plus qu'étroits avec ce qui se passe aujourd'hui, et donne beaucoup à penser. Avant-hier, hier et aujourd'hui ?

Nous attendons toujours le livre noir du capitalisme.
Combien de centaines de millions de victimes ?

https://www.arte.tv/fr/videos/082189-001-A/le-temps-des-ouvriers-1-4/


Jean Valjean 2020

Justice-est-aveugle-mais-ses-detracteurs-sont-myopes.jpg

C'est une affaire effroyablement triste qui a eu lieu au tribunal de Nantes. Un condensé de violence de classe. Elle est racontée dans la presse d'aujourd'hui. C'est l'histoire d'un homme, sans domicile, jeté en prison par des magistrats particulièrement inhumains :

- L'homme sort à peine de prison. Un mois d'enfermement pour un « vol de bouteille »

-Il est SDF, affamé. En plein confinement, il n'a nul part où aller. Il est verbalisé pour « non respect du confinement » par des policiers kafkaïens

- La Justice le met dans une situation aberrante : il est interdit de séjour en Loire-Atlantique, mais doit pointer au commissariat de Nantes, ce qui le met dans l'illégalité.

-Il est finalement arrêté, quelques jours après sa sortie, pour « non respect du confinement ». Il vit dehors. Et un vol de chaussures à 14,99€. Il avait trop mal aux pieds

- La procureure demande 4 mois de taule. La juge donne deux mois ferme avec mandat de dépôt. Une sentence froide comme du béton armé.

- Le condamné, en fauteuil, tente de se suicider à l'énoncé du verdict, en s'ouvrant le bras.

Un échange particulièrement ignoble a lieu lors de l'audience, de la part d'une magistrate nantaise grassement payée : « -Et à minuit, quand vous avez été contrôlé, vous faisiez quoi ? -Je voulais aller à l’hôpital, j’avais trop mal, et avant, j’ai voulu manger. » Elle s'écrie : – Encore !

Une lamentable histoire de plus.

De quoi prendre le temps de nous interroger sur le bien-fondé de la célèbre allégorie de la justice aveugle ("indépendamment de l'identité, de la puissance ou de la faiblesse des accusés") avec son joli bandeau sur les yeux, parce qu'elle justifie, si l’on veut bien y penser, la prendre à la lettre et au sérieux, cette condamnation d'un pauvre ("indépendamment de la faiblesse des accusés"), sans la moindre considération pour sa situation au moment où il accomplit le délit qu'on lui reproche (vol d'une paire de chaussures à moins de quinze euros) et les raisons qu'il peut avoir eues pour le commettre. En l'occurrence, trouver des chaussures assez larges pour ses pieds abîmés.

On en revient à Jean Valjean. Le voleur de pain envoyé au bagne.
Et à la célèbre phrase de l'auteur des Misérables : "Police partout, justice nulle part".

Car indépendamment de la fable sur le traitement égal par la justice des riches et des pauvres, des faibles et des puissants (au moment de ce jugement, Patrick Balkany, déjà de retour chez lui après sa condamnation à cinq ans de prison pour avoir dissimulé au fisc un « minimum de 13 millions d’euros », devait contempler dans son dressing room sa large collection de chaussures), ce n'est pas du tout l'idée que nous nous faisons de la justice en général.

Une justice qui s'affranchirait de toute considération pour les circonstances, en s'abritant derrière un respect draconien des principes ("Qui vole un oeuf vole un boeuf", "La loi c'est la loi", on connaît la chanson), cette justice-là, on ne peut que s'interroger sur son sens de l'éthique.

Peut-on (devrait-on s'y résoudre ?) imaginer une justice qui serait "amorale", c'est à dire étrangère au domaine de la moralité.

Sources : Ouest-France , Nantes Révoltée.


Covid 1984 : les petits frères contre Big Brother

On espère que tous ceux qui trouvaient ça très bien quand cela se passait à Hong Kong apprécieront aussi quand cela se passe à Limoges. Il est indéniable que nous sommes devenus du bétail à surveiller. C'était déjà le cas avant. Ce sera bien pire dans le monde entier après le #Covid19(84), qui offrira à l'État (aux états) toutes les excuses pour fliquer en permanence leurs sujets à une échelle vertigineuse, jamais vue dans l’histoire. Ce qui laisse présager un avenir très sombre avec le glissement vers l’autoritarisme auquel on assiste dans tous les systèmes politiques du monde. Bonne chance aux prochains résistants ! C’était déjà dur avant d’échapper aux sbires du pouvoir. Demain ? Il ne faudra même plus y penser.

Voir, si vous ne nous croyez pas, ce documentaire qui passe en ce moment sur Arte :


Un monde rebelle à tous les pouvoirs

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Si nous devons faire avec un monde qui marche sur la tête, comme on nous le serine, ce n'est certes pas faute qu'il soit contesté. Chaque jour, sur tous les continents, des milliers de gens manifestent leur opposition à tous les pouvoirs en place, qu'ils soient économiques, politiques, sociaux ou culturels. Le monde bouge plus qu'on nous le dit. Il est impatient. Et de plus en plus rebelle aux pouvoirs. A ceux qui le lorgnent comme à ceux qui l'exercent. Et c’est ce qui est nouveau. Il est à la recherche, à tous les niveaux, d'autonomie. Il doit donc bondir hors du rang des obéissants. Et échapper aux filets que lui tendent les organisateurs de la déroute du monde. Nombreux sont leurs noms, différentes leurs tendances, mais on les reconnaît toujours à ce qu’ils proposent un “cadre”, dans lequel il faudrait que les peuples circonscrivent leurs luttes et leurs exigences, pour avoir une chance de les voir aboutir. Ils sont l’encadrement de l’usine-monde. Ses cadres supérieurs et contremaîtres. Ses juristes et directeurs des ressources humaines. Ses producteurs et metteurs en scène. Et partout, du Chili à la France des gilets jaunes, du Liban à Hong-Kong, les peuples ne veulent plus se contenter de changer la règle du jeu, ils veulent changer de jeu. Et c’est pourquoi ils ont contre eux tous ceux qui se sont joués d’eux. Et entendent bien continuer. Il y a donc contrainte d’inventer. Nécessité de se méfier du passé. Ne rien répéter.


L’aventure frappe à la fenêtre

Chili, le dix avril.
Au-delà de cette formidable rencontre sur un balcon, la sensation qu'un monde (le nôtre, quand même, malgré tout, et même si nous avons tout fait pour nous en abstraire) vient aujourd'hui se rappeler à nous. Le confinement pourrait au moins nous rappeler ça : cela fait longtemps, déjà, que nous nous sommes confinés nous-mêmes à vivre dans un monde étroit, à l'usage des seuls humains. Et puis, espérons-le, sa fin pourrait nous donner l'envie d'en sortir, de prendre un grand bol d'air, de nous ressourcer dans la grandeur et la magnificence de l'univers.


Christian Perrot le 24 avril 2020