Contre la création d'un Conseil de l’ordre des journalistes

La start up nation, via ses relais gouvernementaux, réclame un fonctionnement d’entreprise à la presse en général - et un conseil de déontologie/surveillance, en particulier. Ainsi, le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, invite-t-il les journalistes à s’organiser pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation, faute de quoi, c’est l’État qui s’en chargera, menace-t-il. Non, vous ne rêvez pas … Le gouvernement espère bien la création d'un Conseil de l’ordre des journalistes qui lui dirait : “Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard.” Inimaginable à nos yeux !

Censure dans le journal anarchiste “Ce qu’il faut dire” du 18 avril 1916

Censure dans le journal anarchiste “Ce qu’il faut dire” du 18 avril 1916

Le Monde relayant les propos d’hier de Cedric O ouvre ainsi : « Je considère qu’il doit y avoir un Conseil de l’ordre des journalistes, des journalistes entre eux, qui prennent des décisions et qui disent à l’Etat : Vous devez retirer l’agrément de tel ou tel canard, mettre des avertissements.” ». Nul n’ignore que le conseil de l’Ordre des médecins est une institution issue de Vichy, un organisme qui instaurait l’entre soi pour dénoncer l’exercice illégal de la médecine et, au passage, écartait toute voix au syndicats, par leur simple éradication. Mais ça c’était hier… 

Alors, pour ne pas (trop) ressembler aux décisions prises par des militaires dans la charmante bourgade de l’Allier pendant l’Occupation, un récent rapport commandé par le gouvernement prône la création d’un conseil de déontologie qui serait toutefois dépourvu de pouvoir de sanction. Celui-ci n’aurait aucun pouvoir disciplinaire (le laissant à l’actuel gouvernement- ce parangon de déontologie et de concertation.) Il propose que, face à un contenu journalistique qu’il juge critiquable, un citoyen (parle-t-on de troll ici ?) ait un autre recours que la saisine du juge ou de l’éditeur. Ce document propose aussi qu’en cas de manquement éthique ou déontologique, le même conseil puisse émettre « des avis qui pourraient être rendus publics ».

C’est donc avec un émerveillement sans nom qu’on pourrait penser que ce qui ne va pas dans le sens du poil des relais médiatiques du gouvernement puisse être sanctionné par un simple retrait d’agrément du média soupçonné de propager des fake news - à la demande du conseil et directement par le gouvernement. Ce qui fait sinistrement remonter cette citation d’Orwell, tirée de 1984 : “ Il est impossible de voir la réalité si on ne regarde avec les yeux du Parti.

Cédric O considère ainsi que des médias comme Russia Today (RT) ou l’agence Sputnik, sous influence russe, fragilisent volontairement la démocratie « pour aboutir à l’arrivée au pouvoir de tel ou tel parti politique ». - on stabylote avec une question : “qui ne serait pas l’actuel en vigueur? “

« Et cela marche. Aujourd’hui, sur YouTube, la chaîne qui a le plus de visibilité ce n’est pas BFM, ce n’est pas CNews, c’est RT », argue le secrétaire d’Etat. « Les “gilets jaunes” ne s’informent que par RT », affirme-t-il.« Moi, je considère qu’il y a un risque monstrueux, a-t-il ajouté. Et donc il y a une obligation de résultats de la société. C’est aux journalistes de le faire, ce n’est pas à l’Etat de le faire. S’ils ne le font pas, ce sera l’Etat qui le fera, au bout du bout. » On reconnaîtra le discours du chef d’équipe, du cadre qui parle à ses subordonnés, comme s’ils étaient obligé d’obéir a priori : “Un état général de pénurie accroît en effet l'importance des petits privilèges et magnifie la distinction entre un groupe et un autre.” Orwell encore … 

Ce qui finalement débouche sur cette pensée qui tient plus de la programmation neuro-linguistique que d’un rappel de Paul Ricœur : aux yeux de monsieur O, il ne revient pas à l’exécutif de sanctionner les médias diffusant de fausses nouvelles : « Mais à un moment, devant la menace contre la démocratie, on le fera. » « Ce sera le CSA [Conseil supérieur de l’audiovisuel] ou une autorité indépendante qui va décider ce qu’est une infox ou pas. » « On n’en est pas du tout là », a-t-il toutefois nuancé. Est-il encore loisible de penser que, par cette canicule, le gouvernement dévoile sa pensée nue ? ou bien qu’il avance masqué avec sa carotte et son bâton de pèlerin de conseil d’administration, à répéter sans cesse que la violence policière n’existe pas ? La question saigne encore … 

Le journaliste du Monde termine par ce rappel : pour lutter contre les fausses informations (fake news ou infox), le Parlement a déjà adopté des textes qui permettent notamment de saisir le juge des référés pour empêcher la manipulation en période électorale. Mais - nous soulignons- cela n’est qu’une première étape en vue de voir ce que les éditeurs de presse français sont prêt à faire - ou pas.

A ces déclarations liminaires en vue de l’instauration d’une instance de contrôle à son propre profit, on répondra amicalement par une dernière citation du 1984 d’Orwell assez ironique, dans le fond, comme sur l’énoncé …  “Avec le mensonge toujours en avance d'un bond sur la vérité.”

Jean-Pierre Simard le 26/06/19

Le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, lors de son entretien avec l’agence de presse Reuters, à Bercy (Paris), le 25 juin. CHARLES PLATIAU / REUTERS

Le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, lors de son entretien avec l’agence de presse Reuters, à Bercy (Paris), le 25 juin. CHARLES PLATIAU / REUTERS