«La France est attentive à la sécurité de la Turquie, de son territoire et de ses frontières.»

Vraiment, j'ai essayé d'écrire un poème pour raconter ce qui se passe jour et nuit à Afrin. Mais je n'y arrive pas. Mauvais poète, la colère et l'écœurement mélangent les mots que je cherche à écrire si bien qu'à la fin, j'arrive aux mêmes conclusions que les pancartes des manifestants, le 12 mars, devant l'ambassade russe à Paris : Erdogan Assassin. Poutine Complice. Ça n'est pas assez pas pour fabriquer un poème. Alors j'essaie au moins de lire la presse et les communiqués de Rojinfo, Kurdistanews et de déchiffrer les journaux turcs, ne serait-ce que les titres avec mon dictionnaire. C'est laborieux et douloureux et par moments, c'est vrai, je n'arrive presque plus à respirer, mes yeux fatiguent aussi et je repars marcher dans la nuit sous la pluie. Jusqu'à la mer, au bout de la rue où la blancheur de l'écume dans le noir m'hypnotise assez longtemps, assez profond pour oublier les photos des morts d'Afrin.

Ce qui ne passe pas, ce sont les mots de Jean-Yves Le Drian, l'actuel ministre de l'Europe et des Affaires étrangères d'un gouvernement qui a reçu, en janvier, le président de l'AK Parti au pouvoir en Turquie. Ce sont des mots qu'il répète à chaque interview, depuis deux mois qu'a commencé l'offensive turque en Syrie, comme un discours appris par cœur dont il n'a pas le droit de dévier : «La France est attentive à la sécurité de la Turquie, de son territoire et de ses frontières.»

Bien sûr, ce sont les mots d'une crapule. De la pure truanderie géopolitique quand on sait que l'armée turque vient de couper l'approvisionnement en eau potable d'une ville de 40 000 habitants qu'elle bombarde jour et nuit, une ville dont la population a doublé en accueillant des réfugiés venus d'Alep et des banlieues de Damas. Quand on sait que les forces aériennes turques - Türk Hava Kuvvetleri - bombardent hôpitaux et écoles à Afrin, que ses mercenaires islamistes éventrent ou décapitent leurs prisonniers, on ne peut pas accepter qu'à chaque fois qu'un micro vient se tendre, le Quai d'Orsay déclare que la France reste attentive à la sécurité de la Turquie. Putain non ! Il faut arrêter avec la vieille diplomatie qui se pince le nez quand il y a des cadavres dans les chambres d'enfants. La France a peur ! Prends ton courage Le Drian et dis-le, que la France fait dans son froc à l'idée qu'Erdogan ouvre ses frontières aux deux millions de réfugiés syriens qui croupissent en Turquie. C'est aussi simple que la diarrhée, cette espèce de trouille qui serre la gorge d'un vieux ministre socialiste sous Mitterand et sous Hollande que Macron a recyclé pour marcher droit, à plus de 71 ans. La France dont parle Le Drian reste enfermée dans les frontières mentales d'un apparatchik PS du XXe siècle, incapable de comprendre ce qui se joue vingt ans après entre Ankara, Damas et Téhéran, à l'heure où c'est la Force aérienne russe - Военно-воздушные силы России [Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï] - qui fait la loi en Syrie. Elle et personne d'autre. La loi sale des guerres sales. Il faut que le vieux monsieur qu'est Le Drian apprenne à se taire maintenant au lieu de radoter pendant deux mois les mots d'un lâche. Se taire par respect pour les morts et arrêter d'utiliser le mot France pour nous impliquer dans sa peur.

La réalité diplomatique, c'est que l'Europe vient d'accepter d'offrir la ville d'Afrin au président de la Turquie, en espérant calmer un peu la paranoïa qui lui sert de raison politique, et ajourner ses menaces incessantes en empêchant la diaspora kurde de manifester sa solidarité avec les populations sacrifiées. La réalité, c'est que l'Europe s'incline devant la volonté d'un président qui impose une vision islamiste, impériale et fasciste au Moyen-Orient avec une technologie militaire qu'elle n'a jamais cessé de lui vendre.

Tieri Briet, le 17 mars 2018
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Photo : Civils fuyant les bombardements à Afrin, jeudi 15 mars 2018, Khalil Ashawi pour Reuters et Aljazeera.