Un détenu meurt d'un tabassage aux Baumettes, alors qu'une ONG dénonce les conditions de détention dans la prison marseillaise

Mercredi dernier, un homme a succombé à ses blessures, après plus d'un mois de coma. Il avait été tabassé mi-décembre par d'autres détenus. Ce tabassage avait été dénoncé à la mi-janvier par un rapport de l'ONG Confluences cosigné par la section marseillaise de la Ligue des droits de l'homme, qui attirait l'attention sur le déni des droits humains que subissent les détenus dans ce centre pénitentiaire marseillais, où les conditions de détention ne se sont guère améliorées, malgré l'ouverture de Baumettes 2, une extension du centre historique.

Il s'appelait Ramses Aly Elsayed. Ce ressortissant égyptien âgé d'une trentaine d'années aurait été tabassé à la mi-décembre, "autour du 14", par cinq codétenus, dans une cour de promenade du nouveau bâtiment des Baumettes, inauguré l'an dernier, selon l'association Confluences, qui a pu consulter une vidéo. Ses agresseurs se seraient acharnés sur lui, en lui assénant des coups de pied dans la tête, puis en lui sautant à pieds joints sur le thorax. Toujours selon Confluences, les surveillants auraient mis une vingtaine de minutes avant d'intervenir. Transféré à l'Unité hospitalière sécurisée inter-régionale (UHSI), au sein de l'hôpital Nord de Marseille, il est officiellement décédé mercredi.

Ce n'est pas le premier décès aux Baumettes. Le 7 novembre dernier, on apprenait qu'une détenue âgée d'une vingtaine d'années s'était pendue dans sa cellule. Interpellée moins d'une semaine auparavant, elle souffrait de "troubles psychiatriques très sévères", qui auraient été "signalés aux agents qui l'ont arrêtée", selon l'une de ses proches interrogée par le quotidien régional La Provence. "Mais depuis son placement en garde à vue, la famille était sans nouvelle", affirme encore cette proche. 

Début septembre 2017, c'est un autre détenu de vingt ans, atteint de pathologie psychiatrique qui mettait fin à ses jours, selon le site de Europe 1. Le centre a pourtant mis en place un plan de prévention du suicide depuis 2009. Mais, l'ONG Confluences dénonce une recrudescence des suicides et des tentatives dans ce centre pénitentiaire marseillais. L'ONG a aussi fait état d'une grève de la faim et de la soif à l'été 2017. Le 6 septembre, RFI dénonçait des suicides à répétition aux Baumettes. Le site de la radio publique citait Samy, un détenu joint par téléphone, en grève de la faim depuis deux semaines afin d'obtenir son transfèrement des Baumettes. « Nous sommes en danger. Personnellement depuis que je suis ici j’ai vu trois suicides et des tentatives à tout va. Les gens essayent de se suicider, car il n’y a aucune réinsertion dans cette prison. J’ai avalé moi-même des lames de rasoir. C’est pas humain », rapportait le prisonnier.

Toujours selon RFI, son co-détenu, un homme de 23 ans atteint de troubles psychiatriques également en grève de la faim, avait déjà tenté de se suicider trois fois cet été-là. A cette date, l'ONG Confluences et la LDH avaient recensé quatre suicides à la mi-2017. Le dernier recensé à la date de parution de l'article, âgé de 20 ans, s'était pendu le soir même de son arrivée. Selon Bastamag, le centre pénitentiaire des Baumettes est celui "dans lequel on compte le plus de suicides, à égalité avec Fresnes". Cinq suicides y ont été dénombrés en 2017, selon une enquête de Médiapart.Mais l'ONG Confluences, organisation de défense des droits humains, en dénombre six. Le 10 août 2017, Bilal Elabdani, un détenu de 20 ans originaire de Vienne, dans l'Isère, s'est pendu quelqures heures après son arrivée aux Baumettes 2, une extension construite par Vinci, ouverte le 15 mai 2017. Il avait été placé "en détention provisoire en attendant une expertise psychiatrique ordonnée par le tribunal", précise le rapport de l'ONG.

Le 6 novembre, une députée LREM des Bouches-du-Rhône visitait le centre historique des Baumettes, ainsi que le nouveau bâtiment Baumettes 2 (B2), deux entités reliées par un tunnel. Selon Europe 1, l'élue s'était notamment prononcée "pour une amélioration de l'accès aux soins des détenus, en particulier pour ceux souffrant de problèmes psychiatriques". Le rapport de Confluences et de la LDH dénonce en effet un manque de soins problématique. Citant des témoignages publiés par l'Observatoire international des prisons, le rapport précise que "les soignants font face à des arrivées massives de détenus dont certains, atteints de maladies chroniques, doivent recevoir un traitement périodique". Ces derniers « attendent très longtemps dans de toutes petites salles d’attente bondées, pour parfois repartir sans avoir pu bénéficier d’une consultation », se plaignait une soignante. « On nous les amène souvent dans des situations critiques ou d’urgence », déplore une soignante. Ces dysfonctionnements ont parfois des conséquences dramatiques sur les détenus. L'interruption momentanée de leur soin peut provoquer de graves atteintes à leur santé, voire même mettre leur vie en danger . Comme ce fut le cas pour un détenu diabétique arrivant toujours en retard pour sa prise d’insuline, et qui a finalement dû être conduit en urgence à l'hôpital (cf « Dedans, dehors » N°97).

Mais l'accès aux soins n'est pas le seul point noir des Baumettes. Construite en 1938, ce centre pénitentiaire marseillais est particulièrement vétuste. Dès décembre 2012, Jean-Marie Delarue -Contôleur Général des Lieux de Privation de Liberté- publiait un rapport accablant pour l'administration pénitentiaire sur les conditions de vie des 1700 prisonniers des Baumettes. Il y faisait mention de l'état matériel très dégradé du bâtiment historique, évoquait "des rats, des cafards, des cellules en ruine, des fils électriques qui pendent alors qu'il pleut à l'intérieur, un détenu réduit à boire l'eau des toilettes faute de robinet… " (dans le Monde du 13/12/2012). Et reprenait le constat du Comité (européen) contre la torture (CPT),  qui déplorait lors de sa visite en 1991, que que «soumettre des détenus à un tel ensemble de conditions de détention équivaut (...) à un traitement inhumain et dégradant».

Preuve que rien n'a changé depuis le rapport de 2012 du contrôleur des lieux de détention, Jean-Marie Delarue, l'ONG Confluences écrit dans son rapport du 18 janvier dernier : "l'insalubrité des locaux est toujours de mise : rats, cafards et autres insectes rampants envahissent les lieux, et des flaques d'eau croupie infestée de vers stagnent dans des couloirs. La plupart des détenus dorment la lumière allumée pour éviter d'être « envahis » par les insectes ou visités par des rats durant la nuit. Leur seul recours est de se faire remettre « discrètement » par leurs parents des produits insecticides ou raticides durant les parloirs -ce qui est interdit par le règlement et peu faire l'objet d'une suspension du permis de visite pour les familles".

Mais l'ouverture de Baumettes 2 n'a pas résolu les problèmes. Confluences dénonce les malfaçons de ce nouveau bâtiment construit dans l'urgence, la sur-occupation et la désocialisation des détenus. "Les cellules ne comportent pas d'équipement de chauffage et sont mal isolées. Du fait des matériaux de construction utilisés, il y fait froid l'hiver et très chaud l'été". L'absence d'eau chaude fait que, pour prendre une douche, les détenus en sont réduits à chauffer de l'eau sur leur plaque de cuisson". L'eau de pluie s'infiltre à tel point que "le 7 septembre 2017, jour d'averses, les familles en visite furent évacuées". La sur-occupation est telle que les cellules de Baumettes 2, dont la taille a été conçue pour accueillir une seule personne, ont été équipées de lits superposés et qu'on y a même installé des matelas au sol pour accueillir un troisième occupant. 

"Par ailleurs, la priorité donnée à la sécurité avec des moyens high-tech renforce à la fois l'isolement des surveillants dont le nombre est réduit, mais surtout des détenus" explique le rapport. Qui cite l'épouse d'un détenu transféré à B2. « Quand il était aux Baumettes « historiques », mon mari souffrait moins de l'isolement, car les détenus pouvaient se regrouper dans une cellule pour faire une partie de carte. Maintenant qu'il est à B2, il est confiné dans sa cellule ».

pour rédiger ce rapport terrible qu'il faut lire dans les détails, l'ONG a mené l'enquête auprès des familles de détenus, les personnels pénitentiaires et les intervenants extérieurs (aumôniers des différents cultes, formateurs enseignants et associations spécialisées). A l'issue des investigations menées auprès des familles, "les informations recueillies ont fait apparaître, sans aucun doute possible, la persistance d'une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation incombant aux autorités publiques -en vertu de la législation en vigueur- de préserver les personnes détenues de tout traitement dégradant ou inhumain" constate l'ONG.

Quant aux interviews des personnels de la prison marseillaise, elles ont fait ressortir des "conditions de travail déplorables du fait de leur sous-effectif, ainsi que la désorganisation, provoquée par l'ouverture de Baumettes 2, venant s'ajouter aux dysfonctionnements structurels habituels. Le transfert de l'ensemble des services (unité sanitaire, activités, parloirs
familles et avocat, salle de repos des surveillants, service « origine », etc.) à Baumettes 2 -unité ouverte le 15 décembre 2017 et reliée au bâtiment  décembre historique par un tunnel !- a entraîné une désorganisation totale des services.

Quant aux entretiens avec les intervenants extérieurs, ils font ressortir un manque d'activités et la carence des dispositifs de réinsertion, notamment les difficultés d'accès aux emplois dans les services généraux de la prison ou dans les entreprises concessionnaires, ainsi qu'aux activités de loisir ou de formation, pour lesquelles il existe des listes d'attente interminables. Pour l'ONG, l'accès à ces activités relève d'un système "discrétionnaire" et "arbitraire". Pourtant, comme le rappelle Confluences, "le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime, avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions. ». Tout cela au mépris des engagements internationaux de la France et alors même que "la loi pénitentiaire oblige, depuis 2009, à proposer aux détenus des conditions favorables au travail, à la formation et aux activités".

Le rapport cite l'exemple de l'association Lieux fictifs qui réalise des productions audiovisuelles et qui poursuit une réflexion autour des rapports entre l’art et la société, et plus particulièrement sur des territoires d’exclusion, comme la prison. Depuis 1997, explique le rapport, cette association a mis en place des ateliers de formation et de création audiovisuels dans un espace de 450 m2 -un « laboratoire de recherche cinématographique » aménagé aux Baumettes « historiques » et comportant même une cellule reconstituée. Seul hic, ces ateliers n'ont accueilli, que 19 stagiaires rémunérés, répartis pour moitié entre la formation audiovisuelle, en 2016, et l'atelier de création limité pour une période de trois mois en 2017 ! Pire, alors que l'association a touché 129 000 euros en 2016 (pour 19 stagiaires seulement), aucune évaluation de son activité en termes de réinsertion des détenus n'a été menée en 20 ans. L'activité prestigieuse de Lieux fictifs est pourtant largement mise en avant par la communication extérieure des Baumettes... Pour obtenir un stage à Lieux fictifs, les détenus sont soumis à une double sélection : celles des surveillants chefs et celle de l'association.

Le sous-effectif concerne non seulement le personnel de surveillance, mais aussi les soignants et le service d'insertion et de probation (SPIP), qui, d'après l'ONG sont au bord du burn out. La charge de travail des surveillants est décrite comme démentielle, avec 80 postes non pourvus et des plannigs de 12 heures non stop. On apprend d'ailleurs, au détour d'une page de ce rapport bouleversant, que la profession de surveillant pénitentiaire est celle qui a l'espérance de vie la plus basse (63 ans), avec maladies cardiovasculaires et dépressions liées au stress. Si les Baumettes sont un enfer pour les détenus, elles le sont aussi pour son personnel, particulièrement les surveillants, peu formés et valorisés. De ce bilan terrible, on tire la forte impression que la prison abîme ceux qui y sont détenus mais aussi ceux qui y travaillent.

Lire le rapport "Centre Pénitentiaire de Marseille, DES CONDITIONS DE DÉTENTION DÉGRADANTES ET INHUMAINES PERSISTANTES [Rapport d'enquête]

Véronique Valentino