Allemagne : l’impérialisme de la Grande Coalition, un accord sur l’extension de la zone de combat

Cet article a été écrit avant la démission de Martin Schulz de son poste de patron du SPD et l’annonce, vendredi 10 février,  de son renoncement au poste de ministre des Affaires étrangères de la GroKo (GraCo, Grande Coalition) conclue avec la CDU et la CSU.-FG.

Une longue  couvaison ne transforme pas un œuf pourri en un magnifique cygne radieux. Même si les mères et les pères de l’accord pour une Grande Coalition (entre CDU, CSU et SPD) se pavanent maintenant, même s'ils essaient de faire passer  leur vilain petit canard pour un authentique cygne certifié. L’accord conclu semble sous beaucoup d’aspects avoir été écrit avec le chapeau chinois de la fanfare de l’armée allemande, avec ses tintements de « sécurité », qui n’est jamais que le mot-clé pour signifier plus d’insécurité par plus d’armement.

Si les naïfs avaient imaginé trouver un nouveau mot intelligent sur l'Afghanistan – ce terrain de test  perpétuel pour l’échec militaire cuisant de l’impérialisme néogermanique à accéder au rang de puissance mondiale dans le sillage des USA -  ils se sont trompés : l’Afghanistan est mentionné deux fois dans le papier de la GraCo. Et dans les deux cas, le paléogermanique  «immer feste druff» (Cogne toujours) est remplacé par le néogermanique «weiter so» (on continue comme ça): « Nous sommes convaincus que l'Afghanistan continue à avoir besoin d'être soutenu », écrivent Angela Merkel, Schulz & Co et aussi: « En Afghanistan, nous voulons (...) continuer (…) sans changement ". Mais aussi: "(...) augmenter le nombre de soldates et soldats déployé.es pour protéger les formateurs".  Pas de calendrier pour une fin de la guerre d'exportation allemande. Sans autre forme de procès. Incidemment, on parle d’un pays lointain, le Mali. Et bien sûr, l'armée allemande d'import-export veut rester là-bas: "La Mission MINUSMA au Mali va continuer".

Les commentateurs habituels de la volte-face de Schulz – jamais il n’accepterait un poste dans un gouvernement Merkel, et voilà qu’il devient son ministre des Affaires étrangères – qu’il est l’homme idéal pour ce boulot vu qu’il a été si longtemps rétribué par l’UE (comme eurodéputé). Et puis on lit les passages de l’accord de GraCo qui se réfèrent à l'UE et on pâlit. Les contractants sont impatients de disposer d'un "QG de l'UE adéquatement équipé pour la conduite des missions civiles et militaires". Et ils veulent que les «processus de planification au sein de l'UE soient coordonnés plus efficacement et harmonisés avec ceux de l'OTAN». Cela va réjouir les indigènes sur lesquels les missions vont tomber à l’avenir.

Il faut aussi penser européen pour la pauvre industrie d’armement :  : « Pour que la coopération de capacité et de défense au sein de l'Europe devienne plus efficace à l'avenir, nous voulons planifier,  développer, acquérir et exploiter les futures capacités militaires plus fortement ensemble. » Et pour que les bénéfices de l’industrie d’armement  puissent  être vraiment accrus, nos grands coalisés se cassent la tête pour Rheinmetall et Dassault Aviation: « De plus, la valeur ajoutée doit provenir de là où se trouve la meilleure expertise entrepreneuriale et technologique de l'industrie et des PME. » Et puis, à la page 146, le texte en clair : on entend  d’urgence « soutenir l'idée d'un « European Council on Global Responsibilities » ( Conseil européen sur les responsabilités mondiales) pour « faire valoir avec plus d’assurance nos intérêts dans l'élaboration d'un nouvel ordre mondial. « L'ordre mondial actuel ne semble pas apporter assez de valeur ajoutée, il en faut un nouveau.

L’accord GraCo ne fait pas seulement tinter le chapeau chinois. La stratégie fédérale fait aussi une place aux flonflons culturels. Place au mystérieux AKBP (Politique étrangère culturelle et éducative).  Le papier Merkel-Schulz martelle dans le cerveau de ses consommateurs : « La concurrence mondiale pour les esprits, les idées et les valeurs, toujours plus dure,  illustre la tâche importante de la Politique étrangère culturelle et éducative (AKBP) pour le prestige et l'influence de l'Allemagne dans le monde. » Les auteurs ne se préoccupent pas de communiquer la noble culture allemande, pas tellement de Goethe et Beethoven. Ils voient la culture comme le fer de lance de la compétition internationale pour une place au soleil, où qu’il brille. Et si on remplace le terme «culture» dans le papier par «idéologie», on voit les intentions de ses auteurs.

"Nous voulons renforcer la communication stratégique à l’étranger, et en particulier la coopération avec la Deutsche Welle, et nous concentrer sur l'avenir numérique afin de donner une image réaliste de l'Allemagne." La stratégie était le mot des Grecs pour l'art du chef militaire, et donc la culture fait aussi partie de la stratégie préliminaire. Et comme la subvention fédérale pour la Deutsche Welle, l'émetteur de propagande étrangère est  à ce jour de « seulement » 301,7 millions d'euros du budget de la ministre de la Culture, elle doit, selon  le papier GraCo, être d’urgence fortement augmentée.

Pour que le dernier idiot comprenne que, par ces temps de pauvreté croissante, il faille consacrer de  l'argent à la propagande, on trouve ce paragraphe : « Cela (plus d'argent pour la Deutsche Welle) est également nécessaire pour s’affirmer dans la concurrence des récits et des valeurs et pour pouvoir contrer dans diverses régions du monde la falsification hybride de l'information ».

Car  notre récit doit gagner la compétition. Comme notre armée en Afghanistan. Parce que nos valeurs sont les meilleures. Et si d'autres devraient oser peindre une image différente de la valeureuse Allemagne, nous devons «  contrer dans diverses régions du monde la falsification hybride de l'information ». Les auteurs ne fournissent aucun exemple de cette "falsification". Pourquoi le devraient-ils ? La propagande fonctionne avec des affirmations. Les preuves ne font que retarder. Il y va de l’extension de la zone de combat

Puis, une fois toutes les guirlandes enroulées et tous les mots tournés, l’accord en vient à l’essentiel :  Merkel reste chancelière, Schulz devient ministre des Affaires étrangères, la CSU est en charge de la patrie dans le cadre du programme loup-dans-la-bergerie et peut également continuer à jouer  au Monopoly avec le ministère des Transports. Nouveauté : l’ équilibre budgétaire doit être désormais réalisé par le SPD.  Il peut le faire, comme il l'a déjà prouvé avec l’Agenda 2010*. Et last but not least, la Deutsche Presse-Agentur (dpa) rapporte que les Alliés ont donné leur accord de principe à l’offre de la ministre de la Défense fédérale Ursula von der Leyen (CDU) de construire un nouveau centre de commandement de l’OTAN en Allemagne. Pour, comme on le dit sur Deutsche Welle, « réagir rapidement à une attaque de la Russie ». Nous gardons donc non seulement notre chancelière, mais aussi notre ENNEMI.

On ne peut que souhaiter bonne chance au congrès réuni par le SPD le 4 mars prochain pour ratifier l’accord GraCo.

Ulrich Gellermann

Ulrich Gellermann (*1945) est un journaliste, auteur et cinéaste allemand. Il anime le magazine en ligne Rationalgalerie, qui se livre à une critique quotidienne de la société allemande. Traduit par Fausto Giudice, pour le réseau international de traducteurs Tlaxcala.

Source : http://www.rationalgalerie.de/home/groko-imperialismus.html

Notes du traducteur :

*L’agenda 2010 est le nom d’un ensemble de réformes menées en Allemagne par la coalition SPD-Verts sous Gerhard Schröder entre 2003 et 2005. Il portait principalement sur des réformes du marché du travail (réformes Hartz principalement) et des assurances sociales. Le nombre de travailleurs intérimaires passe de 300 000 en 2000 à plus d'un million en 2016. Dans le même temps, la proportion des travailleurs pauvres est passée de 18 à 22 %. Très controversées au sein du SPD, les réformes de l'Agenda 2010 ont provoqué le départ de 200 000 adhérents.