Marseille : à quoi ressemble la vie des 1400 évacués d'urgence et toujours pas relogés ? Témoignage 2

ÉVACUÉ UNE PREMIÈRE FOIS VINGT-QUATRE HEURES LORS DE L'ÉCROULEMENT DES IMMEUBLES DE LA RUE D'AUBAGNE, CE RIVERAIN A PU REGAGNER SON DOMICILE QUELQUES JOURS AVANT D'EN ÊTRE DE NOUVEAU ÉVACUÉ LE 9 NOVEMBRE… C’EST LE DÉBUT D’UN PARCOURS DU COMBATTANT QUI CONTINUE À CE JOUR. JEUNE PROF SANS LE SOU, IL SE RETROUVE SANS POSSIBILITÉ DE SE RELOGER. SON TÉMOIGNAGE RELATE TOUS LES MURS ET OBSTACLES RENCONTRÉS DE LA PART DES SERVICES MUNICIPAUX, COUPLAGE DE DÉDAIN, DE CONDESCENDANCE, DE DISCRIMINATION CERTAINE. CE TÉMOIGNAGE SERA EN PLUSIEURS PARTIES. LA seconde raconte l’arrivée à l’hôtel.

Un immeuble vétuste du Parc Corot, le 27 novembre 2018 à Marseille/AFP

Un immeuble vétuste du Parc Corot, le 27 novembre 2018 à Marseille/AFP

Partie II : Marseille Horror Story, Hotel

La matinée a été longue et l’attente épuisante, le bus arrive enfin à la Joliette et nous dépose à une cinquantaine de mètres de l’hôtel. Il est 13h, la jeune réceptionniste s’excuse : les chambres ne seront prêtes qu’à 14h. Une file d’attente se forme jusque dans la rue. Nous finissons par nous installer dans le hall de l’hôtel. Les mamans et les mamies posent leurs affaires, les familles se regroupent et s’assoient par table, des conversations commencent, un murmure polyglotte remplit l’espace salon, j’entends du français, de l’arabe, du créole, du portugais, à la table à côté de la mienne un groupe d’hommes qui m’ont l’air indiens parlent hindi, ou peut-être urdu, c’est peut-être des Pakistanais. Cette petite cacophonie est agréable et me détend un petit peu. Il est 13h30, je prends possession de ma chambre. C’est une chambre d’hôtel tout à fait ordinaire, elle a l’air spartiate mais elle est clean. La fatigue commence à fortement se faire sentir, je prends une douche, déballe à peine mes affaires et décide de m’offrir une sieste.

Je ne réouvre les yeux qu’à 16h30, et mon estomac se rappelle à un bon souvenir… Je fonce au Burger King sur la place de la Joliette. Une fois le ventre plein survient cette question « Et maintenant on fait quoi ? ». Je n’ai pas encore la force d’aller demander des comptes à la mairie, retourner à l’hôtel pour y faire quoi ? Bosser ? Non, là aujourd’hui c’est mort… Mon pote P. m’appelle, soulagement il est libre, on se retrouve au Polikarpov, discuter va me faire du bien et m’aider à répondre à cette question que je fais tout pour chasser de mon esprit… Le vendredi soir et le samedi s’enchaînent dans un grand-huit, je passe de l’optimisme au dégoût d’une heure à l’autre. Heureusement, pendant 24h un flot de messages inquiets et bienveillants déferle dans mon téléphone, on me demande comme je vais, les gens proposent de m’héberger. Tout cela me fait chaud au cœur, je me dis que pour l’instant on va rester à l’hôtel, après tout on ne sait jamais ce qui peut se passer. Mon samedi se passe un peu mieux, voir les copains la veille, discuter, réfléchir m’a permis de relativiser et de commencer à poser le planning de la semaine très compliquée qui arrive. La première marche organisée par le collectif du 5 novembre est un succès, d’être au milieu de presque dix-mille personnes qui se sentent concernées me fait un bien fou et me galvanise. Je ne suis pas seul. Dans un meilleur état d’esprit, mon samedi soir est presque festif, on rigole, on sort, allez tout ira bien. Je rentre à l’hôtel un peu plus confiant et rassuré.

Arrive le dimanche matin... ce dimanche matin que je ne suis pas près d’oublier. La nuit a été longue, je tournais dans tous les sens, pourtant le lit est très confortable, le matelas est ferme que j’aime. Mais non, pas moyen de dormir de longues heures d’affilée... je transpire, je ne suis pas à l’aise, je sens des picotements partout sur mon corps... à 9h30, je décide que cela ne sert à rien de vouloir gratter plus de sommeil. Je sors du lit fatigué et me dirige vers la salle de bain. Je fais couler l’eau de la douche, je remarque des boutons tout le long de mes avant-bras, tu m’étonnes… vu la manière dont ils surchauffent leurs chambres les moustiques se font plaisir. Je passe sous l’eau, je commence à me savonner … Ah oui ! Très plaisir même... Mes pieds sont piqués partout où une veine est visible. Je reste un long moment sous l’eau chaude pour me détendre… quand je finis par sortir de la douche, je me mets devant le miroir de la salle de bain, j’attrape une serviette et je me sèche. Au fur et à mesure que je parcours mon corps avec la serviette, je me rends compte que ce n’est pas seulement mes bras et mes pieds, mon corps est complètement recouvert de boutons, j’ai des piqûres de la tête aux pieds… même sur une de mes arcades sourcilières ! L’angoisse monte en flèche, merde mais c’est quoi ce bordel ? Les boutons sont petits par endroits, ailleurs ma peau semble très réactive et j’ai littéralement des tâches rouges … Je m’observe sous toutes les coutures dans une panique totale, la vue de ces dizaines de piqûres déclenche une démangeaison dans mes jambes et mes bras… Non non non ! Je commence à pouvoir réfléchir de nouveau, je comprends ce qui se passe… je cours nu hors de la salle de bain, j’arrache la couette du lit et là… je découvre partout sur la housse qui protège le matelas des traces de sang. Certaines ont la forme de petits points, ailleurs ce sont de longues traînées fines… je m’approche pour examiner le matelas … plus aucun doute… des petites masses noirs dures parsèment toute la surface du lit… les déjections de punaises de lit.

Mon sang ne fait qu’un tour, au-delà du dégoût, une pensée vient tout de suite transformer mon angoisse en terreur. Si jamais je dois rentrer à la maison… je vais ramener ça chez moi ! Sur ce constat, la rage me monte, on m’a évacué, forcé à partir de chez moi et il se pourrait que j’y ramène cette plaie ?! Je ne sais même pas par où commencer. J’essaie de me calmer je m’habille en me demandant si certaines ont trouvé le chemin de ma valise… si je vais les avoir sur moi toute la journée… les démangeaisons s’accentuent.

Une fois à peu près présentable, je décide descendre à l’accueil. J’y trouve la même demoiselle qui s’était chargée de notre accueil vendredi.

« Bonjour, alors il y a un très gros problème dans ma chambre ! » Son regard se crispe, elle redoute tout de suite ce que je vais lui dire. « J’ai le corps couvert de piqûres, il y a plein de traces de sang dans mon lit, c’est clairement des punaises de lit ».

Je vois qu’elle anticipait précisément avec angoisse cette nouvelle. « Oh non, ce n’est pas vrai ?! C’est dans quelle chambre ? Je vais devoir vous accompagner pour constater ça ».

Dans l’ascenseur je lui montre mes bras, les boutons ont gonflé et ont viré au rouge vif. Une fois dans la chambre je lui montre l’état du lit. « Bon monsieur, alors faites vos affaires et rejoignez-moi à l’accueil, je dois prévenir les services d’hygiène tout de suite ».

Ni une ni deux, je boucle ma valise, j’avais très peu étalé mes affaires… Je redescends, je la trouve au téléphone… au bout de cinq minutes elle me fait signe de venir la voir : « Ce n’est vraiment pas de chance, on a été inspecté il y a 15 jours… tout allait bien… »

« Vous direz ça à mes boutons ». L’énervement, qui n’allait pas retomber avant plusieurs jours, commence à monter furieusement.

« Alors, je vais vous changer de chambre pour commencer ».

« Pardon ?! Non, en fait … non, je suis désolé s’il y a des punaises au 5ème étage pourquoi il n’y en aurait pas au 2ème ? Et puis allez savoir si elles ne se sont pas foutues dans ma valise. Non, je vais quitter votre hôtel, là de suite ce que je veux c’est un accès à une machine à laver et un sèche-linge, et la garantie que tous les frais pour de l’insecticide, ou autre, soient pris en charge par vous. C’est ça qui va se passer, je refuse de ramener ça chez moi ».

« Je comprends mais monsieur tout ce que je peux faire à mon niveau c’est vous changer de chambre. On ne dispose pas de machine à laver ici (la menteuse, étudiant, j’étais réceptionniste de nuit dans un formule 1, à d’autres…). Je peux regarder sur internet, je sais qu’il y a une laverie à 500m d’ici ».

Je comprends qu’elle ne fera rien pour moi, je prends la nouvelle chambre pour y déposer mes affaires… Il est temps d’aller à la mairie de secteur. Je me dirige vers le tramway, la rage au ventre, la peur de ramener ce fléau à la maison me met dans tous mes états et transforme ma colère en haine… J’ai la haine !

[À suivre]

Témoignage recueilli par Candice Nguyen