Malafaia, Lorenzoni, Moro et Bolsonaro : 4 hommes et aucun secret

Les premiers jours qui ont suivi les résultats des élections de 2018 ont déjà confirmé les prévisions des analystes et des commentateurs politiques concernant les conséquences de l'élection d'un candidat présentant le profil de Jair Bolsonaro pour notre pays. Ils ont également clairement indiqué la réponse à la question que la gauche se posait tous les jours, exactement comme une mère face à un fils rebelle: où est-ce que je me suis trompée ?

Le noyau dur bolsonarien. De gauche à droite, le pasteur Silas Malafaia, Onyx Lorenzoni, ministre de la Maison civile (mi-Premier ministre, mi-chef de cabinet du président), Sérgio Moro, Olavo de Carvalho, maître à penser de Bolsonaro, ancien commun…

Le noyau dur bolsonarien. De gauche à droite, le pasteur Silas Malafaia, Onyx Lorenzoni, ministre de la Maison civile (mi-Premier ministre, mi-chef de cabinet du président), Sérgio Moro, Olavo de Carvalho, maître à penser de Bolsonaro, ancien communiste (erreur de jeunesse), idéologue de la nouvelle droite brésilienne, qui introduisit l'astrologie comme matière enseignée à l'université, et le Chicago Boy Paulo Guedes, ministre pinochettiste de l'Économie

Parmi les nombreuses erreurs à méditer, il y en a une qui a longtemps été annoncée comme catastrophique par les leaders religieux les plus divers qui composent le camp de gauche, en particulier les dirigeant.es noir.es : le rejet par les partis de gauche du champ religieux a entraîné une influence accrue du conservatisme dans le terrain le plus fertile, le champ religieux.

La droite conservatrice a compris l'importance d'occuper cet espace. De toute évidence, elle l'a fait à sa façon. Le résultat ne pouvait en être autrement : l’influence de la droite au sein des églises, conjuguée au peu d’importance que la gauche accordait à la conquête politique de la conscience des fidèles, a été l’un des facteurs principaux de l’élan et de la croissance de Jair Bolsonaro. Ce n'est pas sans raison que l'une de ses premières actions après la fin du scrutin a été de se présenter personnellement à l'église de Silas Malafaia.

Silas Malafaia est le principal dirigeant de l’église pentecôtiste Assemblée de la Victoire de Dieu en Jésus-Christ, créée il y a près de 60 ans. iL est connu comme le "pasteur le plus controversé du Brésil", essentiellement pour avoir tenu un discours enflammé contre l'homosexualité et ne pas avoir caché ses positions sur des sujets chers aux mouvements sociaux, tels que la légalisation de l'avortement. Malafaia recourt à un ton autoritaire presque à chaque fois qui prêche sur ces questions. Cette performance autoritaire a des contours très proches de la manière dont Bolsonaro apparaît publiquement. La confrontation entre Silas et Bolsonaro ne concerne pas seulement des croyances religieuses similaires, mais également l'aspect performatif.

Bolsonaro s’est donc allié à un chef religieux qui a une grande aura publicitaire et il a forgé sa propre image en tant que chef évangéliste. Cette image a également été renforcée par l’erreur commise par la gauche, d’attribuer presque automatiquement un profil stéréotypé à l'électeur de Bolsonaro d'après ses convictions religieuses, sa scolarité, son niveau de revenu. Pour la  gauche, l'électeur de Bolsonaro est un "âne de bénitier".

Malafaia et Bolsonaro créent une approche avec leurs adeptes, leurs partisans, leurs fidèles (et cela peut être identique ou non) à partir d'une stratégie d’approche des  gens.

Quiconque a vu une téléprédication de Malafaia comprend ce que j'essaie de démontrer ici. Lorsque nous voyons le pasteur, nous avons l’impression que nous sommes en train de converser en face-à-face avec lui. Cette logique était également à l’oeuvre dans la campagne de Bolsonaro, et non par la télévision, qu'il évitait dans la mesure du possible. Ce que Bolsonaro a fait pour créer un récit de proximité avec ses électeurs était dans la paume de la main : les innombrables groupes WhatsApp, les vidéos réalisées dans ses pages sur les réseaux sociaux, avec une esthétique assez simple, et ses commentaires Twitter.

Le soutien de Silas Malafia à Bolsonaro était dans la même sphère. Dans un discours enflammé, il a défendu les qualités de Bolsonaro en associant ce récit à l'antipétisme. Malafaia, cependant, a utilisé le même discours incendiaire il y a un an pour dire que des caractéristiques importantes manquaient à Bolsonaro pour devenir président. Autrement dit, leur relation a traversé des phases difficiles avant ce match final réussi. Ce qui n’est pas un problème car cela leur ajoute une couche supplémentaire d’humanité à tous deux, qui admettent ne pas être d’accord sur tout, mais se disent prêts à laisser les différences de côté au nom d’un projet commun: édifier une nation qui craint Dieu.

La jonction Bolsonaro + Malafia est la concrétisation du rêve du conservatisme politico-religieux.
Et, comme il était déjà possible de le comprendre dans les premiers jours après les élections, le fait que Malafaia ait été inculpé pour blanchiment d’argent n’est pas un problème pour Bolsonaro, ni pour  le juge Sérgio Moro, désigné comme le grand chef du ministère de la Justice.

Moro, qui avait déclaré dans plus d'une interview qu'il n'était pas intéressé par une carrière politique, a accepté l'invitation du président élu sans grandes surprises. Bien que qualifié de grand pourfendeur de la corruption, il n’a pas hésité à faire partie du futur gouvernement à côté de personnalités controversées, déjà citées dans des schémas de blanchiment d'argent, par exemple.

L'acceptation de Moro a montré que son intérêt dans les actions en justice contre l'ancien président Lula n'était peut-être pas la simple lutte contre la corruption, mais plutôt la construction d'un récit dans lequel seule la corruption commise par le PT était répréhensible.

Même les indices de corruption ont été relativisés à la fois par Bolsonaro et par Moro quand il a accepté l'invitation à faire partie du gouvernement. Il semble que Moro ne trouve plus repoussante la pratique de la caisse noire, une fois devenu collègue d’Onyx Lorenzoni, futur chef de la Maison civile, qui a avoué avoir reçu de l'argent en espèces de la caisse noire.

Une autre question qui attire l'attention sur le quartet appelé à définir le cours du pays dans les années à venir est son mépris pour le maintien de l’idée d’un État laïc. Bolsonaro montre clairement que dans les années à venir, l'église évangélique aura droit à une attention particulière du président. Le choix de Bolsonaro de se rendre personnellement à l'église de Malafaia peu après l’élection met en lumière ce problème, c'est-à-dire que nous sommes confrontés à un changement majeur dans la façon dont les principes constitutionnels seront lus.

 Une autre question qui aide également à se faire une idée de la manière et du rôle de Moro, Malafaia et Lorenzoni dans la gestion gouvernementale, ce sont les choix d’élimination et de fusion des ministères, autre point du programme mis en avant dans la campagne de Bolsonaro et qui a bénéficié de la sympathie et de l’adhésion immédiate de la population. Le fait est que la machine étatique est plutôt gonflée. Il y a trop de ministères, véritables pompes à emploi qui servent de monnaie d'échange dans les compositions gouvernementales. Cependant, l’annonce de la volonté du président d'éliminer des dossiers fondamentaux pour la direction du pays, avec des critères déraisonnables, contient également une bonne dose d'accommodement politique avec ses alliés.

 Le Projet Phoenix, le programme gouvernemental du président élu pour le PSL, mentionne à plusieurs reprises la question de la corruption. Il énonce explicitement une politique de "tolérance zéro pour le crime, la corruption et les privilèges". Cependant, les premières actions du président élu ont mis en doute cette maxime. Ce n'est pas exactement un comportement de tolérance zéro face à la corruption que d'avoir à la tête de la Maison civile un homme qui a reçu des pots-de-vin, par exemple.

Les premières actions de Bolsonaro et de ses hommes ne choquent personne. Mais elles exigent une attention particulière de ceux qui seront le plus touchés par cette nouvelle composition du gouvernement : les femmes noires. Les trois hommes de Bolsonaro ont une trajectoire de restriction des quelques droits que nous avons conquis dans les domaines les plus divers, comme la promotion de l'équité raciale et de genre, par exemple, Lorenzoni a travaillé historiquement  pour tenter de limiter la promotion de politiques publiques réduisant les distances sociales  entre femmes noires et hommes blancs. En ce qui concerne la question de la religiosité, n'oublions pas que le président lui-même est libre d'exprimer sa foi de la manière qui lui convient le mieux, mais ce qui est incompatible avec l'idée d'un État organisé selon le principe fondamental de la liberté de religion, c’est que le chef suprême de la nation mette ses prédilections religieuses au-dessus de tout, comme le suggère le titre de son projet gouvernemental.

Les quatre hommes qui dirigeront le pays mettent en évidence les contradictions entre le programme gouvernemental présenté par le Parti social libéral (PSL) et les premières actions entreprises par Bolsonaro après l'élection. D'autre part, ils confirment également ce qui n'était pas un secret : à partir de l'année prochaine, les stratégies des mouvements sociaux devront changer. Au lieu de lutter pour la promotion des droits, nous devrons résister pour maintenir le minimum conquis.

Winnie Bueno 
Traduit par  
Fausto Giudice