Secours populaire : « Aujourd’hui, la pauvreté gangrène toute la société »

Selon le baromètre annuel 2017 du Secours Populaire, 37% des Français disent connaître ou avoir connu la pauvreté à un moment de leur vie. Un chiffre qui interroge sur l’état de la société dans laquelle nous vivons. Interview de Richard Béninger, secrétaire national de l’association, qui explique pourquoi la lutte contre la pauvreté est une urgence absolue.

Qu’est-ce qui vous marque le plus dans cette onzième édition de votre baromètre annuel ?

C’est la onzième édition. Depuis une dizaine d’années nous posons en effet quasiment les mêmes questions, ce qui permet de voir l’évolution. Ce qui me frappe le plus, c’est l’évolution préoccupante, pour ce qui concerne l’état de la pauvreté et de la précarité dans ce pays.

Quels sont les chiffres que vous retenez tout particulièrement ?

Depuis onze ans, nous posons la même question, à savoir si les personnes que nous interrogeons avaient connu ou connaissaient la pauvreté. Or, cette année, c’est le cas de 37% des personnes interrogées. Ce chiffre a augmenté de douze points en une dizaine d’année et de deux points par rapport à l’année dernière. Il faut ajouter les 20% qui disent avoir été sur le point de basculer dans la précarité. C’est donc plus d’un Français sur deux qui a connu, qui connaît ou qui redoute, de basculer dans la pauvreté. Je mets ce chiffre en rapport avec les neuf millions de pauvres recensés par l’INSEE. Autre chiffre préoccupant, 84%, c’est-à-dire l’immense majorité des Français, considère qu’aujourd’hui le risque est plus élevé pour leurs enfants de connaître une situation de pauvreté, alors même que 42 % d’entre eux craignent de ne pas avoir les moyens de les aider s’ils en ont un jour besoin. Cela montre à quel point la pauvreté gangrène toute la société.

Vous avez fait cette année un focus sur les seniors. Pourquoi ?

Chaque année, nous auscultons plus particulièrement une partie de la population. Nous avions déjà fait un focus sur les femmes, sur les enfants, sur la santé et cette année, donc, sur les personnes de plus de soixante ans. Nous avions en effet été alerté par les bénévoles de nos permanences d’accueil partout en France, sur le fait que, aujourd’hui -ce qui n’était pas le cas il y a dix ou quinze ans- beaucoup de seniors ont besoin d’être aidés par le Secours populaire. Avec ce baromètre, nous avons malheureusement trouvé la confirmation de ce que nous avions déjà constaté sur le terrain. A savoir qu’un senior sur deux, -nous parlons de gens qui ont travaillé, qui ont élevé une famille- se retrouvent dans une situation de pauvreté ou craignent d’y basculer, ce qui est dramatique.

Pourquoi est-ce particulièrement dramatique s’agissant des seniors ?

Quand on rencontre un jeune qui est en difficulté, on peut toujours penser que sa situation va s’améliorer, qu’il aura l’opportunité à un moment de trouver un travail. Mais un senior n’aura pas l’opportunité d’améliorer sa situation. On voit bien que les plus de 60 ans que nous avons interrogés, et particulièrement ceux qui ont des revenus inférieurs à 1200 euros par mois, se privent de tout. Plus de 30% des plus de 60 ans disent avoir des difficultés pour payer des soins mal remboursés par la sécurité sociale, mais aussi pour payer leur logement, pour partir en vacances et même pour faire trois repas corrects par jour. Une femme de 73 ans est venue témoigner jeudi dernier. Elle est bouquiniste à Paris pour compléter sa retraite et une fois déduites toutes ses charges, il ne lui reste que six euros par jour pour vivre. Elle fréquente un restaurant associatif à Paris, qui ne lui coûte que trois euros heureusement et le soir elle mange un yaourt. C’est ça la réalité de ces seniors-là. Une réalité dont nous avons voulu témoigner parce que les seniors apparaissent souvent dans les discours politiques comme une catégorie privilégiée.

Quelles sont les personnes les plus fragilisées en dehors des seniors ?

Nous avons accueilli l’année dernière, dans nos permanences d’accueil, trois millions de personnes. Parmi elles, il y a des jeunes, notamment des étudiants, qui ont beaucoup de mal à pousser la porte du Secours populaire. Ce sont des étudiants qui continuent leurs études mais ne peuvent pas manger à leur faim tous les jours. Ce sont aussi des chômeurs, des travailleurs pauvres, des familles monoparentales -généralement des femmes avec enfants- et aussi des seniors. Il faut ajouter que, parmi les seniors, les femmes sont particulièrement touchées par la pauvreté et la précarité. Le montant moyen des retraites est d’un peu plus de 1300 euros, mais quand on rentre dans le détail, il est de 1000 euros pour les femmes et de 1600 euros pour les hommes. L’inégalité hommes-femmes est extrêmement forte en matière de retraite.

Vous dites que lutter contre la pauvreté est une urgence pour remettre la société sur ses pieds. Que voulez-vous dire par là ?

Après la parution de notre baromètre annuel, on nous demande ce que nous avons à dire sur le plan politique. Nous, le Secours populaire, nous n’intervenons pas sur le champ politique, mais sur celui des solidarités. Nous disons aux pouvoir publics, à l’ensemble des responsables de ce pays, voilà le constat que nous faisons, la réalité que nous rencontrons tous les jours. Nos 80 000 bénévoles sont en état d’urgence quotidien pour agir contre la pauvreté partout en France. Mais vous, que faites-vous ? Je considère que nous devrions être en état d’urgence contre la misère. Parce que la pauvreté ce n’est pas un problème de plus à résoudre. Agir contre la pauvreté, s’attaquer aux causes de la pauvreté, c’est non seulement permettre à des gens de retrouver de la dignité, de retrouver la possibilité de vivre décemment, de retrouver du lien social, tout ce discours qu’on peut tenir à ce sujet ; c’est évidemment la seule solution pour remettre la société sur ses rails, parce que je pense qu’elle est en train de dérailler. Après, à chacun d’en tirer les conclusions qu’il souhaite sur l’avenir de notre société.

Pour vous, la lutte contre la pauvreté doit être la mère de toutes les batailles ?

Si on veut remettre la société sur ses pieds, alors que tout le monde parle du vivre-ensemble, il faut s’attaquer sérieusement à ce problème. Parce que le vivre-ensemble, ça commence par améliorer réellement et concrètement la situation des personnes qui sont privées de tout et qui n’arrivent plus à vivre correctement. On peut bien après expliquer qu’il y a des clignotants qui sont au vert, des améliorations, la croissance qui revient, mais c’est plus qu’un problème de morosité, c’est une vraie fracture sociale. Lutter contre la pauvreté doit être une priorité, pas seulement sociale, mais humaine et sociétale, pour pouvoir trouver des solutions aux problèmes plus globaux de notre société. La pauvreté a des conséquences sur les problèmes d’éducation, sur les problèmes de santé, de travail, etc. C’est ça que nous voulons dire à travers ce que nous constatons tous les jours dans nos permanences d’accueil.

Est-ce que vous n’avez pas l’impression d’être en train d’écoper avec une petite cuillère dans un navire qui prend l’eau de toutes parts ?

C’est souvent une question que nous nous posons au Secours populaire et elle n’est pas illégitime. Pour ce qui nous concerne, quand nous intervenons au quotidien auprès des gens qui sont en difficulté, pour partager avec eux ces moments de solidarité, c’est peut-être une goutte d’eau à l’échelle de la société, mais pour la personne qui reçoit cette aide, pour la personne avec qui on se sent solidaire, c’est un océan. Et c’est sur ce terrain-là qu’on se place. Au Secours populaire il n’y a pas de petite ou de grande action de solidarité, pas de petit ou grand bénévole ; chacun de nos 80 000 bénévoles agit chacun à sa manière et chacun peut y prendre sa place. Ce qui n’est pas exclusif des actions qu’on peut par ailleurs mener en tant que citoyen.

Propos recueillis par Véronique Valentino

Consulter le onzième baromètre annuel IPSOS/Secours populaire : https://www.secourspopulaire.fr/11e-barometre-ipsos-spf-2017

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