Rémi fraisse : la faute à pas de chance ? Au-delà de la polémique Mélenchon-Cazeneuve...

L'affaire semble entendue pour les commentateurs habituels de la politique : Jean-Luc Mélenchon a été très méchant et a parlé très mal ("un comportement inqualifiable" etc) de Bernard Cazeneuve, un homme pourtant toujours tiré à quatre épingles, qui ne prononce jamais un mot plus haut que l'autre, la parfaite incarnation du gentleman socialiste, et la brutalité de ses paroles et de ses accusations doit lui valoir le mépris général sur le mode du "On ne s'adresse pas comme cela à un ancien premier ministre".

La mise en cause de la responsabilité du ministre de l'intérieur de l'époque dans la mort à Sivens de Remi Fraisse s'en trouve donc disqualifiée d'avance à leurs yeux. Et pourtant... il vaut vraiment la peine de revenir sur les faits (troublants), les ratés de l'enquête qui s'en suivit, et ne déboucha sur rien. C'est maintenant Jean-Luc Mélenchon l'accusé, dans un extraordinaire renversement de l'ordre des choses, et Bernard Cazeneuve, l'accusateur, drapé dans sa dignité offensée, et soutenu par tout le petit monde politique, qui semble soudain ne plus se poser la moindre question sur la mort d'un manifestant - fait pourtant extraordinairement grave, et heureusement pas si courant en France qu'on puisse comme cela l'évacuer en parlant de la faute à pas de chance.

Pour resituer les choses, et l'ordre des responsabilités dans cette affaire (contrairement à la conclusion qu'on pourrait en tirer au vu de la salve unanime de Mélenchon bashing à laquelle nous avons droit ces derniers jours, il faut rappeler que Jean-Luc Mélenchon, lui, n'est pour rien dans la mort de Remi Fraisse), nous avons fait le choix de republier tout simplement une dépêche de l'agence Reuters de l'époque des faits. L'agence Reuters n'est pas, tout le monde en conviendra, une agence de presse gauchiste. Lisez-la, c'est rapide, et cela vous remettra les faits en tête. Vous conviendrez ensuite certainement que l'attitude de Bernard Cazeneuve n'a jamais été à son honneur dans cette affaire, et qu'elle lui a valu des mots tout aussi durs que ceux de Jean-Luc Mélenchon de députés par exemple écologistes. Après, l'on peut penser ce que l'on veut de la violence des paroles de Jean-Luc Mélenchon, le juger maladroit, le blâmer de s'être laissé emporter dans la fougue d'un discours, ou même le juger en général "sectaire" et "violent" (c'est la mode en ce moment, où il n'a vraiment, c'est le moins qu'on puisse dire, aucun ami dans le monde politique, et singulièrement "à gauche", où l'irruption de la France Insoumise dérange toutes les habitudes prises pendant des décennies), cela ne devrait en aucun cas servir à masquer l'inquiétude légitime qu'on peut avoir en voyant affirmer qu'un ministre de l'intérieur ne devrait au fond porter aucune responsabilité vis-à-vis des actes des forces qui sont sous ses ordres.

Les socialistes et la gauche en général eurent pourtant raison, en 1986, de blâmer directement l'action de Charles Pasqua, ministre de l'intérieur de l'époque, et de lui attribuer la responsabilité de la mort de Malik Oussekine lors de manifestations étudiantes. Charles Pasqua et le ministre délégué chargé de la Sécurité Robert Pandraud suscitèrent alors une controverse en ne condamnant pas l’action de la police. Dans un entretien au journal Le Monde, Robert Pandraud avait déclaré : "La mort d'un jeune homme est toujours regrettable, mais je suis père de famille, et si j'avais un fils sous dialyse je l'empêcherais de faire le con dans la nuit." C'est à peu de chose près le langage qu'a toujours tenu Bernard Cazeneuve (le connaissant, il se serait interdit de dire "faire le con") après la mort de Rémi Fraisse, sur qui un gendarme avait quand même lancé rien de moins qu'une grenade offensive, arme dont l'usage fut d'ailleurs interdit par la suite dans les manifestations. Et on ne l'aura pas plus vu que Charles Pasqua et Robert Pandraud, et c'est vraiment le moins qu'on puisse dire, "condamner l'action de la police".

Il nous paraît donc un comble qu'on fasse désormais de Bernard Cazeneuve, comme s'y consacre une grande partie des média en ce moment, une sorte de victime de la mort de Remi Fraisse, injustement accusée, à l'honneur entaché. Il y a des indignations qui frisent l'indécence. Et sur toute cette lamentable affaire, des questions qui méritent d'être posées. 

L'Autre Quotidien, le 29 mai 2017

PARIS (Reuters) - Bernard Cazeneuve s'est défendu jeudi d'avoir caché pendant 48 heures qu'une grenade offensive avait tué le militant écologiste Rémi Fraisse, mais défenseurs de l'environnement et des droits de l'homme ne relâchent pas la pression.

La Ligue des droits de l'homme, France nature environnement et l'un des avocats de sa famille, notamment, annonceront ainsi vendredi la création d'une commission nationale d'enquête sur les conditions de la mort du jeune homme.

Des députés d'Europe Ecologie-Les Verts ont estimé mercredi qu'il appartenait à l'exécutif de voir "quelles conséquences politiques ils tirent des manquements extrêmement graves" du ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve.

Selon des informations du Monde et de Mediapart, qui ont eu accès à l'enregistrement des conversations des gendarmes présents sur le site du barrage de Sivens (Tarn) dans la nuit du 25 au 26 octobre, les militaires ont eu très vite conscience qu'une grenade avait tué Rémi Fraisse.

"Il est décédé, le mec... Là, c'est vachement grave… Faut pas qu'ils le sachent", dit l'un d'eux, la dernière phrase visant, selon le service de communication de la gendarmerie cité par le Monde, les manifestants.

Le directeur de la gendarmerie, le général Denis Favier, avait déjà précisé dans plusieurs médias avoir alerté le parquet à deux heures du matin, soit vingt minutes après les faits, précisant que l'auteur du tir mortel avait été immédiatement identifié et entendu.

La mort de Rémi Fraisse a suscité une vague d'émotion dans tout le pays et a donné lieu à des manifestations contre les violences policières qui ont parfois dégénéré.

La famille du jeune militant en a appelé à François Hollande, qui a promis de faire toute la lumière sur l'action des forces de l'ordre.

Elle a demandé par la voix de son avocat, Arié Alimi, pourquoi "le préfet du Tarn a appelé à une extrême sévérité à l'égard des manifestants du barrage de Sivens" et pourquoi "des militaires en si grand nombre et surarmés étaient présents en face du rassemblement pacifique auquel Rémi participait".

"LA GENDARMERIE DOUTAIT"

Sur la défensive, Bernard Cazeneuve a affirmé avoir donné au contraire des consignes de modération. "J'ai donné des instructions contraires", a-t-il répété mercredi à l'Assemblée.

Un dirigeant socialiste cité jeudi par Libération estime que ces consignes de fermeté ont pu être données par le Premier ministre Manuel Valls.

Bernard Cazeneuve a assuré jeudi sur France inter que les enregistrements de l'opération effectués par les gendarmes "n'ont jamais été portés" à sa connaissance, mais "à la connaissance de ceux qui font l'enquête", c'est-à-dire à l'autorité judiciaire.

Il ajoute n'avoir appris que "dans la matinée de dimanche qu'il y avait eu un mort à Sivens", "de mon cabinet, mais également du directeur général de la gendarmerie" et ne pas avoir été informé de la cause exacte de la mort.

Selon le ministre, le général Denis Favier lui a donné les informations suivantes : "La mort de Rémi Fraisse, ensuite le fait qu'une grenade offensive avait été lancée, mais que la gendarmerie considérait qu'elle n'était pas à l'origine de la mort pour des raisons qui tiennent au fait qu'aucune grenade offensive n'a occasionné la mort de manifestants au cours des dernières années."

Bernard Cazeneuve a réaffirmé avoir pour règle de ne pas communiquer avant la justice. "Lorsque j'apprends cet événement, je ne souhaite qu'une chose, c'est que la justice qui est déjà saisie de cette affaire communique. Elle ne le fait pas", assure-t-il.

(Gérard Bon, édité par Yves Clarisse)


A lire, deux articles de fond :

Mort de Rémi Fraisse : l’enquête bâclée de la gendarmerie
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/10/23/mort-de-remi-fraisse-l-enquete-baclee-de-la-gendarmerie_4795289_1653578.html#e5owPu23TQ7BKtIP.99

- Mort de Rémi Fraisse : les responsables sont à Matignon et place Beauvau https://reporterre.net/Mort-de-Remi-Fraisse-les-responsables-sont-a-Matignon-et-place-Beauvau