Les Chibanis de la SNCF devant la Cour d’appel de Paris

Après des années de lutte, les salariés marocains de la SNCF, embauchés hors statut dans les années 1970, ont vu leurs demandes de dommages et intérêts accepté par les Prudhommes en septembre 2016. Mais le groupe ferroviaire, qui joue la montre, a fait appel. La Cour d’appel de Paris se penche sur le dossier depuis ce matin.

« Les indigènes de la SNCF », obtiendront-ils gain de cause vis-à-vis de la SNCF ? C’est un procès hors norme qui se tient ce lundi et mardi devant la Cour d’appel de Paris. Par son enjeu, mais aussi par son ampleur. Plus de 800 cheminots, de nationalité ou d’origine marocaine pour la plupart, avaient assigné en justice leur ex-employeur pour discrimination. Plusieurs centaines de ces cheminots pourraient assister à ce procès qui se tient dans la grande salle du Palais de Justice de Paris, là où s’est récemment tenu le procès AZF, du nom de cette entreprise dont l’explosion de l’usine toulousaine avait occasionné la mort de 31 personnes et fait des milliers de blessés.

Quinze ans de procédure

Après 15 ans de procédure pour certains, le Conseil des Prudhommes avait condamné la SNCF à verser 170 millions d’euros le 21 septembre 2015 aux Chibanis (cheveux blancs en Arabe), mais l’opérateur ferroviaire a fait appel in extremis. Le jugement avait mis en évidence la discrimination subie par ces cheminots sur l’ensemble de leur carrière, avec des conséquences lourdes au moment de la retraite. Embauchés comme contractuels, avec un contrat à durée indéterminée de droit privé pour « travailleur étranger », ils ont été doublement pénalisés au moment de toucher leur pension. En effet, non seulement ces agents ferroviaires marocains ont été cantonnés aux échelons les plus bas pendant toute leur carrière, mais ils ont aussi été privés du régime de retraite plus avantageux des cheminots, qui relève d’une caisse de retraite spécifique, à laquelle ils n’ont pas été rattachés.

Des inégalités dans l’ensemble du déroulement de carrière

Sur la discrimination en matière de carrière, leur avocate a mis en évidence le fait que 100% des plaignants sont restés agents d’exécution, contre 25% des personnels au statut et à l’ancienneté comparables. Le jugement des Prudhommes a en effet condamné la SNCF pour discrimination indirecte et établi les différentes formes d’inégalités que ces Chibanis ont subi : déroulement de carrière, accès à la formation professionnelle, conditions de retraite, accès à la médecine… En septembre 2015, les Prudhommes avaient octroyé des dommages et intérêts d’environ 200 000 euros par agent. Jugement soutenu par le Défenseur des droits, dans un courrier du 21 juillet 2016, qui appuie la demande de reconnaissance contre l’ensemble des discriminations subies.

1200 Chibanis concernés

Si la SNCF est condamnée, les pénalités pourraient s’alourdir pour le groupe ferroviaire. En effet, l’avocate des cheminots marocains, aujourd’hui retraités, a réévalué à la hausse le préjudice subi. En outre, 300 à 400 nouveaux recours ont été déposés portant à 1200 le nombre de cheminots engagés dans la procédure. La SNCF avait recruté 2000 Marocains dans les années 1970, en vertu d’une convention signée entre la France et le Maroc qui devait garantir l’égalité de traitement avec les nationaux. La SNCF dément la discrimination et se retranche derrière les règles statutaires, qui réservent le statut de cheminot aux ressortissants de l’Union européenne. Sud-Rail et la CGT-Cheminots demandent la suppression de cette condition de nationalité comme cela s’est fait en 2002 à la RATP. Mais la SNCF campe sur ses positions. Pire, elle semble jouer la montre, espérant qu’une partie de ces retraités disparaissent afin que les dommages et intérêts versés soient le moins élevés possible. Un calcul cynique qui se traduira sans doute par un pourvoi en cassation si la Cour d’appel donne gain de cause aux « Indigènes du rail ».

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Véronique Valentino