A bras ouverts, yeux fermés, par Marine Danaux

Photo Marine Danaux, de la série "Enfants Roms"

Photo Marine Danaux, de la série "Enfants Roms"

Madame Zilberstein, Messieurs Clavier, De Chauveron, Abittan,

Vous parcourez ces derniers jours les antennes pour défendre votre film A Bras Ouverts. Vous haussez les épaules face à la polémique qui vous accuse de présenter les Roms de manière caricaturale. Vous rassurez les spectateurs sur vos intentions, et les invitez à venir partager en nombre vos bons sentiments. Vous brandissez à tours de bras le droit et même la nécessité à « rire de tout ».

Dans votre film, une famille française voit un groupe de Roms s’installer dans son jardin. Au moins, l’image est limpide ! Voleurs, profiteurs, squatteurs, sales, arriérés, vous n’épargnez aux Roms aucun des défauts qui leurs sont habituellement réservés. Le cliché est le sel de la comédie, expliquez vous, prétendant même changer le regard du public puisqu’au final vos Roms s’avèrent bien sympathiques.

Cela fait dix ans que j’arpente les bidonvilles de Seine-Saint-Denis pour enseigner à des enfants Roms en Antenne Scolaire Mobile. Leurs terrains prennent place près des périphériques, près des déchetteries, sous les ponts d’autoroute. Les seuls endroits où ils arrivent à s’installer quelques temps avant que les forces de l’ordre ne détruisent leurs habitations de fortunes. Mes jeunes élèves vivent parmi des hordes de rats. Ils racontent les entendre la nuit courir près de leurs cabanes. Ils angoissent de la prochaine expulsion. Ils souffrent de ne pas avoir accès à l’eau. Outre la misère, ils endurent la violence du regard que l’on porte sur eux, qui s’oppose à chaque initiative pour faire évoluer leur situation, à commencer par leur scolarisation dans les écoles de notre République.

J’espère que chacun de vous, comédiens, réalisateur, scénaristes, ignore tout de cette misère. Qu’aucun de vous ne vient sur nos antennes nous intimer d’en rire en connaissance de cause.  En 2015, j’ai filmé les quelques images qui suivent. Après les bras, ouvrez les yeux ! Je vous en fait cadeau. Regardez ces enfants ! Ils ne sont pas dans les salles à rire à vos côtés comme vous le prétendez. Ils ignorent bien la sortie de votre film. Regardez comme ils sont loin de vos piscines, de vos jardins.

Et expliquez-moi encore que votre « oeuvre » va les aider ! Que rire d’eux comme vous le faites n’est pas une injure à cette misère, à cette violence et aux immenses difficultés qu’ils rencontrent. Expliquez-moi encore que votre comédie ne va pas dans le sens des idées reçues, du racisme ambiant ! Expliquez-moi que vous vous faites autre chose que vous gaussez de gens qui subissent le rejet oral, moral et physique depuis des décennies !

Vous oubliez la misère de ces gens là.

Vous oubliez les sourires de ces enfants là qui demandent eux aussi à s’en sortir.

En rire et en faire rire c’est l’oublier et renforcer le déni et la haine d’ un peuple qui n’a pas cette vie quotidienne dont vous parlez.

Alors , non , ça ne me fait pas rire.

Expliquez-moi encore combien j’ai tort de pas trouver ça drôle …

Marine Danaux, ASET 93

Marine Danaux est une institutrice en camion-école, photographe et comédienne. En 2005, elle rencontre les familles de "voyageurs" au pélerinage des Saintes Maries de la mer, et elle s'engage dès la rentrée avec les antennes scolaires mobiles de Seine Saint Denis où elle donne des ateliers de théâtre, de français, de calcul et d'écriture. En 2006, les Roms débarquent en France et elle leur enseigne le français. Aujourd'hui elle entremêle photographie et enseignement dans un contexte précaire et provisoire. Elle travaille en camion-école, pour mener les enfants qu'elle accueille vers une scolarisation ordinaire. Vous pouvez suivre son travail sur son site internet : Marine Danaux - photographies