Histoires de ceux qui n'existent pas, ou le non accueil des mineurs venus d'ailleurs, 3. Par Agathe Nadimi

À 9h30 j'avais rendez-vous avec M. 15 ans à la sortie du métro couronnes. M. vient d'arriver à paris, il doit aller au demie (dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers).
Je lui explique ce qu'il va se passer.


Je le regarde rentrer du trottoir d'en face. 
Le défilé s'enclenche. 
Je me retrouve très vite avec un petit groupe (certains sont là pour espérer une mise a l'abri, d'autres espèrent une lettre prête suite à leur entretien d'évaluation, d'autres viennent le passer, d'autres viennent signer comme chaque matin étant mis à l'abri en hebergement sec dans le nouveau centre a anvers, ils n'ont rien à faire, ils traînent par là...) 
Je leur explique ce qu'ils devront faire une fois refusés.

L'un me dit "on dort où après, dans la rue? On veut pas rester dans la rue" , un autre me dit "d'accord je viendrai la ou tu dis jeudi pour le cours de français, je suis venu ici pour aller à l'école", l'un de ses copains de galère ajoute : " le plus dur, c'était d'arriver en vie ici, ça ira", un autre me supplie de passer un coup de téléphone depuis mon portable pour tenter de retrouver le copain avec qui il est venu dont il a perdu la trace depuis vendredi. Son copain dormait à porte de la Chapelle, il a appris pour la bagarre, il a peur pour son copain. 

Son copain arrive. Il a été refusé la semaine dernière, comme de nombreux autres, depuis il dort a porte de la chapelle, il est épuisé.
Il me demande combien de temps dure le recours et si je pense qu'il aura une chance d'être reconnu mineur au bout du compte. 
Il a 16 ans et un extrait d'acte de naissance. 
L'un sort écœuré et déchire sa lettre de refus. Il ne sait pas où aller. Il rajoute " pourquoi ils ont changé mon histoire, pourquoi ici ils ne veulent pas de nous, pourquoi on nous aide pas ? "
Je ne suis pas moins écœurée, je tente de le consoler...

Agathe Nadimi

Agathe Nadimi

Je croise A. Qui a refusé de risquer une nouvelle hospitalisation à cause des piqûres de punaises de lit, sa lettre n'est pas prête, il doit revenir demain à 14h. 
Je retrouve le petit pakistanais au sourire déroutant. Il avait été sorti du dispositif la semaine dernière pour raison secrète, mais il a finalement été réintégré...
Il dort au centre à Anvers avec les autres et aura son évaluation cet après-midi.

Ils me confirment tous qu'ils doivent quitter le centre dit d'hébergement à 8h30 pour la journée, doivent venir signer au demie tous les jours quand il est ouvert et n'ont rien à manger et que le soir c'est tous les jours menu bol de riz. 
Ils rajoutent "ça va mais il fait froid..."

Voici mon mail envoyé à la mairie de paris au sujet de ce nouveau centre si bien vendu dans cet article...

...en date du 7/4
Pas de réponse
Faut arreter de les considérer comme rien et de faire de la communication digne de publicité mensongère !
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Bonjour mesdames, bonjour messieurs,

Je me permets ce mail pour vous alerter sur l'absence de déjeuner et de bon repas pour les mineurs primos arrivants qui sont logés au nouveau centre Charles Godon à Anvers dans le 9e.
En effet, les mineurs qui y sont expliquent qu'ils doivent quitter les lieux à partir de 8h30 le matin et sont conviés a un point de rendez-vous à 17h30 au métro Anvers pour pouvoir réintégrer le lieu après une journée d'errance sans même un bon déjeuner. 
Ils expliquent aussi que les portions du diner sont très légères "un peu de riz avec de la sauce et du pain et qu'heureusement qu'il y a du pain..." 
Ce matin, un jeune sortait du DEMIE vers 11h avec le papier mentionnant ce point de rendez-vous sans même un ticket de métro pour y aller. 
Cette forme d'hébergement "sec" ne répond en rien au centre promis, présenté aussi comme l' alternative à l'hébergement dans les hôtels (infestés de punaises et n'offrant aucune sécurité, surveillance). 
Merci de voir avec coallia qui est en charge de ce nouveau centre et de me tenir au courant.

Je reste à votre disposition,
Cordialement,
Agathe Nadimi.

Entre la peste et le choléra, les hôtels infestés de punaises de lit mais un bon pour déjeuner au restaurant populaire le midi et le centre qui remet dehors toute la journée sans rien à manger... 
la politique du non accueil est proche de la perfection.

https://www.parisvox.info/…/nouveau-centre-daccueil-de-min…/

Agathe Nadimi

Enseignante et mère d’un adolescent de 14 ans, Agathe Nadimi a été touchée par l’histoire des migrants qui vivaient dans un camp de fortune à la station de métro Stalingrad à Paris, en 2016. Citoyenne solidaire, elle leur vient en aide depuis plus d’un an. Histoires de ceux qui n'existent pas, ou le non accueil des mineurs venus d'ailleurs, sa chronique dans L'Autre Quotidien, raconte cet engagement.