Rafle au lycée Suger : les enfants choqués, les parents mobilisés

Mardi 8 mars, 55 lycéens du lycée Suger à Saint-Denis ont été placés en garde à vue après que des violences se soient produites dans la matinée. Sur cette cinquantaine d’élèves, 44 étaient mineurs. Ils ont été détenus 36 heures en garde à vue, dans des conditions ahurissantes, alors que pour la très grande majorité, aucune charge n’a pu être retenue contre eux.

Ce vendredi 17 mars, les parents des élèves placés en garde à vue, après les incidents qui se sont produits mardi 8 mars au Lycée Suger de Saint-Denis (93), se réunissent en compagnie de leurs enfants afin d’étudier les suites à donner à ce vaste coup de filet policier. « Nous parents, devons savoir écouter nos enfants et parler avec eux de ce qu’ils ont vécu », explique une mère de famille, rencontrée mardi 14 mars, lors d’une réunion à la bourse du travail de Saint-Denis. Beaucoup se disent prêts à porter plainte. Non seulement contre les policiers, mais aussi contre la proviseure du lycée Suger. Les événements qui se sont produits dans cet établissement qui accueille plus de 1200 élèves sont en effet d’une gravité exceptionnelle et posent de nombreuses questions.

Des incidents la veille

Alors que s’est-il passé ce mardi 8 mars 2017 ? Un mot d’ordre circulait depuis la semaine précédente appelant les lycéens à bloquer leurs établissements, à Paris mais aussi en région parisienne, en solidarité avec Théo, ce jeune homme violenté à Aulnay-sous-Bois . Au lycée Suger, des incidents s’étaient produits dès le lundi, avec, semble-t-il, des jets de parpaings sur les vitres de l’établissement, des poubelles incendiées et des jets de cocktails molotov. Le midi, les élèves avaient déjà dû être évacués. Dans ces conditions, s’interroge la mère d’une élève de 18 ans, « pourquoi la proviseure n’a-t-elle pas à nos enfants de ne pas se présenter au lycée mardi, si elle n’était pas en mesure de garantir la sécurité des élèves ? ». Question restée pour l’instant sans réponse.

Des procédures de sécurité pas respectées

Le lendemain, en effet, dès 8h du matin, des échauffourées éclatent devant le lycée, mais la plupart des élèves rentrent en cours. Des véhicules de police sont déjà stationnés aux abords de l’établissement. Vers 10 h, à l’heure de la récréation, une explosion retentit. Un tir de mortier. Ou de fumigène. Plusieurs départs de feu sont constatés dans les toilettes. L’équipe mobile de sécurité prend la main et maîtrise rapidement les foyers d’incendie. Plusieurs professeurs auraient alors demandé à exercer leur droit de retrait, parce qu’ils se sentaient en danger. C’est alors que la direction de l’établissement prend la décision de faire évacuer l’établissement, « par petits groupes de 20 personnes ». Une version démentie par les élèves, que le père d’une élève de terminale, délégué FCPE (fédération de parents d’élèves, réputée à gauche) tourne en dérision. « Faire évacuer 800 élèves par groupes de vingt ? Il aurait fallu plusieurs heures… ». Mais ce n’est pas la seule bizarrerie. L’alarme incendie a été désactivée. Pour, selon le rectorat, éviter un mouvement de panique. Quant aux pompiers, personne ne se souvient les avoirs vus. Pour Sonia, mère d’une élève de 17 ans, également appréhendée par la police le 8 mars, il est clair que « le dispositif de sécurité et les modalités d’évacuation en cas d’incendie n’ont pas été respectés » .

Arrestations massives

Suite à la décision de faire évacuer l’établissement, les 800 à 900 élèves présents ce jour-là se retrouvent donc dans la rue, devant l’établissement, face à des dizaines de policiers . Une centaine de jeunes prend la direction du centre-ville, où ils caillassent les policiers, s’en prennent au mobilier urbain et commettent des dégradations dans deux autres lycées de la ville, les lycées Bartholdi et Paul-Eluard. Pendant ce temps-là, devant le lycée Suger, la tension est montée d’un cran avec les policiers, qui braquent les lycéens avec des flashballs et tirent des grenades lacrymogènes. C’est la panique. Les policiers décident alors de procéder à un vaste coup de filet. Plusieurs élèves, filles et garçons, sont menottés à même le sol, certains affirment avoir été frappés à terre à coup de matraque. L’un d’eux aurait reçu des décharges de taser. Un autre aurait été touché à l’arcade sourcilière. Les policiers embarqueront finalement 55 lycéens, dont 44 mineurs. Parmi les élèves interpellés, presque la moitié sont des filles, décrites pour la plupart comme des bonnes élèves. Si, contrairement aux garçons, elles n’ont pas été frappées, elles affirment avoir été copieusement insultées. « Ils nous ont traité de putes, de salopes», affirment Nadia et Béatrice, toujours extrêmement choquées plus d’une semaine après leur interpellation musclée. « Comme on n’avait rien fait, on pensait qu’on allait être libérées rapidement », poursuivent les deux filles, qui ignorent à ce moment-là qu’elles vont passer 36 heures en garde à vue.

Menottés à terre parfois par deux

Dans le fourgon de police qui les emmène au commissariat central de Saint-Denis, plusieurs élèves affirment avoir pu envoyer des sms à leurs parents. Khadidja affirme avoir reçu un sms de sa fille scolarisée en première à Suger. « C’est un piège de la police » aurait écrit la jeune fille, « ils sont en train de taper les garçons et il y en a un qui saigne de ouf ». Avant d’expliquer qu’on l’emmenait au commissariat et qu’elle avait « très très peur ». Conduits au commissariat central de Saint-Denis, la cinquantaine d’élèves sont placés derrière des grilles, dans le hall. Assis par terre dos à dos, ils sont menottés, parfois par deux. Là, les policiers les auraient filmés et pris en photo. « Ils faisaient des selfies, nous donnaient des coups de pied pour qu’on range nos jambes, nous ont traités de noirs et d’arabes ». Les policiers fouillent leurs téléphones et auraient même convaincu Béatrice de ne pas demander d’avocat, pour que « ça aille plus vite ». A une élève blanche qui « ne devrait pas être là », les policiers déclarent « tu as une tête d’innocente ».

Violences, moqueries et vexations

Les élèves interpellés passeront plusieurs heures menottés, à subir les moqueries et les vexations des policiers. Annaëlle, qui a répondu à un policier qui lui a demandé ce qu’elle veut faire plus tard, qu’elle souhaite devenir DRH, se voit répondre « là où tu habites [les Francs-Moisins], c’est mort ». Idem pour Nadia, qui veut être infirmière. Le soir, les élèves interpellés sont conduits au commissariat de la Plaine Saint-Denis, où ils passeront la nuit. « Nous les filles, nous avons passé la nuit, par trois et jusqu’à sept par cellules ». Les garçons ayant été semble-t-il placés en cellule avec des majeurs. Le matin, ils sont reconduits au commissariat central où les policiers auraient fait pression pour qu’ils signent le document prolongeant leur garde à vue, sur demande du parquet, sans même leur en donner lecture. Selon plusieurs mères de famille, leurs enfants n’auraient pas non plus bénéficié de l’assistance d’un avocat pendant leur trente-six heures de garde-à-vue. Embarqués le mardi à 11h, la plupart des adolescents ne seront relâchés que le mercredi à 21h. Sur les 55 élèves interpellés, six ont été mis en examen et deux sous le statut de témoins assistés.

Les parents entre flou et inquiétude

Selon Khadidja, la mère de Nadia, qui raconte les heures d’incertitude et d’angoisse, une policière l’aurait appelée pour l’informer, mardi dans la matinée, que sa fille était en garde à vue pour une durée de « vingt-quatre à quarante-huit heures », avant de lui raccrocher au nez. Mais sans lui préciser pour quelle raison ni même lui dire dans quel commissariat elle était retenue. Lorsqu’elle se rend finalement sur place avec son mari, d’autres parents sont déjà présents. Khadidja et son mari se rendent alors à la pêche aux informations au lycée Suger. « La concierge n’a rien voulu savoir, nous a dit qu’il n’y avait personne et que nous n’avions rien à faire devant le lycée ». Rejoints par d’autres parents, ils commencent à s’énerver. « C’est à ce moment-là que la proviseure est arrivée ». Ce que confirme Sonia, qui était également sur place. Les aprents sont finalement reçus par la proviseure en présence de son adjoint et font part de leurs griefs. « Elle nous a affirmés qu’elle avait été obligée de faire sortir tout le monde, que ce qui s’était passé après n’était pas de son ressort, qu’elle avait renvoyé les élèves chez eux. Contrairement à ce qu’elle a dit, ils ne sont pas sortis par petits groupes, nous avons le témoignage de la directrice de la maternelle qui se trouve en face du lycée », enrage la mère de famille, qui ne s’explique pas que la proviseure ne les ait pas informés. Le mercredi après-midi, les parents ont été reçus par l’adjoint au maire de la ville, dans la salle des mariages. « Il ne comprenait pas comment 44 mineurs sortant du lycée avaient pu se retrouver en garde à vue ».

Une ministre de l’éducation au ton martial

Dans un communiqué daté du 8 mars, Najat Vallaud-Belkacem, après avoir qualifiées d’inacceptables les violences, à l’instar de la présidente de la région Valérie Pécresse, avait déclaré que « l’Etat resterait ferme face à ces situations, comme l’ont montré les interpellations de ce jour », adoptant davantage le ton d’un ministre de l’Intérieur que celui d’un ministre de l’Education nationale. La ministre n’a pas répondu à nos questions. En revanche, nous avons reçu un mail de Jean-Luc Nevache, directeur de cabinet de Bruno Le Roux. Interrogé sur le fait de savoir comment 44 mineurs, contre l’écrasante majorité desquels aucune charge n’a finalement été retenue, ont pu être placés en garde à vue pour 36 h, il nous a fait savoir que « les gardes à vue ont été réalisées sous le contrôle d’un juge qui a décidé de leur prolongation. Elles ont évidemment été réalisées en respectant les conditions de notification des droits prescrites par le code de procédure pénale ». Avant d’ajouter que « si ces jeunes estiment avoir à se plaindre des conditions de leur interpellation, il leur est loisible de saisir l’Inspection générale de la police nationale qui est accessible par le site internet du ministère de l’intérieur, le défenseur des droits ou même de déposer plainte auprès du Procureur de la République ». Des réactions que déplore Rodrigo Arenas, président de la FCPE de Seine Saint-Denis, pour qui il est évident que « des choses n’ont pas fonctionné dans la mise en sécurité des élèves ».

Etablir clairement les responsabilités

Sonia, qui peste sur les heures d’enseignement perdues par sa fille, élève qui passe son bac à la fin de l’année, a dû faire appel à un professeur particulier. Comme Jean-Jacques, père d’une élève qui a échappé au coup de filet et délégué FCPE, elle explique que l’établissement souffre d’un manque de personnel. En septembre dernier, après l’agression d’un surveillant, le rectorat avait annoncé la création d’un poste et demi de surveillant. Une mesure jugée unanimement insuffisante. Pour Jean-Jacques, il est indispensable d’ouvrir une enquête pour comprendre la chaîne des décisions et établir les responsabilités qui ont abouti à placer une cinquantaine de lycéens en garde à vue pendant près de 36 heures. Des propos qui font écho à ceux de Rodrigo Arenas, qui soutient les parents de Suger dans cette épreuve et dénonce des faits qui ont « porté atteinte à l’intégrité physique et morale » des adolescents. « Nous sommes dans Etat de droit et il y a des responsabilités institutionnelles qu’il faudra établir clairement ». Après être intervenu sur BFM TV, il affirme avoir reçu des mails anonymes lui reprochant de soutenir « des délinquants et des vendeurs de drogue ».

Aucune excuse aux élèves ou aux familles

Ni le ministère de l’Education nationale, ni celui de l’Education nationale, ni le rectorat n’ont présenté leurs excuses aux lycéens injustement placés en garde à vue ou à leurs familles. Aucun soutien psychologique n’a été mis en place, alors que les adolescents et leurs parents affirment être encore choqués par ce qui s’est passé. Interrogées sur ce qu’elles pensaient de la police avant les événements du 8 mars, Nadia déclare qu’elle ne savait pas « qu’ils étaient capables de ça. Une conviction qui a radicalement changé. Maintenant, quand j’en croise, je ne les regarde pas, j’ai peur », explique la lycéenne avant de conclure, effarée : « la proviseure aurait dû nous laisser dans le lycée, il ne se serait rien passé ».

Véronique Valentino