L'IGPN invente le viol involontaire, par Véronique Valentino

Dernier rebondissement dans l’affaire de Théo Luhaka, ce jeune homme de 22 ans violenté par quatre policiers, un premier rapport de l’IGPN retient la thèse de l’accident et écarte celle du « viol délibéré ». Une thèse qui pose problème concernant la définition même du viol.

Un accident et non un viol. C’est, selon LCI, la thèse retenue par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) dans ses premières observations et compte-rendus d’enquête transmis à la juge d’instruction en charge de l’affaire de l'arrestation du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois. La police des polices retient que Théo a refusé de se laisser menotter et parle d’une « opération qui tourne mal ». Les enquêteurs de l’IGPN admettent la pénétration et les violences, parlent d’un « accident grave et réel » -c’est bien le moins- mais écartent toute idée de « viol délibéré ». Il y aurait bien eu pénétration et violences mais l’IGPN conclut qu’il y a une absence « d’élément intentionnel » dans le geste du policier.

« C’est très grave, indubitablement, ça peut être des violences ayant entraîné une infirmité permanente. Mais ce n’est pas un viol », aurait ajouté l’IGPN. Rappelons que dimanche dernier, la juge, chargée de l’instruction, a mis en examen l’un des policiers pour viol et les trois autres pour « violences volontaires en réunion ». La juge d’instruction chargée du dossier acceptera-t-elle de requalifier les faits en « violences volontaires », comme le préconise l’IGPN ? C’était déjà le cas du parquet de Bobigny, qui, dans son communiqué de presse du 5 février, affirmait que « les éléments constitutifs de la qualification de viol était insuffisamment établis » .

De nombreuses incohérences

Il y a cependant dans cette thèse plusieurs incohérences. Soit il s’agit d’un accident et alors les policiers doivent être poursuivis pour violences involontaires, soit celles-ci ont un caractère volontaire et il s’agit forcément d’un viol. En l’occurrence, parler du caractère non intentionnel du geste du policier pose un problème quant à la définition même du viol. Rappelons qu’au terme de l’article 222-3 du Code pénal, un viol est défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Or, comme le relevait Maître Dupond-Moretti, qui assure la défense de Théo et sa famille, « s'il suffisait simplement de prétendre qu'il n'y avait pas de caractère sexuel à son acte pour s'affranchir du viol, beaucoup de violeurs utiliseraient cet argument ».

Mais ce n’est pas la seule incohérence concernant la thèse de l’IGPN, dans ses conclusions, pour l’instant provisoires. Au terme « des constatations matérielles, de l’audition des policiers, des témoins et des images de vidéo-surveillance », selon Cécile Denré de BFM TV, le policier aurait « porté un coup de matraque dans le dos » de Théo pour l’obliger à s’allonger.  Dans une précédente version, livrée au Parisien qui le nomme Marc-Antoine, le policier affirme « je décidais de porter à l'individu des coups de matraque télescopique en visant ses membres inférieurs dans l'espoir de lui faire perdre l'équilibre et de l'amener au sol ».  

Un avocat conseil du syndicat Alliance

Ce ne sont pas les explications de son avocat, Maître Frédéric Gabet, présenté comme le conseil du syndicat Alliance -le plus à droite des syndicats policiers-, qui risquent d'écalaire les circonstances du viol. Me Gabet dit d'ailleurs mesurer « la difficulté de faire entendre cette version ». Ce qui ne l'empêche pas de se perdre en détails scabreux, en expliquant que son client, « visant les cuisses » de Théo, « a utilisé à deux reprises le bâton à la manière d'une épée ». Il ne s’agit pas d’un détail, car non seulement le policier et son avocat se sont visiblement contredits, mais en plus aucune de ces versions ne cadrent avec ce que l’on voit sur la vidéo. Celle-ci montre un policier assénant à Théo un coup à l’horizontale avec sa matraque télescopique avant de s’éloigner, alors que le jeune homme est déjà à terre et qu’il est aux mains de ses collègues. La défense du policier violeur en dit également long sur l'inconscient policier. L'interpellation violente de Théo serait justifiée par le refus du jeune homme de se laisser menotter. Alors que celui-ci, franchement courageux pour le coup, n'a fait que s'interposer pour protéger un gamin de treize ans, malmené par les policiers. Que nous donne-t-il à entendre là ce policier ? Qu'il est intolérable de résister à l'arbitraire, que cette résistance citoyenne justifie la pire des violences, qu'elle serait, à l'esprit du policier, une violence qui justifierait la sienne, fusse la plus ignoble, en retour. On est évidemment sidéré par de tels aveux.

Par ailleurs, le rapport médico-légal suffirait à lui seul à infirmer la thèse curieuse du « viol involontaire ». Comment une matraque télescopique d’une longueur de 50 cm, selon le Parisien, aurait-elle pu causer une blessure longitudinale d’une dizaine de centimètres, sans qu’une force importante ait été exercé par le policier ? Autre bizarrerie dans cette affaire, la juge chargée de l’instruction n’avait pas encore pu visionner la vidéo ce matin, en raison de « problèmes techniques ». Une affirmation surprenante, car la vidéo en question tourne en boucle sur tous les sites d’information et les réseaux sociaux de France.

Des jeunes condamnés à de la prison ferme

L’insistance du parquet et de la police des polices à parler de geste gravissime mais involontaire préjuge-t-elle d’une issue favorable pour les policiers ? Des consignes ont-elles été données par le ministre de la Justice et celui de l’Intérieur ? D’autant que les policiers agresseurs, s’ils sont bien sous contrôle judiciaire, n’ont pas été placés en détention préventive, alors que le viol est un crime -et non un simple délit- passible de quinze ans de prison. Pendant ce temps, dix-sept jeunes ont été jugés mercredi au tribunal de Bobigny, seulement trois jours après leur interpellation, dont six majeurs jugés en comparution immédiate. Ils ont été pour la plupart jugés pour des faits d’embuscade. Et les premières condamnations sont tombées. Deux d’entre eux ont été condamnés à six mois de prison ferme et trois autres ont écopé de six mois de prison avec sursis.

Ce matin, dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin, le frère de Théo, Michaël, appelait au calme. Son frère, expliquait-il, s’est interposé face à « des individus qui portaient un uniforme de police, mais qui n’étaient pas policiers » pour empêcher l’agression d’un jeune homme de treize ans. « Si on fait l’amalgame de dire que ces gens-là sont policiers, alors on peut dire que dans tous les quartiers, il y a des délinquants ». Il a rappelé que dans les quartiers, « il suffit d’un rien pour que ça explose », avant d’en appeler « à la responsabilité de tout le monde » et de conclure que lui et sa famille faisaient confiance à la justice.

Véronique Valentino

Mis en ligne le 9 février 2017