Nos désaccords avec la loi "Légitime défense", par Véronique Valentino

Mercredi 15 février, l’assemblée nationale votait définitivement la loi sur la sécurité publique. Cette loi facilite l’usage des armes à feu par les policiers, généralise l’anonymat et durcit les peines applicables en cas d’outrage et rébellion. Retour sur le processus d’adoption de cette loi qui nous en dit long sur l’état des forces en présence et les travers de notre démocratie représentative…

Malgré les réserves du Défenseur des droits,  malgré celles du Syndicat de la magistrature et celles des avocats, le gouvernement socialiste aura tout fait pour permettre l’entrée en vigueur de la loi sur la sécurité publique avant la fin du quinquennat de François Hollande. Il a d’ailleurs choisi la procédure accélérée. Déposée au Sénat le 21 décembre 2016, la loi aura été définitivement adoptée le 15 février 2017 par l’assemblée nationale. Le vote de cette loi controversée a été d’autant plus rapide que droite et gauche étaient d’accord pour réformer le cadre de la légitime défense des policiers, afin de l’aligner sur celui des gendarmes qui, en tant que militaires, bénéficient de conditions d’ouverture du feu plus souples. Seule différence, les députés de droite voulaient aller plus loin concernant les policiers municipaux. De fait, l’assouplissement des règles de la légitime défense est une vieille revendication des syndicats policiers, soutenue, depuis des lustres, par la droite et l’extrême-droite. Cependant, dans sa hâte de voir le texte adopté avant la fin de la mandature, le gouvernement socialiste a cédé face aux sénateurs LR qui ont rétabli le délit de consultation habituelle de sites djihadistes, pourtant censuré le 10 février en par le Conseil constitutionnel.

Le gouvernement cède aux policiers

Pour comprendre comment cette loi a pu être adoptée à la quasi-unanimité, il faut revenir sur son contexte. Le 8 octobre, une quinzaine de personnes incendient deux véhicules de police à un carrefour de Viry-Châtillon, où se trouve une partie de la Grande Borne, quartier populaire constitués de grands ensembles majoritairement situés à Grigny. Le lieu est connu pour être le cadre de vols à la portière avec violences. La caméra située au feu rouge est régulièrement vandalisée, ce qui explique la présence de policiers sur place. Lors de ces échauffourées, deux policiers sont grièvement blessés. Quelques jours plus tard, les policiers descendent massivement dans la rue pour manifester.  Le 18 octobre, ils sont sur les Champs-Elysées. Le 13 décembre, alors qu’on découvre que le mouvement des policiers en colère est noyauté par l’extrême-droite, ils obtiennent l’autorisation de manifester, après avoir défilé illégalement en tenue et avec leurs véhicules pendant des semaines. Dès le 10 octobre, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, annonce une enveloppe globale de 250 millions d’euros.

Une vieille revendication des syndicats de policiers

Mais les policiers ne désarment pas. Ce qu’ils veulent : l’assouplissement des règles de la légitime défense, qui met, selon eux, en péril leur vie. Pourtant, comme le rappellera le Défenseur des droits, les règles qui prévalent alors, suffisaient pour que les policiers de Viry-Châtillon puissent utiliser leurs armes, leur vie étant directement menacée. Du reste, l’utilisation de leurs armes ne leur auraient été d’aucun secours contre les jets de cocktails molotov qui ont embrasé leurs véhicules. Mais très vite, le discours des « policiers en colère », qui débordent les syndicats de la profession, argumente sur le fait qu’il est inacceptable que les conditions de la légitime défense pour les policiers soient les mêmes que celles qui s’appliquent au citoyen lambda. Car contrairement aux gendarmes, qui sont des militaires et qui bénéficient de règles plus souples, la légitime défense des policiers est régie par l’article 122-5 du code pénal. Comme pour n’importe quel citoyen, la loi stipule qu’il y a légitime défense, lorsque, « devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, [la personne] accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte ».

Tir après sommation

Le 21 décembre, le gouvernement dépose un projet de loi au sénat. Le cœur du texte est son article premier qui définit un cadre commun d’usage des armes à feu pour les policiers et les gendarmes, mais aussi pour les douaniers et les militaires de l’opération sentinelle. Désormais, les policiers pourront faire usage de leur arme dans cinq circonstances listées par la loi. En cas de menace directe et, après deux sommations, pour défendre le terrain qu’ils occupent, pour arrêter des personnes qui cherchent à échapper à leur garde et représentent un danger, pour arrêter un véhicule s’il y a menace, ainsi qu’en cas de « périple meurtrier ».

Anonymat des policiers et durcissement des peines pour outrage : pourquoi c’est dangereux

En plus de l’alignement du régime de la légitime défense des policiers sur celui des gendarmes, la loi contient d’autres points qui vont avoir des conséquences importantes en cas de « bavure » policière. En effet, elle durcit les peines pour outrage envers les forces de l’ordre, désormais passibles d’un an de prison ferme et de 7500 euros d’amende. Or, en cas de violences policières, les policiers portent quasi systématiquement plainte contre les victimes pour outrage et rébellion. C’est d’ailleurs le cas concernant Théo, le policier mis en examen pour viol ayant porté plainte pour outrage et rébellion contre le jeune homme. La loi généralise également l’anonymat des policiers dans les procédures judiciaires portant sur des crimes ou délits punis de trois ans d’emprisonnement ou plus. Si l’on en revient à l’affaire Théo, si cette loi avait été en vigueur, son avocat n’aurait sans doute pas eu accès à l’identité du policier mis en examen pour viol.

Le collectif « Urgence notre police assassine », qui réunit des familles de victimes de la police, s’est très tôt mobilisé contre la loi sécurité publique concédée à la colère policière. Le 7 février, jour d’ouverture de la discussion de cette loi à l’assemblée nationale, Amal Bentounsi et Omar Slaouti, étaient présents devant le palais bourbon. Rendez-vous avait été pris avec Pouria Amirshahi et Noël Mamère, ex-député socialiste et non-inscrit pour le premier, député Europe Ecologie les Verts, pour le second. Un peu en retrait de l’assemblée nationale, place Edouard Herriot, Amal Bentounsi, fondatrice du collectif, remettait la pétition contre la loi sécurité publique, signée par 40 000 personnes. La jeune femme a de bonnes raisons de dénoncer cette loi qui facilite l’usage des armes à feu par la police. Si elle avait été en vigueur, la mort de son frère, tué d’une balle dans le dos en 2012, à Noisy-le-Sec, alors qu’il fuyait, n’aurait peut-être pas donné lieu à un procès.

« Une forme de reconnaissance du travail des policiers »

Le 7 février, jour de l’ouverture du débat à l’assemblée nationale -débat qui aura duré seulement deux jours-, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, annonce la couleur. Pour lui, cette loi est « une forme de reconnaissance du travail » des forces de l’ordre. Il explique sans ambages que « le texte (…) se veut une réponse à la demande légitime de protection exprimée par les fonctionnaires de police ». Avant le vote en première lecture, le 8 février, l’ex-député PS Pouria Amirshahi, aujourd’hui député non-inscrit, tente de faire voter une motion de rejet préalable. Elle est bien évidemment rejetée. De fait, le 8 février 2017, la loi est adoptée en première lecture, dans un hémicycle quasi vide. Seuls sont présents une quinzaine de députés, parmi lesquels les deux députés du Front national, Gilbert Collard et Marion Maréchal Le Pen. La loi est votée à mains levées, à la quasi-unanimité. Pouria Amirshahi affirme avoir voté contre, les députés communistes s’abstiennent le 8 février. Si nous revenons sur ce vote du 8 février dernier, c’est que la loi avait alors été adoptée à la quasi-unanimité (moins une voix contre, celle de Pouria Amirshahi), les députés du groupe communiste (gauche démocrate et républicaine) s’étant abstenus. Une abstention tellement difficile à justifier que lors du vote en deuxième lecture, le 15 février, les députés communistes ont cette fois voté contre.

Où l’on découvre que la plupart des lois sont votées à mains levées

En examinant les différents votes qui ont jalonné l’adoption de ce texte que le collectif « Urgence notre police assassine » décrit comme un « permis de tuer » accordé aux forces de l’ordre, nous avons découvert, nous qui ne sommes pas des journalistes parlementaires, une bizarrerie totalement anti-démocratique. La plupart des lois sont non seulement votées dans un hémicycle presque vide, mais aussi à mains levées. Dans ce cas, il n’existe aucune trace des votes, excepté les images vidéo filmées par l’assemblée nationale, montrant les députés au moment du vote. Il est donc la plupart du temps impossible de savoir quel député a voté pour ou contre telle ou telle loi. Une absence de traces bien évidemment préjudiciable à la démocratie. Si le président de séance a un doute, « il fait procéder par assis et levé » . Bien entendu, pour les grandes lois, comme les lois de finances, c’est le scrutin électronique qui a cours. Dans les autres cas, le vote électronique peut aussi être décidé par le président de séance ou le président de l’un des groupes parlementaires. C’est ce qui s’est passé du reste lors du vote en deuxième lecture. Pouria Amirshahi nous a affirmé avoir demandé au groupe communiste un scrutin électronique. Ce qui explique que pour le vote du 15 février, on dispose de l’analyse du scrutin sur le site de l’assemblée nationale. Le 15 février, lors du vote en deuxième lecture, les députés communistes, qui s’étaient d’abord abstenus, voteront cette fois-ci contre le projet de loi. Pour être précis, sur les 40 députés ayant voté le texte, 34 ont voté pour (les députés socialistes, LR et radicaux de gauche), 5 contre (les députés communistes, les écologistes et Pouria Amirshahi).

De curieux arguments

Interrogé sur son abstention du 8 février, la secrétaire générale du groupe communiste à l’assemblée renvoie à l’intervention de Marc Dolez en séance. Elle justifie le revirement du PCF par le fait que l’équilibre trouvé lors du premier texte était rompu dans sa seconde version, celle adoptée le 15 février. Un argument curieux. Non seulement à cette date, on est en pleine affaire Théo, mais les explications avancées par Marc Dolez, député du Nord, devant l’assemblée laissent songeur. Lors de son intervention, il commence par « saluer le travail des forces de l’ordre, particulièrement éprouvées depuis les attentats et la mise en œuvre de l’état d’urgence » et explique qu’il « souhaite rendre hommage à leur dévouement au service de nos concitoyens ». Avant d’expliquer que la loi est inutile puisque « la jurisprudence nationale et européenne a déjà considérablement unifié le régime applicable à la police et à la gendarmerie, en exigeant en particulier que soient réunis les critères d’absolue nécessité et de proportionnalité ». Avant de conclure que « le dispositif proposé n’apporte pas de protection supplémentaire mais il pourrait donner l’illusion aux policiers qu’ils pourraient user plus facilement de leurs armes alors même que les principes de la légitime défense, absolue nécessité et proportionnalité, resteront primordiaux ». Donc, cette loi qui ne change rien pourrait inciter les policiers à faire plus facilement usage de leurs armes, tandis que la jurisprudence les amènerait à se retrouver devant les tribunaux… On comprend que, préoccupés par les conséquences néfastes de la loi pour les policiers, le groupe communiste se soit abstenu. Quelle sollicitude ! C’est aussi oublier que la jurisprudence européenne, plus protectrice des citoyens que le cadre national, pourrait demain être remise en cause, Marine Le Pen ayant annoncé son intention de quitter la Cour européenne des droits de l’Homme…

Un tournant libéral-sécuritaire

Lors de la discussion du texte le 7 février, Pouria Amirshahi sera le seul, à rebours des autres députés, à défendre un alignement du régime de la légitime défense des gendarmes sur le droit commun déjà appliqué aux policiers. Interrogé en fin de semaine dernière, il déclarait que la loi sur la sécurité publique « vient clore le quinquennat dans son tournant néo-conservateur et libéral-sécuritaire ». Selon lui, elle « irresponsabilise encore plus les forces de l’ordre ». Une loi « d’autant plus grave qu’elle s’inscrit dans le contexte de l’Etat d’urgence ». L’ex-député PS dénonce l’accumulation des lois de surenchère pénale qui au final créent un « monstre juridique, qui pourrait demain profiter aux tentations les plus autoritaires ». Le député, aujourd’hui non-inscrit, dit avoir eu le sentiment de ne même plus pouvoir infléchir les décisions au plus haut niveau, ce qui a motivé sa rupture avec le PS. Il ne sera, bien entendu, pas investi pour les législatives de 2017, mais ne compte pas se représenter.

Une tache indélébile

Pour Omar Slaouti, du collectif « Vérité et justice pour Ali Ziri », un retraité de 69 ans décédé en 2009 lors de son interpellation par la police, les parlementaires qui ont voté en faveur de cette loi « auront du sang sur les mains ». Selon la page du collectif « Urgence notre police assassine » qui publie des chiffres officieux concernant le nombre de personnes tuées et blessées par la police, une dizaine de personnes au moins décéderaient de cette manière chaque année. Alors que, les policiers décédés en service -six en 2015- le sont majoritairement lors d’accidents de la circulation ou d’événements « fortuits ». Cette loi, l’une des dernières votées sous le quinquennat de François Hollande risque de rester comme une tache indélébile sur le bilan du gouvernement socialiste. Le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux a vanté l'empressement sécuritaire de la majorité socialiste, rappelant que, entre 2012 et 2016, le parlement aura voté quatre lois sur le renforcement de la lutte antiterroriste et contre la criminalité organisée, ainsi que sur le renseignement. 

Véronique Valentino

Publié le 21 février 2017


Photo : LEWIS JOLY/SIPA - SIPA