Théo : les mères de famille des cités se rebiffent, par Véronique Valentino

Lors de la manifestation de samedi dernier à Bobigny, elles étaient nombreuses. Les mères d’adolescents, depuis longtemps investies dans la vie de leur quartier, ont pris la parole pour exiger que la police arrête de harceler et humilier leurs enfants. Beaucoup ont expliqué, avec émotion, à quel point elles avaient peur pour leurs enfants.

Elle est montée sur la tribune improvisée à côté du tribunal de Bobigny, face à la passerelle où des dizaines de CRS s’étaient regroupés, et s’est emparée du micro. Blandine Diafutua, mère de cinq enfants et salariée d’une société privée de télécommunications, a laissé éclater son indignation lors de la manifestation organisée samedi dernier. « Quand on frappe un animal ou un enfant, les gens s’interposent. Il y a des lois contre. Mais quand la police frappe un jeune homme africain, c’est normal », avant de demander « Justice pour Théo et pour Adama [Traoré] ». « On n’oublie pas, on pardonne pas » scandaient les manifestants, alors qu’un graffeur dessinait, sur une banderole en cellophane, le face à face tendu entre un policier et un jeune. Avec ces mots : « Théo et Adama nous rappellent pourquoi Zyed et Bouna courraient ».

Les mêmes humiliations vécues par leurs parents

Comme Blandine, de nombreuses mères des quartiers populaires de Paris ou de banlieue étaient présentes parmi les 2000 personnes qui avaient fait le déplacement. Les femmes ont de tout temps joué un rôle important dans les luttes des quartiers populaires. Et ce samedi, elles n’ont pas hésité à crier leur colère contre les policiers qui maltraitent leurs enfants. « Les policiers représentent la loi, mais ils sont les premiers à discriminer et maltraiter nos enfants », déplore-t-elle. A la tribune, cette militante panafricaine a aussi dénoncé l’exploitation de son pays d’origine, le Congo, où des femmes, des hommes et des enfants subissent des viols. « Aujourd’hui, mes enfants entendent les mêmes insultes racistes que j’ai subi, ici en France, tout le long de mon parcours scolaire, depuis la maternelle jusqu’à l’université » dénonce-t-elle. Plus tard, Christine, une franco-ivoirienne, a également pris la parole. Elle a déploré que les jeunes franco-africains ne soient pas « acceptés dans leur pays d’origine, parce qu’ils n’ont pas les mêmes codes, les mêmes manières et les mêmes comportements que les Ivoiriens ».  Avant d’interroger, la voix nouée, « si vous les français vous ne voulez pas d’eux, où iront-ils ? » Au pied de la tribune, le débat était lancé. A Christine, qui veut parler aux politiques, répondait le scepticisme de Faty, cousine de Lamine Dieng, assassiné par la police, et militante du collectif « Vies volées », qui appelle à s’organiser de façon autonome dans les quartiers.

Des patates et des tartes

Si les mamans des jeunes des quartiers étaient si présentes, c’est qu’elles savent bien ce que subissent leurs enfants. Nawal, une franco-algérienne habitant Bobigny, racontait les violences vécues par son fils, il y a un mois et demi, alors qu’il n’avait pas quinze ans. Le jeune homme, qui milite pour les jeunesses communistes, traversait la place du marché, un endroit connu pour être un lieu de trafic de drogue, pour rejoindre le stade Henri Wallon. Au moment où une patrouille de policiers arrivent au coin de l’avenue Jean-Jaurès, Moussa salue l’un de ses camarades. Ce qui suit résume bien les humiliations gratuites subies par tant de jeunes garçons de banlieue. « Les policiers l’ont accusé d’être un chouf (guetteur), ils l’ont insulté et l’ont accusé de payer ses vêtements de marque avec l’argent de la drogue », dénonce Nawal. L’un des policiers aurait alors entraîné Moussa à l’écart, dans un hall d’immeuble. « Ce policier l’a fouillé et lui a donné des patates (coups de poing) et des tartes (gifles) ». Le policier aurait aussi confisqué les clés du jeune homme, sous prétexte qu’elles pouvaient être celles d’un box utilisé pour planquer de la drogue. « Quand il est rentré à la maison, explique sa mère, il était complètement perturbé et affolé ». Après avoir emmené le jeune garçon au service de médecine légale de l’hôpital Jean Verdier de Bondy, pour faire constater les coups, le mari de Nawal se rend au commissariat de Bobigny. Les policiers lui restituent les clés de son fils, en expliquant qu’elles étaient parmi les objets trouvés, mais refusent de prendre plainte contre le policier qu’il accuse d’avoir agressé son fils.

L’auto-défense naturelle veut qu’on renvoie ce qu’on reçoit

Des histoires comme celles de Moussa, ces mamans en ont des dizaines à raconter. L’un des fils de Blandine, âgé de seize ans, a été victime d’une guérilla entre deux établissements scolaires de son quartier du 17é arrondissement de Paris, et sévèrement tabassé. C’est pourtant lui qui sera embarqué par la police et placé en garde à vue, alors qu’à l’hôpital, on a dû lui poser six agrafes pour une blessure au crâne. « Nous, les parents, avions pourtant contacté le commissariat pour demander une médiation », explique-t-elle. Comme beaucoup de personnes ayant pris la parole cet après-midi-là, Blandine a bien tenté d’appeler au calme, avant que le face à face entre jeunes et police ne dégénèrent. Mais elle refuse de condamner les jeunes. « La jeunesse a tellement vu ses parents subir des humiliations sans réagir qu’elle n’est plus prête à supporter les injustices », résume-t-elle. « J’ai beau dire à mes enfants de ne pas rentrer dans le jeu des policiers, l’auto-défense naturelle veut qu’on renvoie ce qu’on reçoit ». Pour Blandine, comme pour Christine, Faty ou Nawal, la manifestation qui a rassemblé bien au-delà des banlieues, est le signe que, peut-être, quelque chose est en train de changer.

Véronique Valentino

Publié le 15 février 2017