Denko Sissoko reconnu mineur après son suicide ! par Véronique Valentino

Un scandale ! L’association La sauvegarde de la Marne réclame le licenciement de l’éducatrice qui avait dénoncé la situation des mineurs isolés étrangers dans ce département. En revanche, rien n’a été mis en place pour assurer de meilleures conditions d’accueil et de suivi, malgré le suicide de l’un de ces jeunes en décembre dernier.

Une minute de silence a été observée au pied du foyer Bellevue où le jeune Malien est décédé. / Raphaël Doumergue / France 3 Champagne-Ardenne

Une minute de silence a été observée au pied du foyer Bellevue où le jeune Malien est décédé. / Raphaël Doumergue / France 3 Champagne-Ardenne

Rien n’y aura fait. Ni la création d’un comité de soutien, ni la pétition qui depuis le 29 janvier a déjà recueilli plus de 2500 signatures, ni la manifestation organisée le 30 au matin devant les locaux de l’association La sauvegarde de la Marne, à qui le conseil général sous-traite l’accueil et le suivi des mineurs isolés étrangers du département. L’association a prononcé hier matin une mise à pied conservatoire, en vue d’un licenciement pour faute grave, à l’égard de Ibtissam Bouchaara, éducatrice spécialisée sanctionnée pour avoir dénoncé publiquement les conditions d’accueil et de suivi des jeunes migrants, après le suicide d’un jeune Malien, Denko Sissoko, le 6 janvier (voir notre article du 27 janvier dernier. Le 11 janvier, elle avait répondu aux questions des médias locaux lors de la marche blanche organisée en mémoire de Denko Sissoko et saisi le Défenseur des droits.

Une sanction particulièrement lourde

Depuis hier, Ibtissam Bouchaara, qui élève seule ses deux enfants, n’est plus payée. En effet, la mise à pied conservatoire consiste à débarquer le salarié immédiatement et sans salaire. C’est une sanction prononcée lorsque l’employeur estime que le maintien du salarié représente un danger pour l’entreprise. Ce qui lui est reproché ? Avoir tenu des propos diffamatoires à l’égard de l’association et dénigré le Conseil départemental de la Marne, principal financeur de la Sauvegarde. Interviewé par France-Bleue Campagne Ardennes , Jean-Claude Aubert, le président de la sauvegarde de la Marne, qui a refusé de répondre à nos questions, tout comme le département, prétend qu’elle s’est exprimée au départ « en tant qu’éducatrice et pas comme déléguée du personnel ». Ce que réfute l’intéressée. Déléguée du personnelle Sud Santé Sociaux depuis décembre, elle dément avoir diffamé qui que ce soit dans cette affaire et dénonce une « violence inouïe » à son encontre . « Je ne comprends pas quel danger je ferais courir aux jeunes », s’indigne-t-elle. Elle devrait être fixée sur son sort d’ici une dizaine de jours, mais, pour Michel Aubry, ex-directeur à la Sauvegarde et syndicaliste CGT, il ne fait aucun doute que l’association ira jusqu’au bout, quitte à prendre le risque de perdre aux Prudhommes. Ibtissam Bouchaara bénéficiant de la protection accordée aux délégués du personnel, suite à son élection en décembre dernier, son employeur devra solliciter l’avis du comité d’entreprise -qui lui est acquis mais n’est que consultatif- et de l’inspection du travail.

Intimider les salariés

La sanction, extrêmement lourde, prononcée vis-à-vis de l’éducatrice témoigne, selon Michel Aubry, un ex-directeur de l’association, d’une volonté « d’intimidation vis-à-vis de tous pour qu’ils ne dénoncent pas les conditions d’accueil des mineurs isolés étrangers… » Le même, qui a quitté la Sauvegarde il y a un an et demi, se disait « extrêmement stupéfait » lorsqu’il a appris, avant son départ, la décision de l’association d’accepter les conditions imposées par le département pour la prise en charge de dizaines de mineurs étrangers par une poignée d’éducateurs (4 éducateurs et une cheffe de projet pour 73 mineurs). « Il est indéniable que ces jeunes ne sont pas placés en situation de protection », explique l’ex-directeur, qui estime par ailleurs qu’il est « dangereux d’intimider des salariés travaillant pour la protection de l’enfance, qui peuvent potentiellement, à travers leurs missions, être amenés à alerter lorsque des mineurs dont ils s’occupent sont en danger ». Ce syndicaliste CGT explique que le licenciement pour faute grave « est une sanction généralement prononcée pour des violences ou une mise en danger de mineurs, des détournements de fonds » et dénonce un « climat de peur » ainsi qu’une « gestion du personnel détestable », de la part de la direction.

La riposte s’organise

Depuis le 29 janvier, le soutien à l’éducatrice s’organise. La pétition lancée ce même jour a déjà recueilli près de 3500 signatures. Le comité de soutien rassemble de nombreuses organisations, parmi lesquelles le GISTI (groupe d’information et de soutien aux travailleurs immigrés, l’ADMIE (association de défense des mineurs isolés étrangers), le BAAM (Bureau d’aide et d’accompagnement aux migrants) et Solidaires Marne, mais elle est aussi soutenue par l’ensemble des syndicats de la Sauvegarde et la Ligue des droits de l’homme. Ironie du sort, alors que l’éducatrice est en instance de licenciement et suspendue sans salaire, il se trouve que Philippe Colautti, qui n'a pas pu ne pas être sollicité sur le le dossier du licenciement en tant que directeur général, même s'il est parti en vacances depuis, a été décoré de l’ordre national du mérite en avril 2016. On apprend par l’Est Républicain, que le maire PS de Verdun, Samuel Hazard, qui a effectué la demande de décoration pour lui, a déclaré lors de la cérémonie, sans rire, que Philippe Colautti symbolisait « ce que la République fait de mieux » . On trouve également Jean-Claude Aubert parmi les personnalités nommées chevalier de l’ordre le 13 novembre 2014… 

Une conclusion amère pour Denko Sissoko

Après le décès de Denko Sissoko, le collectif « Un geste pour Denko » avait lancé une cagnotte solidaire sur Internet, afin de financer le rapatriement de son corps au Mali. En effet, ni le département de la Marne, ni la Sauvegarde n’ont accepté de participer aux frais. Comble du cynisme, lors de l’entretien du 30 janvier qui s’est soldé par la mise à pied de Ibtissam Bouchaara, elle a même été interrogée sur sa participation à cette collecte de fonds, comme si cela constituait une circonstance aggravante. Pour ce qui est de la mort de Denko Sissoko, voici ce que Marie-Pierre Barrière militante du Réseau éducation sans frontières dans la Marne écrivait ce matin sur son compte Facebook : « aujourd'hui nous avons déjeuné avec l'oncle de Denko Sissoko venu à Reims avec d'autres représentants de villages maliens pour la levée du corps. Beaucoup d'émotion face à ce vieil homme handicapé et visiblement très ébranlé. Denko savait très bien que son oncle ne pouvait rien pour lui vu ses conditions de vie. Ils s'étaient vus la dernière fois en 2014, Denko était encore un enfant. Il l'accompagnera demain (…) pour remettre son corps à ses parents, à ses deux petits frères et participer aux funérailles ». Marie-Pierre Barrière explique aussi que « sur l'acte de décès de Denko et sur tous les documents administratifs sa date de naissance est bien le 2 mars 2000 ». Cet adolescent qui avait traversé la Libye et l’Italie pour venir en France allait donc avoir 17 ans. Il aura 16 ans pour toujours.

Véronique Valentino pour L'Autre Quotidien le 1er février 2017

Pour aller plus loin :

« Qui a tué Denko Sissoko ? », par Olivier Favier : http://dormirajamais.org/chambre-796/

Pétition de soutien à Ibtissam Bouchaara sur Change.org : https://www.change.org/p/m-soutenez-ibtissam-éducatrice-lanceuse-d-alerte-des-jeunes-migrants-maltraités

Dernière minute :

Nous avions attiré l’attention sur la menace pesant sur cette éducatrice dès vendredi dernier. Nous remercions Olivier Favier, qui, le premier a tiré la sonnette d’alarme sur son blog « Dormira jamais » http://dormirajamais.org et qui, dans un article titré « Qui a tué Denko Sissoko ? » a effectué une enquête remarquable (voir lien ci-dessus). Depuis, de nombreux médias se sont emparés de l’affaire, du Parisien à l’Express, en passant par France 3 régions et Europe 1, ce dont nous nous félicitons. Nous attirons l’attention de nos lecteurs sur le fait que cette information, que nous allons chercher et sur laquelle nous travaillons d’arrache-pied, nécessite du temps et de l’argent. Alors abonnez-vous, l’Autre Quotidien a besoin de vous pour vivre.