Gentil Hamon, méchant Mélenchon, par Christian Perrot

Benoît Hamon est déjà un peu moins sexy depuis sa rencontre avec Bernard Cazeneuve. Il le sera encore moins après avoir reçu l'onction de François Hollande. Et le fait que Manuel Valls s'accroche au parti comme une huître au rocher au lieu d'aller travailler chez Macron (ce qui était couru) ne va pas l'aider à convaincre qu'il s'est débarrassé du vieux PS. Mais soyons lucides : il reste une sérieuse épine dans le pied de Jean-Luc Mélenchon, qui ne s'attendait pas au tour que vient de lui jouer le Parti Socialiste en sortant son joker (et l'encombrant Valls en passant) pour le forcer à l'unité (c'est à dire à disparaître). C'est la vérité. Pour l'instant.

D'où le énième retour des pétitions pétries de bonnes intentions pour forcer les candidats à l'unité, c'est à dire concrètement - il faut l'être, à la fin, cela revient à ça - contraindre la France Insoumise à se retirer de la campagne et s'effacer derrière le candidat du Parti Socialiste. Comme si un candidat socialiste avait une seule chance de convaincre les Français qu'il faut en reprendre pour cinq ans, pour la seule raison que le PS aurait changé de casting, ce qui n'apparaîtra bientôt plus, vous verrez dans les semaines qui viennent, une fois le soufflé des primaires retombé, que comme un simple remaniement du gouvernement Hollande, avec cette fois-ci Benoît Hamon comme premier ministre à la place de Manuel Valls. Car qui gouvernerait avec Benoît Hamon ? C'est une question très simple, qu'il suffit de poser pour y répondre : les mêmes. Quelques vieux encombrants en moins peut-être. Avec Jadot à la place et dans le rôle de Duflot (et les mêmes résultats à en attendre). Un communiste peut-être, au sport ou aux anciens combattants, en tout cas rien d'important. Et des socialistes, beaucoup de socialistes. Et Mélenchon, les insoumis, là-dedans ? A l'économie ? Immédiat tollé du MEDEF ! Aux affaires étrangères ? Immédiate crise de nerf des partisans de l'OTAN et des traités européens ! A l'intérieur ? A la justice ? Les syndicats de policiers s'étranglent. Le FN hurle à la mort. Vous imaginez Benoît Hamon résister à cela ? Ou seulement y penser ? L'envisager ? Voilà des questions qui se posent concrètement. Et ce ne sont pas des questions d'ego. Mais de programme. Et de rapport de force. Pas seulement à l'intérieur de la gauche (les bonnes âmes ne voient que cela, tout alors ne serait qu'entêtement, mégalomanie de Mélenchon, tentation dictatoriale, envie de revanche, de la psychologie de bazar, qui ne devrait pas remplacer l'analyse politique) mais surtout face à la droite, la Bourse, la finance, la commission européenne, le MEDEF, l'extrême-droite. Les adversaires résolus et très puissants d'un changement de société.

Pour résister aux pressions, à la guerre de tous les instants contre le gouvernement que feraient ceux dont il menacerait les privilèges, en qui peut-on avoir le plus confiance ? Qui incarne la résistance ? Qui pourra le mieux appeler le peuple à la rescousse ? Dans la rue, les quartiers, les entreprises, les écoles, sur internet, partout ? Benoît Hamon ? ou Jean-Luc Mélenchon ? Il nous semble que poser la question, c'est y répondre. Et que les signataires des pétitions qui veulent imposer l'union à tout prix derrière le projet et la personne de Benoît Hamon (ils diront que non, mais c'est bien de cela qu'il s'agit à la fin, ne soyons pas hypocrites) feraient bien de penser à deux fois à ce qu'ils sont en train de faire : remettre le Parti Socialiste au centre du jeu politique à gauche, et affaiblir, voire anéantir, puisqu'elles se renieraient elles-mêmes, les forces du changement et de la lutte contre l'austérité et les inégalités en France.

Les nombreux gens de gauche qui ne pouvaient se résoudre à devoir voter Mélenchon, dont il faut avouer que la personnalité révulse, d'une manière qui dépasse parfois l'entendement, beaucoup de ceux qui seraient partisans de ses idées si leur porteur ne leur paraissait pas si encombrant, énorme, proliférant, exagéré, se sont jetés sur la bouée Hamon comme des naufragés. Avec un intense soulagement. Ah, c'est qui les modernes maintenant ? C'est la chanson qu'on entend (avec, pour notre part, stupéfaction) depuis dimanche soir. Méchant Mélenchon qui fait horreur aux gens bien élevés avec sa grande gueule, son balai et sa révolution citoyenne (la chanson de toujours), gentil Parti Socialiste qui fait rêver, battre le coeur et surgir le désir (et vraiment là où on ne l'attendait plus). Nous ne donnons pourtant pas longtemps pour que la situation se retourne, en même temps que l'attention se tournera, cette fois-ci pour de bon, sur Benoît Hamon. Les gens qui ont voté aux primaires socialistes ont voté deux fois contre : contre Valls et contre Mélenchon. Ou du moins, pour quelqu'un qui ne soit pas Mélenchon.

Ont-ils pour autant voté pour Benoît Hamon ? Ont-ils compris qu'il était encore au Parti Socialiste ? Qu'une grande majorité des candidats de ce parti aux prochaines législatives a soutenu Hollande pendant tout le quinquennat ? Se fiche comme d'une guigne du très hypothétique colifichet du revenu universel ? Que ce n'est de toute façon pas Benoît Hamon qui commande à Solférino ? Que sa légendaire souplesse, qui lui a permis de traverser sans dommage et toujours en première classe trente années de PS, fait de lui un pion parfait pour contenir ceux qui pourraient contester aux socialistes leur suprématie sur la gauche ? Toutes ces interrogations commencent déjà à se faire jour. 

Christian Perrot, le 1 février 2017