Un député du parti présidentiel s'emmêle les pédales sur la prime de Noël

Interviewé lundi par Jean-Jacques Bourdin dans "Bourdin direct", le député LREM André Berville semble mal connaître la réalité des Français les plus démunis. Interrogé sur la reconduction cette année de la prime de Noël versée aux bénéficiaires des minima sociaux, il a répondu totalement à côté, montrant son ignorance du sujet.

Hier matin, sur BFM TV et RMC, tout allait bien pour Hervé Berville, député de la deuxième circonscription des Côtes d'Armor depuis les législatives de 2017. Interrogé sur le bug de la SNCF puis l'encadrement et la justification des dépenses des députés, il avait l'occasion de mettre en avant les mesures concernant la transparence des dépenses des députés et montrer que cette loi permet de contrôler l'argent public, celui des contribuables. Certes, il y a à redire sur cette loi, comme le fait d'ailleurs l'association Anticor contre la corruption, qui déplore que le contrôle des dépenses des élus de l'assemblée nationale ne se fasse que par tirage au sort pour un laps de temps prédéfini, ce qui nuit à l'efficacité du contrôle prévu. En effet, un député qui a été contrôlé en 2017, sait qu'il ne risque rien pendant cinq ans.

On ne va pas soupçonner Hervé Berville de tant de vilenie, lui qui a sûrement bon cœur. La preuve, il explique que, sur le marché de Noël de Crehen, une commune de 1987 habitants des Côtes d'Armor, "on a payé un petit coup de vin chaud à nos concitoyens, donc là on ne va pas demander un justificatif", explique ce jeune député de 27 ans à Jean-Jacques Bourdin. C'est après que ça se gâte. Interrogé pour savoir si la prime de Noël va être reconduite, il s'interroge franchement sceptique : "la prime de Noël ?" "Moi, je n'ai pas de prime de Noël en tant que député", répond-t-il, semblant ne pas comprendre la question. A ce moment-là, Bourdin l'interroge en fait sur la reconduction par le gouvernement de la prime versée tous les ans par l'Etat aux bénéficiaires de minima sociaux avant les fêtes de fin d'année.

Une question qui déstabilise totalement le jeune député En marche et spécialiste de l'économie du développement. Qui s'enfonce totalement : "peut-être que vous me donnez une information, mais je n'ai pas du tout de prime de Noël", rétorque le jeune député qui espère peut-être à ce moment-là que cette prime de Noël bénéficie aux députés sans qu'il le sache. "Mais pas vous, mais les Français", répond Bourdin, qui se décide finalement à mettre fin au supplice du jeune fan de Macron, en expliquant que "la prime de Noël est une aide exceptionnelle destinée à aider les familles les plus fragiles à la période de fêtes". "Vous connaissiez son existence ?" "Oui, oui",répond l'élève Berville, à qui son staff a visiblement oublié de préparer une fiche sur le sujet. Une affirmation qu'il dément aussitôt après : "mais qui c'est qui fournit la prime de Noël ?" interroge-t-il candidement. "Je n'ai pas d'information contradictoire, donc je pense qu'elle va être reconduite", finit par lâcher notre député breton, un peu agacé.

Au point que ce matin, Christophe Barbier -éditorialiste de la chaîne et patron de l'Express- est obligé de le tacler sur son ignorance et convient au terme d'une circonvolution dont il a le secret que "plus profondément, ça donne l'impression qu'au sein d'En marche, on a un problème d'approche de ces réalités sociales les plus difficiles, que ce n'est pas la préoccupation première". Avant que l'homme à l'écharpe rouge -couleur qui ne renseigne absolument pas sur ses orientations politiques- ne rebaptise, avec une rare élégance, les "premiers de cordée" chers à Macron en "locomotives du train", et "ceux qui ne sont rien" en "wagons de queue". L'éditorialiste estime que le tout nouveau député aurait eu des excuses pour son ignorance en juin, mais 'beaucoup moins" en décembre, alors qu'"il y a trente-six moyens de s'informer". 

C'est assez injuste de la part de Barbier qui feint ainsi de s'indigner, gentiment, sur le ton du vieil oncle patelin, et qui montre que lui en revanche connaît le sujet, ce qui est bien le moins. Pourtant, il est assez naturel que Hervé Berville ignore tout de la prime de Noël et des gens qui la perçoivent. L'histoire du député des Côtes d'Armor est à elle seule une success story, comme on les aime dans la France macronienne. Orphelin tutsi, à l'issue du terrible génocide rwandais, il a été adopté par un couple de bretons de Pluduno, nous apprend sa fiche wikipedia. Passé par le lycée privé les Cordeliers de Dinan, puis par une classe préparatoire littéraire, il a fait ses classes à Sciences po Lille, avant d'obtenir un master en économie politique du développement à la prestigieuse London school of economics, puis devient économiste à l'Agence française du développement (AFD) à seulement 23 ans. Engagé dès 2015 au sein des Jeunes pour Macron, il est le symbole éclatant de cette nouvelle classe politique, qui met en avant sa réussite et sa jeunesse comme viatique permettant son entrée fracassante en politique.

Tellement fracassante à vrai dire, que le jeune député prodige en oublie les "derniers de cordée" et la réalité qu'ils vivent au quotidien. Mais il est plutôt hypocrite de lui reprocher son ignorance des réalités de la "France d'en bas", celle bloquée dans l'ascenseur social, comme disent avec condescendance certains politiques et éditorialistes, qui n'ont jamais, eux non plus, touché la prime de Noël. Et c'est sans doute cela, le vrai scandale. Que les classes supérieures trustent tous les postes, y compris ceux qui, en démocratie, devraient refléter l'ensemble de la société française. Il coche pourtant la case diversité, Hervé Berville. Mais cette diversité à la Macron n'est pas celle qui verrait devenir députés les enfants issus de l'immigration des quartiers populaires. Non, cette diversité gadget est celle de la France d'en haut, où on peut bien être un orphelin tutsi, réchappé de terribles massacres, pourvu qu'on ait réussi socialement et qu'on soit, comme Hervé Berville, membre du conseil d'administration de l'AFD. Mais comment lui reprocher d'être ce qu'il est ? Cela n'a pas plus de sens que de lui reprocher son ignorance des fins de mois difficiles.

Le vrai scandale, c'est que, en juin dernier, selon l'Observatoire des inégalités, seuls 2,8% de députés soient d'anciens ouvriers et employés et en revanche à 82% des cadres et professions libérales. Et bien entendu, ce n'est pas le groupe des "premiers de cordée" à l'assemblée, ceux du groupe En marche qui améliore la composition hégémonique de cette assemblée nationale dominée par une écrasante majorité de députés LREM. Au sein du groupe LREM à l'assemblée, on trouve 0% d'ouvriers et 3,5 % d'employés. Si beaucoup sont effectivement des novices en politique, avec plus de jeunes et de femmes, ils/elles sont majoritairement cadres, chefs d'entreprise et professions libérales. Hervé Berville est donc tout à fait représentatif de cette nouvelle classe économique qui trouve plus efficace de produire elle-même des lois, taillées sur mesure pour les membres de sa classe sociale. Comment pourraient-ils savoir ce qu'est la prime de Noël ? Il faut vraiment chercher la petite bête pour leur poser ce genre de question.

En effet, comment un jeune homme bien élevé, bardé de titres académiques, pourrait-il connaître la prime de Noël ? Elle est de 152,45 € pour une personne seule et de 320,14 € pour un couple avec deux enfants. Reconduite cette année -mais pour combien de temps ?- elle sera versée à partir du le 18 décembre à une partie des bénéficiaires des minima sociaux (RSA, ASS ou l'allocation équivalent retraite). Et personne ne s'est offusquée de constater que le montant de cette prime n'a pas évolué depuis 2009, la seule augmentation significative étant intervenue sous Sarkozy en 2008 qui l'avait augmenté de 68 euros. De façon tout à fait exceptionnelle, les bénéficiaires de la prime de Noël avaient touché cette année-là 220 euros pour une personne seule, mais dès 2009 elle avait retrouvé son niveau antérieur à 152,45 €

Personne n'a pensé à calculer la perte de pouvoir d'achat de cette prime dont le montant n'a pas bougé malgré l'inflation, faible, il est vrai, mais tout de même. En 2017, 2,5 millions de ménages devraient toucher cette aide exceptionnelle, soit à peu près le même nombre de personnes qu'en 2016. Mais c'est un nombre plutôt faible quand on sait que neuf millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Par ailleurs, la prime de Noël doit être confirmée chaque année par le ministère des affaires sociales, d'où l'incertitude qui entoure son versement jusqu'au dernier moment. Son coût est de 513 millions d'euros, soit un montant qui n'a quasiment pas bougé depuis de nombreuses années. Financée par l'Etat et une contribution sur les revenus du patrimoine et les placements, elle est socialement utile. Non seulement parce que les personnes qui la touchent et leurs enfants peuvent au moins avoir une pensée pour le Père Noël, dans une période de fêtes où les inégalités sont particulièrement criantes, mais aussi  parce qu'elle alimente automatiquement la consommation et donc la croissance. 

Il faut aller du côté du mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) pour trouver un responsable politique portant une revendication d'augmentation de cette prime. Son porte-parole, Pierre-Edouard Magnan, s'indignait ce matin sur RTL du faible montant de la prime de Noël qui n’a pas augmenté depuis deux ans : "C’est l’une des uniques allocations qui n’a jamais augmenté. Elle est de toute façon très largement insuffisante". Et encore, il était en-dessous de la vérité : la prime de Noël n'a pas augmenté depuis au moins 2009... De quoi penser que, décidément, le Père Noël est une ordure.

Véronique Valentino