Procès du 10 novembre : les juges entérinent la détention provisoire des manifestants

Vendredi dernier, deux manifestants arrêtés lors de la manifestation du 10 octobre contre la loi travail comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Paris. Si l'un a écopé de travaux d'intérêt général, B. a été condamné à dix mois de prison dont un mois ferme, couvrant le mois en préventive qu'il a déjà effectué. Cette condamnation entérine l'enfermement arbitraire de manifestants, alors que la loi prévoit que la liberté est la règle et la détention provisoire l'exception.

C'est un curieux procès qui s'est déroulé vendredi dernier, le 10 novembre 2017, devant la 23ème chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ce jour-là, le tribunal jugeait deux des cinq manifestants arrêtés lors de la manifestation du 10 octobre dernier (voir notre article du 16 octobre et le témoignage de Georges Louis), accusés d'avoir participé à des dégradations contre des établissements bancaires. Les deux prévenus ont un casier judiciaire vierge et sont tous les deux étudiants. Alexis, 20 ans, est accusé d'avoir jeté des projectiles contre l'agence de la Bred, située boulevard Diderot. Cet étudiant en langue et culture anglaise, a reconnu les faits à l'issue d'une garde à vue de 48h et après une nuit au dépôt. Il est condamné à 35 heures de travaux d'intérêt général, des TIG à effectuer dans un délai de deux mois, sous peine d'échouer à la case prison. Quant aux dommages civils, le jugement est renvoyé au 22 décembre 2017. 

Cette audience, lors de laquelle on juge deux jeunes révoltés, provoque le malaise, comme le raconte le site Paris-luttes info. Etudiant infirmier rattaché à l'hôpital Tenon, à Paris, Brendon est accusé non seulement d'avoir joué un rôle actif dans les dégradations commises contre la Bred, mais aussi d'avoir jeté un pavé de 20 cm de diamètre, blessant à la main l'un des CRS. Il a déjà effectué un mois de détention provisoire, alors qu'il présentait toutes les garanties de représentation, et que l'accusation repose sur le seul témoignage du CRS. Aucun des collègues de ce dernier, pas plus que les images des vidéos de surveillance, n'a pu confirmer que B. était l'auteur du jet de pavé qui a valu au CRS cinq jours d'ITT et un mois d'arrêt de travail.

Ce jour-là, Brendon n'avait d'ailleurs pas prévu de manifester. Le jeune homme qui a fêté ses 23 ans pendant sa détention, revenait de son travail à pied quand il croise la manifestation. Il porte un tee-shirt et un bombers bordeaux sur un pantalon de ville beige clair. Une tenue voyante qu'aurait évité tout manifestant prévoyant de participer à des violences. Sur lui, les policiers ont trouvé un canif -qui devient, dans le langage policier, une arme de catégorie D-, ainsi qu'un joint de cannabis. Preuves supplémentaires que B. n'avait pas prévu de participer à l'attaque de la Bred. Ce fils de deux infirmiers qui lui "ont transmis des valeurs fortes", comme le rappelle son avocate, est décrit comme un jeune homme passionné par la nature. Ce dont témoigne l'inventaire des menus objets trouvés dans ses poches et son sac à dos : un livre, un carnet, une pomme de pin, un marron, des brindilles d'arbre, un noyau de pêche, un bouchon de liège... Ce bric-à-brac n'est pas vraiment raccord avec l'image d'enragé que les policiers lui ont forgée.

Brendon reconnaît aussi s'être adressé verbalement au CRS qui l'accuse de violences, car il avait remarqué que ce dernier effectuait des interpellations très musclées. Est-ce cela que ce dernier veut lui faire payer ? Le CRS a évidemment décrit sans peine la tenue vestimentaire très reconnaissable de Brendon, y compris la marque de ses chaussures. Brendon doit non seulement répondre de violences qu'il n'a pas commises, mais aussi du délit de « participation à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens ». Ce délit, fréquemment invoqué contre les manifestants, est une réminiscence de la loi anti-casseurs. Comme nous l'écrivions dans un article du 16 octobre, en citant le site lundi:matin.am, avec ce délit créé à l'initiative de Christian Estrosi, connu pour ses positions sécuritaires, on n'est pas loin du délit d'intention, puisqu'il suffit de s'être trouvé à un endroit où des actes de casse ont été commis pour pouvoir être condamné.

Comme Alexis, Brendon reconnaît avoir participé à la casse de la Bred. Mieux, il explique son action contre la banque par ses convictions politiques, contre le rôle des banques et la financiarisation de l'économie. "Je verse plus en agios à ma banque que ce que je peux donner au SDF à côté de chez moi", explique-t-il. Quant aux policiers, il explique que les envoyer établir un cordon de sécurité autour des banques les met en péril. Pendant une demi-heure, une discussion très politique s'ensuit entre le jeune étudiant infirmier et les juges. Le président du tribunal fait remarquer que "dans une démocratie, il n'est pas tolérable de s'en prendre à une banque". Il fait remarquer que des salariés de la banque, qui n'ont pour objectif que de gagner leur vie, auraient pu être blessés. Aucune personne n'était présente à ce moment-là derrière la vitrine, note Brendon, qui espère que l'action menée les "fera réfléchir à ce qu'ils font tous les jours".

L'avocate générale du parquet évoque sans nuance des manifestants venus pour "casser du flic". Elle rappelle que le métier de policier est un travail difficile qui nécessite de travailler la nuit et le week-end. Sans noter que c'est également le cas des infirmiers. Enfin, s'agissant du délit de participation à un groupement violent, elle note qu'il est constitué, y compris lorsqu'il est temporaire. A l'issue des délibérations, le tribunal prononce une peine de dix mois de prison dont un ferme, déjà effectué en préventive, et l'interdiction de circuler dans les 10ème, 11ème et 12ème arrondissements. Une sacrée épine dans le pied pour le jeune livreur. Et une condamnation qui correspond point par point aux demandes du parquet.

Au final, l'honnêteté de Brendon n'aura pas payé. Le parquet a pu justifier a posteriori la privation de liberté et l'interdiction, de fait, de manifester. Brendon sera aussi soumis à un contrôle judiciaire de deux ans, à l'obligation de verser 1000 euros au CRS blessé. L'agence de la Bred, dont les préjudices sont de tout façon couverts par les assurances, lui demande 19 000 euros de dommages et intérêts. La décision sera rendue au civil le 22 décembre 2017, comme pour Alexis.

Véronique Valentino