La Troisième rive, par Kenny Ozier-Lafontaine

J'invente le Mexique, le Soleil, et les Sorciers,
J'invente... le riz au lait amoureux de sucre et de vanille...
J'invente la Sieste et aussitôt la montagne s'effrite, je tente d'assembler des miettes, mais rien ne tient jamais.

Tout s'en va et s'épuise jusqu'à l'écume.
Ne demeure qu'un îlot bref, déjà submergé par la pluie.

J'aimerais des bouées de lumière, des diamants noirs, des larmes rouges, des lustres bourgeois, des cieux ainsi étoilés... enfin, de quoi m'éclairer dans la nuit.

J'invente, mais toujours mon invention S'écroule, s'enfuie, et je reste seul.
Il me faudrait de quoi nouer, de quoi ficeler, de quoi retenir la houle qui toujours va. Mais la pluie succède à la pluie, et la lumière annonce l'orage.

Alors j'invente la hache, le sang, la viande, ... j'invente le diable, la croix... j'installe côte à côte le laid et le méchant, l'ignoble et les flopées de lépreux issues du Songe.

J'assieds à la même table la tartine beurrée de fiel et le vieux camembert mastiqué d'asticots sauvages, suant sa pourriture.

J'invente de quoi punir les dieux qui abandonnent, de quoi inverser les crucifix qui ne pardonnent qu'aux fleurs et aux enfants.

J'invente la bête affreuse qui invite au vice et à la mort, j'invente de quoi souiller les rêves, j'invente le regret.

J'invente une couronne de fleurs qui siérait aussi bien aux morts qu'aux jolies dames, une, fleurie de nuit, d'éternité.

J'invente des calèches de reproches adressés seulement aux miroirs et aux idiots, des giclées de pierres pour écorcher les arbres souriants, j'invente de quoi punir et égorger, de quoi éclabousser les yeux aveuglés par la lumière.

J'invente une troisième rive, une issue au torrent.

RIEN

je n'ai rien, rien qu'une douleur empruntée
aux poches du néant.

Kenny OZIER-LAFONTAINE

© Claire Morel

© Claire Morel

© Claire Morel

© Claire Morel


  • Kenny OZIER-LAFONTAINE (parfois Paul Poule) est poète, plasticien, vidéaste, né pour la première fois à Fort-de-France, Martinique.
  • Claire MOREL, plasticienne, travaille sur le lien entre soi et les autres, soi et les autres soi, soi et son soi-même. Retrouvez son blog ici.
  • Vincent LEFÈBVRE n'existe pas. Son site, oui.