Le mouvement "masculiniste" ne veut pas libérer les hommes, mais opprimer les femmes

Retour sur les offensives masculinistes

En février 2013, les militants masculinistes avaient débuté une offensive sans précédent en France. Ils ont d’abord privilégié des actions médiatiques où ils apparaissaient perchés en haut de grues ou de cheminée d’usine (Grenoble et Nantes) et autres édifices (le Sacré Cœur à Paris, le Capitole à Toulouse,...). Bien que très peu nombreux, ils ont réussi à attirer une attention très favorable des médias et de l’opinion publique pour leur « cause ». 
Par la suite, le lobby des pères séparés a concentré son énergie à faire pencher la loi vers leurs intérêts à trois reprises.

  • En novembre 2013, dans l’amendement N°108 à la loi Égalité Femmes-Hommes (voté par le Sénat, rejeté par l’Assemblée Nationale).

  • Début 2014, dans le projet de « loi sur la famille » (abandonné en février 2014) .

  • En avril 2014, dans la proposition de loi n°1856, « relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant » (APIE) [1].

Ces différents amendements, projets et propositions de loi avancent les principales revendications masculinistes : imposition de la résidence alternée systématique en cas de séparation d’un couple, négation des violences masculines, imposition de la médiation familiale et reconnaissance du Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP). 

Nous n’essayerons pas ici d’analyser comment une si petite poignée de militants [2] a pu avoir une telle influence sur le pouvoir législatif. 

Nous proposons plutôt de décrypter ces différentes interventions dans la loi et d’expliciter leurs objectifs, à savoir un contrôle accru des pères sur la vie de leurs ex-conjointes et enfants.

1- Des projets qui imposent la résidence alternée :

La revendication principale des masculinistes, présente dans l’amendement 108 et la proposition de loi « APIE », est l’imposition de la résidence alternée par défaut renommée « double résidence » [3].

Les masculinistes veulent aller plus loin que la loi adoptée en 2002 qui facilite le recours à la résidence alternée, ils souhaitent qu’elle devienne systématique en cas de séparation.

L’amendement 108 stipulait qu’en cas de désaccord entre les parents, la préférence serait donnée à la « résidence en alternance paritaire ».

Ce que la proposition de loi « APIE » propose, c’est une suppression des termes de résidence et de droits de visites et hébergement utilisés jusqu’alors :

chap I, art. 7 :« la résidence de l’enfant est fixée au domicile de chacun des parents selon les modalités déterminées d’un commun accord entre les parents ou à défaut par le juge ».

D’abord, cela revient évidemment à favoriser la résidence alternée par défaut et, nous le verrons, cela va accroître la précarité pour les mères séparées.
Rappelons que dans 80% des séparations les parents s’accordent sur les modalités d’accueil des enfants, les juges aux affaires familiales (JAF) acceptent dans quasiment tous les cas les choix exprimés par les parents [4]. Dans 71% des cas, ils décident ensemble de confier la résidence principale à la mère ; la résidence alternée est choisie dans 17 % des divorces par consentement mutuel.

a - Enjeux et les conséquences de la résidence alternée (RA) 

Les inégalités économiques

La question financière est au centre des revendications de résidence alternée privilégiée.

La question financière est au centre des revendications de résidence alternée privilégiée. Étant donné que beaucoup de pères refusent de payer les pensions alimentaires ordonnées par les JAF [5], la résidence alternée est la solution idéale. En effet, il n’est plus question de pension alimentaire puisque l’on présuppose que les dépenses liées à l’éducation des enfants vont se répartir de manière équitable entre les deux parents [6] ! 

C’est oublier que les femmes ont statistiquement des revenus inférieurs à ceux des hommes [7] ? 

Imposer la RA revient à précariser davantage les femmes et à renforcer les inégalités socio-économiques entre les femmes et les hommes.

Surtout, la double résidence administrative implique nécessairement la redistribution des allocations familiales et une réévaluation du quotient familial : les mères, déjà bien plus précarisées par les désunions que les pères vont simplement perdre la moitié de leurs droits, et ce, peu importe les temps d’accueil effectués. Comble de l’ironie, une mère abandonnée par le père, qui de ce fait a la charge des enfants à 100%, pourrait être privée de 50% des aides au profit de celui qui l’a lâchée.

L’égalité parentale

Les revendications « des pères » pour l’égalité interviennent au moment de la séparation, dans une situation de conflit. Quid de l’égalité avant cette séparation ?

L’amendement 108 prétendait « favoriser un partage plus équilibré des responsabilités parentales  ». De même la proposition de loi « APIE » vise à renforcer l’exercice conjoint de l’autorité parentale en cas de séparation des parents.

La coparentalité suppose des droits mais aussi des devoirs. 
Or, l’égalité dans les tâches parentales n’est pas une réalité sociale [8].

La coparentalité suppose des droits mais aussi des devoirs.

Or, l’égalité dans les tâches parentales n’est pas une réalité sociale (...)

La question du partage des responsabilités parentales se pose dès la naissance de l’enfant. Il est bien avéré que ce sont les mères qui, dans la majorité des couples, prennent en charge l’essentiel de cette responsabilité. En cas de garde alternée, le partage de cette responsabilité ne se met pas en place de façon systématique. 

Ce sont encore les mères qui consacrent plus de temps à la gestion du quotidien des enfants (suivi scolaire, suivi médical), quand les pères privilégient les activités plus ludiques, plus gratifiantes et ont plus facilement recours à un tiers, le plus souvent féminin (comme leur nouvelle conjointe), pour assurer une partie de leur charge parentale. L’existence des « nouveaux pères », soucieux d’égalité dans le couple, reste encore un fait minoritaire. Or le partage réel des responsabilités parentales dans l’élevage et l’éducation des enfants pendant la vie commune comme après la séparation n’est pas une condition mise en avant par les associations de pères et par les masculinistes, qui préfèrent parler du « droit des pères », plutôt que de la nécessité de changer la réalité des rapports sociaux de sexe.

Bien souvent ce sont les pères les moins investis qui se révèlent soudain, au moment de la séparation, préoccupés par ce partage équitable. L’égalité apparaît alors plus comme un prétexte pour imposer un droit de propriété sur l’enfant et une remise en cause des capacités de la mère. La RA ne suffit donc pas pour garantir un partage égal du travail parental.

De plus, le fonctionnement actuel de la justice aux affaires familiales reproduit les inégalités dans le travail éducatif : les hommes décident des choix éducatifs pour les enfants et les femmes exécutent en assumant la prise en charge au quotidien. Les revendications sur la RA visent à amplifier cette exploitation du travail éducatif des femmes en tentant d’empêcher que le divorce ne se traduise par une plus grande autonomie des femmes dans l’éducation des enfants [9].

Déplacement géographique interdit

Enfin, la RA implique une impossibilité de mobilité géographique et professionnelle. Les femmes ne pourront plus se déplacer géographiquement que ce soit par choix ou par contrainte (familiales, professionnelles, etc). Elles seront obligées de rester près du père de leur(s) enfant(s). Déménager pour un nouvel emploi impliquerait donc de renoncer à prendre en partie en charge ses enfants. Surtout, fuir un ex-conjoint violent devient impossible au risque d’être accusé d’enlèvement d’enfant.

b - Un nouveau projet de loi répressif : renforcement des sanctions et contraintes liées à l’exercice de l’autorité parentale conjointe

La proposition de loi « APIE » crée des amendes pour sanctionner la non-présentation d’enfant en plus du délit déjà institué et, plus largement, pour sanctionner le non respect par un parent des obligations fixées par le JAF. 

L’obligation de signature des deux parents pour un changement d’école est aussi désormais imposée.

Cette disposition conduirait à des situations impossibles dans le cas de pères démissionnaires et encore une fois, dans le cas d’un conjoint violent, car cela impliquerait d’être en constante relation, et donc d’exposer toujours plus des femmes à leurs agresseurs.

Il s’agit d’éviter à tout prix que le divorce puisse conduire à plus d’autonomie pour les femmes (...)

Pour conclure, le but des masculinistes à travers cette proposition de loi est de maintenir l’exploitation économique du travail domestique et éducatif par delà la séparation. Il s’agit d’éviter à tout prix que le divorce puisse conduire à plus d’autonomie pour les femmes, sur le plan économique comme sur le plan des choix éducatifs et des choix de vie.

2- Une mise sous silence des violences masculines au sein du couple et sur les enfants

a - Violences sur les femmes

Par violences au sein du couple, on entend

un continuum d’actions diverses mais toutes estampillées du même sceau : celui de la domination, et cela au moyen de sévices psychologiques, économiques, physiques et sexuels exercés par un partenaire sur l’autre. Ceci implique que cet autrui ne soit plus considéré comme une personne mais comme une chose dont on peut disposer, que l’on tient sous contrôle, que l’on utilise quand on en a besoin et sur lequel on décharge sa rage. [10]

Ces violences sont dans des proportions écrasantes celles des hommes sur les femmes.

Les violences masculines ne sont pas la conséquence de problèmes psychologiques ou sociaux de tel homme violent, elles sont un outil rationnel, destiné à maintenir le patriarcat.

Les violences masculines sont massives [11] ; elles sont la cause de nombres de séparations. Or, la séparation ne garantit pas l’arrêt des violences, ni la sécurité des femmes et des enfants.

Comme l’amendement 108, le nouveau projet de loi « APIE » occulte les violences masculines au sein du couple. Elles sont niées, réduites à des cas « exceptionnels » :

« À titre exceptionnel, le juge peut fixer la résidence de l’enfant au domicile de l’un des parents. Dans ce cas, il statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent. Si les circonstances l’exigent, ce droit de visite peut être exercé dans un espace de rencontre qu’il désigne. » [12].

Comme on le voit, elle ne sont même pas mentionnées dans le texte de départ.

Toutefois, certaines dispositions concernant les violences ont été adoptées, notamment le fait qu’une personne ne peut porter plainte pour non-présentation d’enfant lorsqu’il y a violences ou défaillances avérées. C’est un amendement qui a été adopté mais il pose encore des problèmes en ne prenant pas en compte les difficultés réelles de dénoncer ce type de violences masculines.

Cette quasi-négation des violences associée à l’imposition de la RA revient à mettre en danger les femmes dans la mesure où elle facilite le maintien de l’emprise de l’homme sur son ex-conjointe. 

En effet, la RA implique des contacts réguliers entre les parents et une proximité géographique. La RA permet aussi à l’auteur de maintenir le contrôle en imposant les décisions liées à l’éducation et au soin des enfants. Renforcer l’exercice égalitaire de l’autorité parentale en cas de violences c’est permettre qu’un père auteur de violences s’oppose, entre autres, à ce que l’enfant s’inscrive au soutien scolaire, consulte un-e psychologue, etc.

Cette proposition de loi en augmentant la répression (voir 1-b) met une pression supplémentaire sur les femmes victimes de violences qui doivent se mettre en sécurité et qui donc ne peuvent pas « présenter » leurs enfants au père [13].

Les juridictions civiles qui statuent sur la résidence des enfants ne sont pas en lien avec les juridictions pénales qui traitent les plaintes pour violences. La justice civile est souvent plus rapide que la justice pénale. Une femme qui engage une procédure de divorce parallèlement à un dépôt de plainte pour violences peut voir le père des enfants bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement ordonné par le JAF alors que le parquet ne s’est pas encore saisi de la plainte. Ce projet de loi ferait donc payer une amende aux femmes qui ne présenteraient pas leurs enfants à leur conjoint violent.

b - Violences sur les enfants

Les associations de lutte contre les violences, un grand nombre de pédopsychiatres et de professionnel-le-s, rappellent sans cesse que dans les situations de violences la sécurité des enfants est liée à celle de leur mère [14]. 

D’après les chiffres de l’Observatoire National des violences faites aux femmes, entre 80% et 90% des enfants vivent au domicile où s’exercent les violences et y sont exposés. 18% d’entre eux-elles sont les victimes directes de leur père. Les enfants témoins sont aussi des enfants victimes, en témoignent les troubles du comportement constatés chez eux par les associations de lutte contre ces violences. Par ailleurs, après une séparation, les enfants continuent à être exposés aux violences de leur père. Les conséquences des violences sur les enfants ne sont absolument pas prises en compte par le texte de loi.

Ensuite, ils sont souvent instrumentalisés par les pères auteurs de violences ayant des droits de visite dans le but de maintenir leur emprise sur leurs ex-conjointes.

A l’inverse, d’autres pères n’exercent ni leurs droits ni leurs devoirs auprès de leurs enfants. Ce sont les pères qui partent sans laisser de nouvelles, ceux qui refusent intentionnellement de payer la pension alimentaire qui doit être versée à leur-ex conjointe au profit des enfants. Aujourd’hui, 40% des pensions alimentaires sont peu ou pas payées, bien que le délit d’abandon de famille sanctionne le non-paiement des pensions. Cependant, peu de plaintes aboutissent dans la mesure où il faut prouver l’intentionnalité de l’acte. Face à cela, les femmes peuvent solliciter les mesures de recouvrement prévue par la loi, mais elles sont peu efficaces notamment quand les pères organisent leur insolvabilité [15]. Alors que les femmes peuvent être sanctionnées lourdement pour « non présentation d’enfant », les pères, eux, agissent en toute impunité.

3- Des projets de loi qui déjudiciarisent les séparations en imposant la médiation familiale

La médiation familiale était très présente dans le projet de loi famille de février 2014. Un des quatre groupes de réflexion constitués pour élaborer ce projet s’intitulait « médiation familiale et contrat de coparentalité ». Son objectif était de "favoriser le développement de la médiation familiale comme mode alternatif de règlement de conflit″. Cette idée est reprise dans la dernière proposition de loi « APIE » :

« À l’effet de faciliter la recherche par les parents d’un exercice consensuel de l’autorité parentale, le juge peut :
(« 1° Leur proposer une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ;
« 2° Leur enjoindre de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de cette mesure ;)
« 3° Leur enjoindre de prendre part à des séances de médiation familiale.
.  [16] »

Si cette proposition de loi était acceptée, les JAF auraient alors le pouvoir d’imposer aux personnes de s’engager dans une démarche de médiation familiale. Elle implique des entretiens réguliers en présence des deux partenaires concernés par une rupture lors desquels le-la médiateur-rice « favorise leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial ». [17]

Or, la médiation familiale ne peut en aucun cas être imposée dans les situations de violences. Les violences masculines n’ont absolument rien à voir avec des conflits de couple. En cas de violences, les auteurs mettent en place un système de contrôle, d’emprise et de domination sur les femmes. Les violences elles-mêmes empêchent l’inscription dans une médiation familiale, médiation qui implique que l’on puisse se parler d’égal à égale.

La médiation familiale ne peut en aucun cas être imposée dans les situations de violences.

L’usage de la médiation familiale lors des divorces et séparations est depuis longtemps critiqué par les chercheuses et militantes féministes [18]. D’une part, les théoriciens de la médiation familiale sous-estiment systématiquement les violences masculines faites aux femmes et leur importance dans les situations de rupture conjugale. D’autre part, le fait de contraindre une femme à revoir et à parler avec son agresseur constitue une violence en soi.

4- Une tentative de faire reconnaître le « Syndrome » d’Aliénation Parentale (SAP) en France

Dans l’amendement 108 apparaissait un nouveau délit, reprenant dans sa formulation un concept clé des masculinistes, le SAP, c’est à dire :

« le fait, par tout ascendant, d’entraver l’exercice de l’autorité parentale par des agissements répétés ou des manipulations diverses ayant pour objet la dégradation voir la rupture du lien familial est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende. » [19].

Qu’est ce que le SAP ?

Le SAP est un concept inventé par un pédopsychiatre pro-pédophile [20], Richard Gardner. Il considère que lorsque l’enfant rejette son père (insultes, refus de le voir, de lui parler...), c’est parce que sa mère le « manipule », contre son ex-conjoint afin d’obtenir la résidence principale de l’enfant lors d’une séparation alors qu’en réalité, elles ne fait que le protéger de la violence du père. 
Ses théoriciens font appel à des schémas patriarcaux très violents. Les scénarii types de Paul Bensussan et d’Hubert Van Giseghem [21] représentent une femme « méprisée et abandonnée  » par son mari qui cherche à se venger à tout prix, une mère « hystérique, paranoïaque et obsessionnelle  » qui voit des agressions partout, ou encore une « amazone » qui se complaît dans la « haine des hommes  ». C’est donc un concept sexiste de part en part, créé par et pour la défense des droits des hommes, et notamment des agresseurs sexuels.

(Le SAP/« Syndrome » d’Aliénation Parentale) est donc un concept créé par et pour la défense des droits des hommes, et notamment des agresseurs sexuels.

Par ailleurs, il s’agit d’un concept tellement flou que même les scientifiques n’en veulent pas : le SAP n’a pas été inscrit dans le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux(DSM), qui n’a pourtant pas hésité à psychiatriser la transidentité par exemple.

À quoi sert le SAP ?

Avec l’appui de psychologues et de psychiatres, les masculinistes souhaitent que le SAP soit reconnu par le corps médical pour l’utiliser lors de procédures judiciaires, notamment pour défendre des pères accusés d’avoir agressé sexuellement leur(s) enfant(s). 
C’est donc une arme fondamentale des masculinistes dans leur bataille pour « le droit des pères », qui servirait à nier l’accusation de violences afin de récupérer la garde de l’enfant.

Un déni des violences faites aux enfants.
Enfin, rappelons que :

  • plus de 2 millions de personnes auraient été victimes d’inceste en France, soit 3% de la population [22],

  • 90% des incestes ne seraient pas signalés à la justice [23],

  • le Collectif Féministe Contre Le Viol estime qu’un enfant sur 24 a subi, avant 18 ans, des agressions sexuelles répétées commises par un adulte de son entourage [24].

Le SAP permet donc de pathologiser les personnes qui subissent ou dénoncent des violences et d’invisibiliser les violences faites aux enfants, commises dans la grande majorité des cas par des hommes de la famille.

5- L’intérêt de l’enfant et l’autorité parentale conjointe : un argument homophobe et favorable aux droits des pères.

Avant de conclure, ils nous semble important de revenir sur l’utilisation commune des notions « d’intérêt de l’enfant » et « d’autorité parentale conjointe ». 
Ce lien, utilisé comme titre de la nouvelle proposition de loi « APIE » était déjà au cœur de l’amendement 108 :

« Tout enfant a le droit d’entretenir des relations personnelles avec ses deux parents. Dès lors que l’autorité parentale est conjointe, le juge aux affaires familiales a pour devoir de maintenir et, si besoin, de rétablir ce lien parental. »

Apparemment inoffensive et de « sens commun », cette causalité créée de toute pièce, est un des piliers de l’argumentaire masculiniste.

L’idée soutenue ici est que tout enfant doit bénéficier d’une autorité masculine. La fonction du père serait indispensable au bon développement de l’enfant et à son équilibre psychique. Si le père venait à manquer, les enfants n’auraient pas les bons repères pour se structurer et auraient plus de chances de tomber dans la délinquance, la toxicomanie ou de développer des problèmes psychologiques, voire de ne pas devenir assez « masculin » ou de devenir homosexuel...

Cette vision des choses essentialise [25] la filiation biologique et la cellule familiale hétérosexuelle en affirmant que chaque enfant devrait absolument être éduqué par un père et une mère. C’est une vision homophobe de la filiation qui pathologise les enfants élevé-e-s par des couples lesbiens. Elle invisibilise aussi le fait que l’immense majorité des enfants élevé-e-s par des mères seules se portent très bien.

Les enfants n’ont pas forcement besoin d’une mère et d’un père biologique mais d’adultes qui leur donnent toute l’attention dont ils – elles ont besoin ; peu importe leur genre, leur sexualité et leur nombre.

Également, rappelons que dans l’éducation des enfants, ce sont les hommes qui sont le plus souvent absents et que ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge toutes les responsabilités éducatives. La proposition de loi « APIE » ne prend jamais en compte ces faits.
En renforçant « l’exercice conjoint de l’autorité parentale », les rédacteur-ice-s de la loi pensent encourager les pères à assumer leurs responsabilités, mais elle les exonère de tous leurs devoirs dans les faits. En d’autres termes, on ouvre des droits aux pères sans prendre les dispositions pour qu’ils s’acquittent d’abord de leurs obligations.

Finalement, ces différentes propositions de loi apportent encore plus de complications pour les mères séparées, véritablement mises sous tutelle en les forçant à dépendre de leur ex-conjoint. Encore une fois, l’intérêt de l’enfant est nié au profit du « droit des pères ».

6- Conclusion : Un recul du principe d’égalité entre hommes et femmes

La résidence principale des enfants est confiée au père après un divorce dans 12% des cas, selon une étude du ministère de la Justice, contre 71% à la mère et 17% aux deux parents, en résidence alternée. «La raison principale au fait que les pères ne voient pas leurs enfants, c’est qu’ils le choisissent», explique Stéphanie Lamy, co-fondatrice du collectif Abandon de Famille - Tolérance Zéro! En effet, selon cette étude, seul un quart des pères demande la garde exclusive et 19% la garde alternée. Une large majorité d’entre eux demande à ce que les mères s’en chargent (58%).

Une enquête du même ministère, publiée dans Infostat justice de janvier 2015, indique d’ailleurs que, lors de divorces par consentement mutuel, la résidence des enfants a été fixée en 2012 chez la mère dans 63% des cas, en alternance dans 30% des cas et chez le père dans 6% des cas seulement. «Les nouveaux pères savent que la résidence alternée pour tous est impossible: chaque cas est différent. Les pères “normaux” n’ont pas de problème à obtenir une résidence alternée en règle générale. Les mères d’ailleurs ne rêvent que de ça: des pères qui réclament plus d’implication», conclut Stéphanie Lamy. Selon le ministère de la Justice, les demandes des pères ont été satisfaites à près de 93%.

Après avoir réussi à obtenir un écho très favorable dans les médias, l’activité des masculinistes s’est concentrée à faire du lobbying et notamment à être auditionnés par des commissions des lois pour faire pencher la loi en leur faveur. 

Nous avons montré que les situations de divorces ou de séparations restent très majoritairement défavorables aux femmes plutôt qu’aux hommes. La principale revendication des masculinistes, la résidence alternée par défaut, est un moyen de pression efficace pour le lobby des pères. Elle constitue très souvent un piège social et économique pour les femmes car elle ne prend pas en compte les inégalités économiques entre femmes et hommes ainsi que l’omniprésence des violences masculines.

Les autres revendications des masculinistes prises en compte (le SAP et la médiation familiale) sont tout aussi problématiques. Le SAP met sous silence les violences faites aux enfants et la médiation familiale force les femmes victimes de violence à revoir leur agresseur.

Par ailleurs, nous ne nions pas que des pères ne sont pas satisfaits par des décisions de justice. Cependant, les associations masculinistes n’ont pas pour objet principal de les aider, mais de les instrumentaliser afin de diffuser et vulgariser un discours violemment sexiste et misogyne et délégitimer l’avancée (toute récente) des droits des femmes. 

Sous couvert de participer à l’éducation de leurs enfants, l’enjeu est bien pour cette poignée d’hommes de rester maîtres de leurs femmes et de leurs enfants en rendant les séparations aussi difficiles que possible.

En s’organisant pour défendre leurs privilèges d’hommes, le mouvement masculiniste est bien un mouvement réactionnaire dont le seul but est de renforcer l’ordre patriarcal et hétérosexuel.

Collectif anti-masculinistes île-de-france
antimasculinistes@riseup.net

Notes

[1] On utilisera les abréviations suivantes : loi « APIE » pour la proposition de loi n°1856, amendement 108 pour l’amendement de la loi Égalité Femmes-Hommes.

[2] Dont le collectif La grue jaune est le fer de lance.

[3] En fait, la loi « APIE » supprime les notions de résidence, de droit de visite et d’hébergement.

[4] 93% des pères et 96% des mères obtiennent satisfaction devant le Juge des Affaires Familiales. 
Source : www.justice.gouv.fr/art_pix/1_rapportresidence_11_2013.pdf

[5] Selon le collectif Abandon de Famille, 40% des pensions alimentaires ne sont pas versées entièrement.

[6http://www.inegalites.fr/spip.php?article1895

[7] L’écart de salaire moyen en équivalent temps plein entre hommes et femmes est de 19,6 % en 2010 pour les salarié-e-s du secteur privé et des entreprises publiques et de 13,9 % dans la fonction publique d’état (source enquête Emploi du temps de l’Insee de 2009-2010).

[8] Selon l’enquête Emploi du temps de l’Insee de 2009-2010, en moyenne, une femme passe 3h52 par jour au travail domestique, contre 2h24 pour un homme ; une femme consacre 31 minutes aux soins pour les enfants et adultes contre 14 minutes pour un homme).

[9] Collectif Onze, Au tribunal des couples, enquête sur les affaires familiales, éditions Odile Jacob, 2013.

[10] Patrizia Romito, Un silence de mortes, la violence masculine occultée, éditions Syllepse, pp. 39-40.

[11] Selon l’enquête ENVEFF, 9% des femmes interrogées au moment de l’enquête vivent des violences de la part de leur conjoint.

[12] Extrait du texte de loi, chapitre 1, article 7

[13] Selon Patrizia Romito : «  aux États-Unis, 73% des femmes assassinées par leur partenaire le sont après la séparation ou le divorce.  ».
Nous n’avons pas de chiffres de ce type en France, mais il y a toutes les raisons de penser que la situation en France est similaire à celle des États-Unis.

[14] En fait, la sécurité de l’enfant est lié à celle – celui qui s’investit vraiment dans l’éducation de l’enfant. Dans notre société patriarcale, ce sont majoritairement les femmes qui prennent en charge ce travail-là.

[15] Le montant de la pension alimentaire dépend des revenus du père et des besoins de l’enfant.

[16] Extrait du texte de loi, chapitre III, article 17.

[17] Définition adoptée par le Conseil National Consultatif de la Médiation Familiale (2002).

[18] Par ailleurs, ce texte de loi est contraire à la Convention d’Istanbul (Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et de la violence domestique) que la France doit signer prochainement. Cette Convention interdit le recours à des modes alternatifs de résolutions des conflits y compris la médiation familiale en cas de violences.

[19] alinéa qui complète l’article L.227-2 du code pénal.

[20] Richard Gardner affirme (entre autres) que la pédophilie sert la survie de l’espèce...

[21] Paul Bensussan est un psychiatre Français et Hubert Van Giseghem, psychologue Canadien. Tous deux sont des promoteurs très actifs du SAP.

[22] Selon l’enquête "Les Français face à l’inceste", réalisée en 2009 à l’initiative de l’Association Internationale des Victimes d’Inceste, tous les milieux sociaux sont concernés.

[23http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1067755/fr/victimes-dinceste-mieux-reperer-pour-mieux-proteger

[24http://www.cfcv.asso.fr/dossiers/c2,dossier.php?id=122

[25] Nous entendons par « essentialisation » le fait de rendre naturel les phénomènes sociaux.