Rapport travail, emploi, numérique : aujourd'hui n'a rien à voir avec hier

Vous allez avoir de la lecture, mais elle est essentielle : imaginez-vous ministre, imaginez-vous vous, citoyen, parfois en difficulté, parfois non, mais déjà inquiet, toujours maintenant inquiet, puisque c'est la condition humaine de cette époque, une inquiétude sur l'avenir, le sien, celui de ses enfants, celui de la société, se disant bien que quelque chose ne va pas dans la fable que nous nous racontons depuis tant d'années d'un retour possible au plein emploi d'avant la première crise pétrolière, à un monde d'avant, un monde qui n'est plus, qui ne sera plus, un monde où il y a du travail pour tous, où il serait garanti, correctement payé, en position de financer des dispositifs sociaux comme la retraite, la sécurité sociale, les allocations familiales, l'aide aux plus démunis, des bourses pour les étudiants, gardez tout cela en tête, et dîtes vous que vous recevez, ce matin, ce rapport du Conseil National du Numérique sur l'avenir du travail, la métamorphose du monde en train de s'accomplir sous nos yeux, l'effondrement des vieilles certitudes et habitudes, et qui fait une évaluation des nouvelles trajectoires possibles, revenu de base garanti et autres. Vous faîtes quoi ? Vous prenez le temps de le lire. De l'étudier. D'y penser. C'est pourquoi nous publions ce rapport en entier. Pour que vous le gardiez quelque part. Puissiez y revenir. Il s'agit de notre avenir.

Aujourd’hui n’a rien à voir avec hier

Lors des multiples auditions et discussions qui ont présidé à l’écriture de ce rapport, un point de vue a fréquemment été défendu selon lequel des crises et des mutations profondes similaires à celles que nous connaissons aujourd’hui ont déjà impacté l’ensemble de nos modèles par le passé. Le réseau d’implications réciproques entre les avancées technologiques et les constructions économiques et sociales ne serait pas une caractéristique spécifique à notre époque - la désindustrialisation et ses effets délétères sont là pour en témoigner. De la même manière les nouvelles formes de création de valeur présentées comme radicalement nouvelles, telles que le travail du consommateur, s’inscriraient en fait dans une histoire longue que l’on ne peut éluder ou passer sous silence. Les analyses radicales sur la mutation des organisations et le travail indépendant oublieraient, elles aussi, de prendre en compte les phénomènes d’externalisation massive qui existent depuis des dizaines d’années maintenant.

Vues sous cet angle, les récentes mutations peuvent sembler s’inscrire dans la continuité des choses. Les bouleversements de modèles économiques, activités professionnelles, etc. ne connaîtraient en définitive que des sophistications et intensifications rendues possibles à grande échelle par les nouvelles technologies et les réseaux mondialisés. Somme toute, nous serions prisonniers d’un aveuglement fort compréhensible, et d’ailleurs assez largement partagé dans l’histoire, qui consiste à considérer son époque, pourtant banale, comme une période exceptionnelle, comparable à aucune autre.

Le Conseil national du numérique s’inscrit clairement en faux contre cette idée. Avant toute chose, il nous semble indispensable d’affirmer que la période que nous traversons est celle d’une évolution systémique, exceptionnelle et rarement connue dans l’histoire de l’humanité. En ce sens il ne s’agit pas d’une crise, mais d’une métamorphose : non d’un passage entre deux états, mais d’une installation dans l’inconnu. Quand la crise suppose de résoudre des enjeux qui peuvent être cruciaux, la métamorphose nécessite de modifier les conditions mêmes d’analyse de ces enjeux. En effet, au-delà des dispositifs à construire, des actions à mener, des plans à mettre en œuvre, ce sont les conceptions mêmes que nous nous faisons d’un certain nombre de phénomènes qu’il s’agit de faire évoluer, telles que les définitions que nous assignons aux notions d’emploi, de travail et d’activité. Si - et c’est une des hypothèses plausibles - 50% des emplois sont menacés par l’automatisation dans un horizon proche, si nos savoirs et nos compétences doivent évoluer en continu tout au long de notre vie professionnelle, il ne s’agit pas de modifier quelques indicateurs, mais d’entreprendre une révolution épistémologique.

Nous entrons dans une ère d’incertitudes, sans commune mesure avec ce que nous avons connu auparavant. Les rythmes de travail et de circulation de l’information s’accélèrent, les cycles d’innovation se raccourcissent, les ruptures se durcissent sur les plans technologique, épistémique, cognitif, culturel : c’est pourquoi nos projections sont plus fragiles. Leur pertinence est davantage sujette à caution et limitée dans le temps. Qui aurait pu prévoir, il y a encore 5 ans, la vitesse de diffusion du smartphone, quand cette technologie était encore balbutiante ? A titre d’exemple, l’âge moyen des entreprises cotées aujourd’hui au NASDAQ est de 25 ans, celui des GAFA est de 22 ans tandis que celui des entreprises du CAC 40 est de 104 ans.

De la même manière, il n’est plus possible de concevoir les trajectoires professionnelles individuelles de façon linéaire. La prospective n’a plus pour objet les mutations qui vont affecter la génération suivante : c’est à l’échelle d’une carrière que les paradigmes se transforment. C’est donc également au niveau individuel que se cristallisent ces mutations et leurs effets. Ainsi, dans beaucoup d’entreprises, être performant impose de contribuer à sa propre obsolescence, c’est-à-dire participer à définir des manières de produire radicalement différentes, qui entraînent potentiellement la destruction de son propre emploi.

Par conséquent, nous ne pouvons pas nous contenter d’observer les ruptures actuelles à l’aune des enseignements que nous avons tirés des précédentes, et des réponses qui leur ont été apportées.

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