Armer le wahabisme n'est pas une bonne idée

 ® Guillaume Herbaut

 ® Guillaume Herbaut

Le pays qui a prêté son credo sunnite wahhabite aux tueurs de l'Isis qui ont frappé à Paris n'a a aucune souci à se faire des rodomontades de François Hollande sur la guerre. Les Saoudiens ont déjà entendu tout cela, ce blabla sur le Nouvel Ordre Mondial, en 1991, lorsque George W. Bush a inventé  l'expression sous-hitlérienne pour le Moyen-Orient qu'il pensait pouvoir produire: une oasis de paix, un lieu de richesse sans armes dans lequel les épées seraient transformé en socs de charrue,  ou au moins en pétroliers plus grands et en oléoducs plus longs.

Les Saoudiens sont beaucoup trop occupés à faire voler en morceaux le Yémen dans leur guerre folle contre les chiites Houthis pour se soucier des fous sunnites wahhabites de l'Isis. Leur ennemi reste le nouveau meilleur ami de l'Amérique - l'Iran chiite - et ils sont plus que jamais désireux de détrôner le président alaouite chiite de la Syrie. Ils savent que la politique étrangère française a favorisé le commerce avec l'Arabie avec autant de ferveur qu'elle s'opposait à l'accord nucléaire iranien - et que des milliards de dollars de matériel militaire US vont encore affluer dans le royaume malgré ses liens avec la la secte qui a détruit 129 vies à Paris.

Si quelqu'un pense que Barack Obama va discipliner la théocratie monarchique de l'Arabie Saoudite, ils n'ont qu' à jeter un coup d'œil sur le projet de 1.29bn $ vente d'armes US pour 1,29 milliard de $ au roi Salman (79 ans) pour se rendre compte que les USA n'ont aucune intention de freiner la férocité du royaume.

Ce dernier a largement cessé de bombarder l'Isis - surprise, surprise -mais il a désespérément besoin de plus d'armes après avoir brûlé ses stocks d'armes sur les Yéménites appauvris. Le projet d'accord de vente d' armes - déjà approuvé par le Département d'État US - comprend des munitions d'attaque directe de Boeing et des bombes à guidage laser Paveway de Raytheon.

Les Houthis, inutile de dire, contrôlent encore une bonne part du Yémen, y compris la capitale Sanaa, même si l'assistance militaire iranienne – claironnée urbi et orbi par les Saoudiens - est mythique. Les groupes de droits humains ont accusé depuis longtemps les frappes aériennes des Saoudiens de tuer des civils sans discrimination - l'ONU a établi le nombre total de morts civiles à 2355, chacune d'elles, bien sûr, étant aussi précieuse que les 129 vies détruites à Paris vendredi dernier.

Les US-Américains - et les Français - aimeraient sans doute que les Saoudiens tuent 2 355 membres de l'Isis, mais cela n'adviendra pas. Le Congrès US a déjà autorisé Obama à vendre 600 autres fusées Patriot PAC-3 de défense aérienne - mettant 5,4 milliards de £ [=7,7 M €] dans la poche de Lockheed Martin - bien que les Houthis ne possèdent pas un seul avion. Les missiles sont vraisemblablement destinés à protéger l'Arabie saoudite de l'attaque aérienne iranienne dont personne dans le Golfe ne croit vraiment qu'elle aura jamais lieu.

Quant aux nouvelles lois d'urgence de la France, elles ne vont déranger ni les Saoudiens ni aucun autre pays arabe. Dans un Moyen-Orient où les dictateurs locaux, les rois et émirs - presque tous des alliés de l'Occident - espionnent régulièrement de leurs citoyens, écoutent leurs téléphones et torturent leurs propres gens, personne ne va se faire de soucis si les nouvelles lois de Hollande limitent l'égalité ou la liberté du peuple de France.

Pour les Saoudiens, la bataille familiale entre le prince héritier et ministre de l'Intérieur Mohammed Ben Nayef, et le jeune (30 ans) ministre de la Défense et prince héritier en second Mohammed Ben Salman Ben Saud - qui a mené le bombardement désastreux du Yémen par l'Arabie - offre beaucoup plus d'intérêt que l'avenir de l'Isis.

Et pour la France ses propres ventes d'armes lucratives à l'Arabie saoudite sont beaucoup plus intéressantes, dans la mesure où Hollande espère encore - vainement, pourrait-on ajouter - supplanter les USA comme principal fournisseur d'armes du royaume. Il peut bien penser qu'il est «en guerre» contre l'Isis - mais il ne touchera pas aux mentors spirituels du soi-disant Califat.

Robert Fisk 

 

Mohammed Ben Salman Ben Saud, Reuters

Mohammed Ben Salman Ben Saud, Reuters