L'AUTRE QUOTIDIEN

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« La BD, c’est le médium populaire dans son sens le plus noble » Rencontre avec Marie Bardiaux-Vaïente, Carole Maurel et Gally

On profite d’une double actualité, avec les sorties de Bobigny 1972 et Dans les couloirs du Conseil constitutionnel scénarisés par Marie Bardiaux-Vaïente et dessinés respectivement par Carole Maurel et Gally, deux albums très différents qui éclairent notre actualité.

Au moment de réaliser cette interview, le Sénat se penche sur le projet de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution, une actualité qui réunit ces deux projets ; et, on apprenait également la mort de Robert Badinter, au centre d’un album de Marie Bardiaux-Vaïente et Malo Kerfriden, en 2021, L’Abolition — le Combat de Robert Badinter

Dans Bobigny 1972, Marie Bardiaux-Vaïente & Carole Maurel racontent le procès autour Marie-Claire Chevalier et Michèle, sa mère, qui deviendra grâce à Gisèle Halimi et le mouvement CHOISIR la cause des femmes, un procès historique qui aboutira sur l’acquittement des accusées. Puis préparera le terrain du projet de loi porté par Simone Veil en 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse. Un album de fiction très riche, inspiré de faits réels. 

Avec Dans les couloirs du Conseil constitutionnel, Marie Bardiaux-Vaïente & Gally nous embarquent dans un reportage plein d’humour pour expliquer très sérieusement ce qu’est le Conseil constitutionnel. Pour raconter l’origine, les fondements de cette institution et sa place aujourd’hui, les autrices se sont gentiment caricaturées et leurs avatars servent de fil rouge à ce livre éclairant. 

Nous avons la chance d’avoir pu interroger les 3 autrices pour en parler et en explorer les coulisses ou encore le processus de fabrication. 

Marie, vous avez une double actualité, triple même avec Jean Monnet dans la collection « Ils ont fait l’Histoire » en mai ; il y a des projets au long court qui se concrétisent en même temps ? 

Marie Bardiaux-Vaïente : Je n’ai rien décidé, ça s’appelle le temps éditorial et je n’ai aucune maîtrise là-dessus, entre le moment où je réfléchis à un projet et où je le signe. Il y a aussi le temps de la recherche de la personne qui va dessiner même si j’ai quand même validé les intentions avec Glénat, en l’occurrence avec Cédric Illand.

Mais non, c’est vraiment des hasards de calendrier. Le premier des 3 que j’ai lancé c’était Bobigny, je crois que j’ai commencé à y réfléchir fin 2019. Alors que le Conseil constitutionnel, c’est sûr, n’est pas arrivé sur la table avant 2021. Quant à Jean Monnet, encore après… Et il y a Calamity Jane qui arrive en septembre, avec Gaëlle Hersent, dans la collection Western de Glénat.

Bobigny 1972 s’articule autour du procès historique porté par Gisèle Halimi, et commence comme un polar d’où vient cette idée ? 

M.B.V. : Je suis très contente parce que plein de gens me l’ont dit et plein de gens l’ont vu et remarqué, et moi j’adore ça, le polar. Cette idée m’est venue parce que j’aime ça, les courses de bagnoles —il y en a une de scène comme ça avec des flics sur l’arrestation de Patrick Henry, dans L’Abolition, que j’avais faite avec Malo, très polar aussi. Donc, oui, si j’ai la possibilité, dans un album, de mettre ça en scène, moi je m’éclate. C’est assez réjouissant en soi.

Dans cet album, on découvre aussi la vie de ces femmes dans les années ’70, on a un combat politique, mais vous mettez aussi en scène le quotidien ? 

M.B.V. : C’est même l’angle de fond ! Ce livre n’est pas un livre sur Halimi, pas du tout : c’est un livre sur Marie-Claire et sa mère. Alors, Halimi rentre en scène par la force des choses, mais on est sur leur quotidien, sur comment des femmes modestes vivaient cette situation-là au début des années ’70, et toute la solidarité, la sororité qui se met en place autour d’elles : tout ce qu’on voit dans le métro, par exemple, ou les coups de fil en parallèle. Ces scènes-là étaient pour moi très importantes, sur le chemin à parcourir : et le métro, c’est quelque chose qui est enterré, donc qu’on ne montre pas, qui n’est pas à la lumière du jour. Halimi arrive dedans, mais ce n’était pas mon enjeu premier.

Marie Bardiaux-Vaïente / Photo ©Francesca Mantovani

Carole, comment avez-vous abordé ce projet ? Est-ce que vous avez travaillé particulièrement sur la forme ?

Carole Maurel : C’est Marie qui m’a contactée pour me proposer ce projet qui était déjà suivi par notre éditeur. À l’époque, j’étais déjà accaparée par d’autres albums, il s’est passé presque deux ans avant que je ne puisse travailler sur les premières pages de Bobigny 1972. Je connaissais déjà la figure emblématique de Gisèle Halimi quant à l’affaire « Marie-Claire Chevalier », beaucoup d’éléments m’avaient échappé quant aux tenants et aboutissants du procès.

Lorsque j’ai lui la proposition de scénario que Marie m’avait envoyé, j’y ai trouvé une force, une approche, un angle et un engagement qui m’ont pleinement convaincue de travailler dessus. Parfois lorsqu’un scénario est proposé, la manière d’aborder le sujet peut séduire plus que le sujet lui-même. 

Ici, il y avait une telle cohérence entre l’approche choisie par Marie et le sujet que je ne voulais pas que ce projet d’album m’échappe, j’y ai vu la possibilité de m’investir à mon tour en poussant mon dessin à évoluer et s’enrichir, l’occasion d’explorer des choses nouvelles en adéquations avec les intentions scénaristiques.

Pour raconter un tel événement, la médiatisation, ses intervenantes et intervenants, comment vous vous documentez et à quel moment il faut dire stop à la documentation pour avancer ? 

M.B.V. : Je me documente avant, je suis historienne, je sais faire ça, c’est un réflexe chez moi. Et Bobigny, c’est un projet que j’ai initié, c’est un projet très personnel. Donc j’ai cherché, avant de le faire, surtout, qu’est-ce que je pouvais tirer de la doc que j’étais en train d’accumuler pour en faire une histoire universelle ?

Et donc, quand est-ce qu’on arrête ? On arrête tout simplement quand, par exemple, je décide que des 2 procès, je n’en fais plus qu’un. À partir de là, je sais que je ne suis plus dans une continuité historique. Je prends une grande liberté —je le fais noter en exergue de l’album parce que c’est important. Et justement parce que je suis historienne, je veux bien remettre le réel : cet album est basé sur des faits réels, mais voilà, après, il est quand même très fictionné sur plein de points. Donc on s’arrête là.

Si je voulais faire des livres d’histoire, je ne ferais pas de bande dessinée. Si je fais de la bande dessinée, c’est pour justement avoir une liberté —tout en le précisant, que je prends cette liberté. 

Carole Maurel / Photo ©Francesca Mantovani

Et visuellement, comment vous documentez-vous ?

C.M. : Nous avons la chance d’avoir à disposition de nombreuses images d’archives —filmées ou fixes— des interviews écrites, etc. J’avais déjà une base assez conséquente proposée par Marie, et j’aime aussi mener mes petites enquêtes en fouillant sur internet, nous échangeons ensemble tout ce que nous pouvons trouver et ce qui peut nous servir l’une et l’autre.

De mon côté, j’aime beaucoup regarder les interviews d’époque, lorsqu’on travaille sur un récit historique c’est un grand luxe de pouvoir entendre parler les protagonistes, observer leurs gestuelles, les regards, les intonations, l’éloquence… pour ce qui est de l’univers de Michèle et Marie-Claire, étant donné qu’elles évoluent dans un milieu social assez proche de celui de mes grands-parents, je n’avais quasiment plus qu’à chercher dans les vieux albums de photos de familles pour y trouver de quoi nourrir leur environnement (tenues vestimentaires, décors, véhicules, objets du quotidien) une documentation plus intime qui me permettait aussi d’installer un sentiment de familiarité avec nos protagonistes.

De manière générale, est-ce que c’est compliqué de mettre en scène ces moments historiques et l’intimité, pour rester au plus proche de la vérité ? 

M.B.V. : Alors de trouver le ton, oui, par moment c’est pas évident. Mais je mets beaucoup de moi, dans Bobigny notamment, que ce soit dans Marie-Claire ou dans Michèle. J’essaye de me projeter plus sur l’adolescente & la mère et ce lien-là, dont je voulais parler, qui inonde tout l’album et qui est essentiel. 

C.M. : Bien sûr que ça l’est, on peut être intimidée, voire tétanisée à l’idée de mettre en scène ces vies et de faire de ces femmes des personnages de papier. Je me devais de trouver un juste équilibre entre la réappropriation et le respect vis-à-vis de ces femmes. S’emparer de ce récit sans trahir les faits.

Le travail de Marie m’a été d’une grande aide et tout le travail de recherche de documentation m’a permis de mettre en place les garde-fous nécessaires pour éviter les écueils ou de surinterpréter.

Pour autant, il m’a été nécessaire de travailler sur les émotions que ce récit historique a réveillées chez moi : d’aller invoquer ce que ça a pu « bousculer » intimement pour pouvoir servir le récit de manière honnête, avec justesse. Et l’approche fictionnelle y est pour beaucoup, ainsi que le point de vue de ces deux femmes (Marie-Claire et Michèle) avec lequel on aborde le récit aussi : c’est une porte d’entrée qui permet de s’identifier plus facilement et l’émotion n’en est que plus « palpable » selon moi.

Il y a des choix de découpage et graphiques qui se démarquent —je pense aux trames pour les flash-back, à l’absence de décors/personnages détourés, séquences muettes ou même dessins symboliques— comment avez-vous travaillé le story-board ?

C.M. : Nous avons longuement travaillé à deux avec Marie sur le story-board pour parvenir à avoir une structure aussi solide qu’efficace au niveau de la narration et veiller à ce que le dessin ne trahisse pas les intentions du scénario. 

Nous savions à l’avance que les séquences de flash-back auraient une tonalité, une colorimétrie particulière. Je voulais qu’il y ait une distinction visible au premier coup d’œil pour éviter toute confusion chez les lecteurs. Ici nous voulions d’abord privilégier la lisibilité et la fluidité du récit tout en dynamisant la narration avec une identité visuelle colorée particulière, rappelant un peu les anciens procédés d’impression d’affiches des années 60/70.

Pour les séquences « émotionnelles » il y a également des variations graphiques qui permettent de générer ou d’accompagner les ressentis et émotions, que l’on a voulu transmettre : la colère, la sidération, le désemparement ou le sentiment de solitude, parfois la sobriété visuelle s’imposait lorsque les protagonistes traversaient des séquences violentes.

La couleur, comme son absence, sont des vecteurs émotionnels très puissants. Certaines scènes ne peuvent pas se passer de couleur, comme il paraitrait impudique et obscène de ne pas opter pour autre chose que du noir et blanc pour certaines séquences difficiles.

Carole, c’est votre première BD proche du documentaire, est-ce que vous avez abordé ce type d’ouvrage différemment ?

C.M. :  Je ne suis pas sûre que l’on puisse qualifier l’album de « BD documentaire ». Tout dépend de la définition qu’on lui donne, pour moi il s’agit d’un récit historique tiré de faits réels oui, mais à l’approche fictionnelle.

Cet aspect fictionnel très fort est lié au choix de traiter les faits à travers le regard de Michèle et de sa fille ; et aussi parce qu’il épouse et utilise tous les codes narratifs de la fiction : on rentre dans le récit de façon très immersive, et non en le surplombant ou en restant à distance… ça a été un argument pour moi quant au fait d’accepter de travailler sur cet album. 

Je suis une lectrice de fiction et non de BD documentaire au sens strict du terme. Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion d’aborder le récit d’une pionnière du journalisme d’investigation américaine : Nellie Bly. Ici aussi, nous étions dans un récit historique emprunté au réel, mais avec un traitement fictionnel flirtant parfois avec le fantastique. 

Je dirais donc qu’il n’y a pas de grande différence pour moi vu les choix et intentions scénaristiques privilégiés, mais que la seule exigence majeure ici, était la nécessité d’être extrêmement bien documentée pour que le côté fictionnel ne vienne pas trahir le réel.

Il y a bien évidemment un rapport au réel plus frontal ici et l’impact émotionnel est peut être plus prégnant que lorsqu’on aborde de la fiction pure, mais les récits que je choisis de traiter

interrogent tous mon propre vécu de manière plus ou moins directe, que cela soit conscient ou non. L’intérêt vif pour les deux types de récits est assez similaire finalement.

Pardon pour le raccourci, j’y pensais parce qu’on a des inserts, comme l’appel des 343 femmes, qui ne sont pas habituels dans un album de fiction ? 

C.M. : C’était un choix de Marie et oui, car cela permet de resituer notre récit dans un contexte social et historique de l’époque. Je trouve que le choix de représenter le document tel quel rend le contexte médiatique et militant plus tangible. Il y a une iconographie militante de l’époque qui est souvent reprise dans l’album pour ces raisons-là.

M.B.V. : Oui, ce sont des éléments, que je parsème, parce que j’ai peut-être cette spécificité. Autant c’est vrai que je fais des livres documentaires par moment, autant celui-là, comme L’Abolition, comme L’Enfer est vide, n’en sont pas. Pour moi, pas du tout.

Carole, comment travaillez-vous ? Avec quels outils ? 

C.M. : Les traitements sont assez variables selon les séquences. Le story-board est fait sur ordinateur dans son intégralité, puis certaines planches sont réalisées avec des techniques traditionnelles pour ce qui est de l’encrage (critérium et plume sur papier). Et la couleur est faite sur ordinateur, une fois le dessin scanné.

Je travaille ainsi lorsque je souhaite obtenir un rendu un peu moins « lisse », un peu plus organique et charbonneux. Pour beaucoup de planches, l’ensemble est fait sur ordinateur (couleur et encrage), c’est notamment le cas des séquences de flash-back.

Marie, Gally, pour Dans les couloirs du Conseil constitutionnel, c’est la même méthode ? Comment avez-vous préparé cet album ? 

M.B.V. : D’abord, on y est allées, beaucoup ! C’est important, il fallait aller sur place, rencontrer tout le monde. Il y a vraiment une présence concrète, physique, matérielle face à l’endroit, face aux gens.

Et sinon, je voulais que ce soit Gally parce que je savais ce qu’elle allait me permettre de faire. Il fallait que ce livre soit drôle, il n’y avait pas d’autres solutions. J’ai demandé à Gally et je lui ai vendu le truc, et ça donne effectivement un livre dont beaucoup de gens me disent qu’il est très drôle, c’est chouette. 

Comme on travaille ensemble, on a une bonne technique avec Gally : c’est extrêmement pratique, fluide et spontané dans le sens où elle me crée des dropbox partagées —je dis des parce qu’on a plusieurs projets en cours— où elle met les story-bords ou l’avancée des planches. Et moi, je réagis directement dessus. 

Je lui envoie tout mon découpage, un case à case, elle en fait un story-board sur lequel on discute en live sur la dropbox. C’est ultra pratique et si vraiment il y a un souci, on se passe un coup de fil, c’est réglé en 5 minutes. Mais voilà, il y a ce jeu d’aller-retour, de ping-pong très frais et intense par moment.

Gally : À la base nous n’étions pas censées intervenir dans l’album en tant que personnages. J’avais suggéré à Marie de nous mettre en scène par-ci par-là —pour égayer un peu entre deux cours de droit constitutionnel— et finalement nous y sommes du début à la fin.

Ça rend le tout plus incarné et plus proche des lectrices et lecteurs qui sont des citoyens et citoyennes comme nous, je trouve.

Comment doser le niveau d’info et la part d’anecdotes pour garder les lecteurices sans les perdre, pour ce type d’ouvrages ? 

M.B.V. : Il y a quand même eu une relecture du Conseil. J’ai fait une thèse d’histoire, et même si j’ai un peu de bagages, forcément, en histoire du droit ; je ne suis pas constitutionnaliste. Je me suis plongé là-dedans, avec plaisir, certes, mais sans devenir spécialiste en six mois. Donc, il y avait toute la relecture juridique. En plus, le droit c’est un vrai langage en soi. Un terme ou un mot dans notre langage courant peut-être un contresens total si l’on parle de droit. 

Toute la partie où, on se met en scène, on les met en scène : ça n’a posé aucun problème ! Ce fond narratif n’a pas été un sujet, ils nous ont laissé une totale liberté là-dessus.

Après, c’est plus sur des équilibres, par rapport à l’histoire du Conseil et peut-être au présent. Encore une fois, par ma formation, j’aurais pu mettre une dizaine de planches de plus sur l’Histoire, ça n’a pas été considéré comme nécessaire. 

Comment vous préparez-vous à la documentation ? Est-ce que vous faites des croquis sur place ? Plutôt d’après photo ?

G. : On est allées plusieurs fois au Conseil constitutionnel. J’ai pris plein de photos, fait quelques croquis quand on était posées en salle d’audience de QPC [Question prioritaire de constitutionnalité]. On nous a fourni plein de documentation, il a fallu trier dans tout ça. 

On ne se rend pas compte, mais c’est tout petit comme endroit. Y’a un hall/escalier majestueux, quelques jolies salles avec des dorures, une belle bibliothèque pénible à dessiner et basta. L’idée c’était de pouvoir retranscrire l’impression que j’avais des lieux ou des gens, pas d’en faire des portraits ultras fidèles ou des arrière-plans figés et chargés. C’est un lieu chargé d’Histoire, mais vivant.

Gally / photo ©DR

Marie, vous avez écrit pas mal de de biographies, de vie d’autres personnes, est-ce que c’était agréable de s’écrire soi-même en tant que personnage ? 

M.B.V. : C’était ultra-fun de nous caricaturer [rires] caricaturées, mais dans le réel : moi, j’arrive complètement exaltée —tout est super et merveilleux Gally est au début circonspecte —qu’est-ce que vient foutre là ? J’y connais rien— et qui s’amuse au bout d’un moment, qui apprend plein de choses… 

Ouais c’est très drôle de faire ça. Franchement, j’ai adoré, et c’est confortable. Je suis caricaturée, mais je joue mon propre jeu, et quand Gally le pousse plus loin, c’est encore plus drôle.

Est-ce que vous avez travaillé particulièrement sur la forme pour y injecter un peu d’humour Gally ? Comment avez-vous travaillé les gags visuels en aparté ? 

G. : Je crois que je ne peux pas faire une BD sans rajouter des pitreries, au moins en arrière-plan ou sous forme de clins d’œil d’initiés. Ici, le ton et le propos sont très sérieux, j’avais besoin d’une petite soupape de décompression pour m’amuser. 

C’est au story-board que j’ai des idées que je soumets à ma scénariste. Des fois, ça passe, et d’autres non, mais on s’amuse bien. On s’est tapé quelques gros fous rires sur ce projet, je n’aurais pas parié dessus au départ.

Au niveau des outils, comment travaillez-vous ?

G. :  J’ai beaucoup bossé en numérique ces dernières années et cette fois j’avais envie de tester de vraies planches sur du vrai papier. 

Le story-board et le crayonné sont faits sur ordi, pour des questions pratiques, puis j’imprime en bleu sur du papier A4 que j’encre à la plume. Ce n’est pas évident de se passer du CTRL+Z (annuler) au début, mais c’était sympa de sortir de ma zone de confort pour une fois.

Et pour la couleur, avec Grinette ?

G. :  Grinette m’a préparé les applats de couleur à partir d’une palette que je lui ai fournie. Après je viens bidouiller les teintes pour coller aux ambiances que je veux, c’est très pratique.

Gally, vous aviez déjà fait L’Esprit Critique avec Isabelle Bauthian [lire le coup de coeur ici], est-ce que vous abordez ce type d’ouvrage différemment ? Qu’est-ce qui vous plaît dans la BD documentaire ?

G. :  À chaque fois que j’accepte un projet de ce type, c’est souvent par autochallenge. L’esprit critique je n’avais rien compris au pitch, le conseil constitutionnel j’ai dû ouvrir des yeux ronds quand Marie m’en a parlé et là on s’est lancé toutes les deux sur 360 pages d’Histoire de la Justice. Je dois être un peu maso, ou aimer transmettre aux autres ce que j’apprends en faisant un album de ce genre. Qui sait ?

Marie, vous avez mentionné d’autres projets en cours, ce sera aussi dans cette veine ? 

M.B.V. : Non, avec Gally on a un très gros projet qu’on avait signé avant Conseil constitutionnel, mais disons que le Conseil constitutionnel a pris le pas dessus. 

Un projet autour de la justice, et effectivement si je suis allée chercher Gally, c’est pour alléger un peu tout ça, et ce sera environ 350 planches ! Ce n’est pas sorti demain, on a commencé le board mais c’est un très gros projet.

Avec Carole, on a resigné aussi. Je ne dis pas du tout sur quoi, parce qu’elle est occupée pour l’instant, mais on va continuer aussi.

Votre travail résonne particulièrement dans l’actualité avec le projet de loi visant à inscrire l’IVG dans la Constitution ou encore la mort de Robert Badinter. En tant qu’historienne et scénariste, quelle est pour vous la place de la BD documentaire à notre époque ?

M.B.V. : C’est vraiment un médium qui permet d’amener des sujets de niche, considérés comme difficiles —qui ne le sont pas, mais considérés comme tels— de les ouvrir à un public le plus large possible.

La BD, c’est le médium populaire dans son sens le plus noble par excellence. Et c’est pour ça que j’en fais, j’ai envie de transmettre des choses. Et je n’ai pas envie d’écrire des trucs qui restent dans leur niche, qui seront lus par 200 personnes. J’ai vraiment envie de parler de sujets politiques, historiques —qui sont importants à mes yeux— au plus large public possible. Et aussi aux jeunes personnes, c’est très important pour moi.

Si vous aussi, vous aimez la bande dessinée qui offre de mieux comprendre le monde, en prenant du plaisir, il ne vous reste plus qu’à vous procurer ces titres et à nous dire en commentaire ce que vous en avez pensé !

Thomas Mourier, le 6/03/2024

Marie Bardiaux-Vaïente & Carole Maurel - Bobigny 1972 - Glénat 

Marie Bardiaux-Vaïente & Gally - Dans les couloirs du Conseil constitutionnel - Glénat

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