L'AUTRE QUOTIDIEN

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Amirtha Kidambi construit de Nouveaux monuments (à Jaimie Branch)

L'étrange et sombre psychédélisme qui imprègne New Monuments pourrait rappeler la musique de Jaimie Branch. Le troisième album de la vocaliste-compositrice Amirtha Kidambi et de son collectif Elder Ones est dédié à la trompettiste d'avant-garde disparue, et l'album comprend deux collaborateurs réguliers de Branch : le violoncelliste Lester St. Louis et le batteur Jason Nazary. Kidambi est une âme sœur. Va pour la sororité !

Outre le jazz psychédélique et expérimental, la musique d’Amirtha Kidambi est porteuse de forts courants de musique de chambre européenne et de musique carnatique (classique de l'Inde du Sud), de l'urgence du rock et, surtout, d'une conscience politique aiguisée comme un rasoir. Enfant d'immigrés tamouls, Kidambi a une connaissance plus que passagère du colonialisme et de son héritage dans le monde entier.

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Le démantèlement de cet héritage est un point central de son art, et de New Monuments en particulier. "Nous construirons de nouveaux monuments pour/ Ceux qui ont souffert pendant des siècles", chante-t-elle dans le titre de l'album. "Nous construirons de nouveaux monuments pour/ Ceux qui n'ont pas de droits, ceux qui ont perdu leur vie. Ici, Kidambi prononce les paroles comme une déclamation ; plus tard, elle les réanime sous la forme d'un croon rampant, imprégné de réverbération ; entre les deux, elle se contente de gémir dans une ululation sans paroles, sans forme, à la manière de Yoko Ono. Pourquoi l'articuler dans un seul style ? Il s'agit d'un manifeste d'application universelle.

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Kidambi identifie des exemples spécifiques dans les trois autres morceaux de New Monuments : la fusillade du spa d'Atlanta en 2021 aux États-Unis ("Third Space"), la résistance à la déréglementation de l'agriculture en Inde ("Farmer's Song"), le conflit israélo-palestinien toujours d'actualité ("The Great Lie", bien que celui-ci s'applique également à tous les lieux où l'oppression existe). Kidambi évoque également le mouvement des droits de la femme en Iran. Une fois de plus, elle change fréquemment d'approche vocale, ce qui implique l'étendue mondiale des cultures examinées. Pourtant, le global est aussi profondément personnel : Les exemples en question concernent des Asiatiques et des Américains d'origine asiatique, et plus particulièrement des femmes asiatiques et américaines d'origine asiatique. Kidambi n'est pas une observatrice détachée, elle est personnellement concernée.

Il n'est donc pas surprenant que la musique exprimant ces sentiments soit à la fois urgente et sombre. Parfois, ces humeurs se contredisent : le violoncelle et le saxophone soprano bourdonnant (avec l'aide de Matt Nelson) sur "The Great Lie" sont contrebalancés par une voix rapide et staccato de Kidambi, traitée de telle sorte qu'elle ressemble à des ordres martiaux transmis par haut-parleur. Ailleurs, ils sont complémentaires : Si Kidambi (à l'harmonium), Nelson, St. Louis et la bassiste Eva Lawitts jouent sombrement et sans hâte, la batterie urgente et occupée de Nazary les dynamise plutôt que de les démentir. Ensemble, ils sont le reflet d'une détermination sans faille.

C'est d'ailleurs cette détermination qui donne à New Monuments sa définition ultime. La résistance se poursuit, à travers la valse sinistre de "Third Space", les textures de requiem de "New Monuments", le chaos libre et les vagues électroniques qui s'élèvent dans la seconde moitié de "The Great Lie" - peut-être même à travers la perte de visionnaires comme Branch, de plus en plus politique au fur et à mesure que sa brève carrière progressait. Les “nouveaux monuments” du titre de l’album sont le phare : Nous, les opprimés, marchons vers cet avenir plein d'espoir qui nous appartient.

Jean-Pierre Simard, le 20/03/2024
Amirtha Kidambi Elder’s One - New Monuments - We Jazz Records