L'AUTRE QUOTIDIEN

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Trente trois tours de Sons d'Hiver

Mieux changer pour garder le cap, c’est la devise cette année de Sons d’Hiver, en sa trente-troisième occurrence pour dire un certain jazz dans des lieux ancrés du 94 et de Paris pour se mesurer aux salles à dimensions humaines et au public qui se déplace conquis. On y retourne !

Leyla McCalla © DR

L’édito est aussi parlant que définitif : Depuis sa création en 1992, le festival Sons d’hiver offre un regard singulier sur les musiques créatives d’aujourd’hui. Au fil d’une trentaine de concerts programmés, se déclinent le jazz, dans sa dimension mondiale comme dans sa substance nourricière afro-américaine, l’improvisation et l’écriture contemporaine, le rock et hip-hop expérimental, les musiques savantes et populaires. Toutes ces facettes de la musique tissent une programmation multiple et unique à la fois. Sons d’hiver est un festival de dimension internationale où sont présentés artistes français et étrangers, dans un grand nombre de créations ou de projets inédits. Cette passion de la découverte des sensibilités musicales du présent est une aventure qui crée un lien fort avec le public. Le festival se déroule dans le cadre de salles de concert à dimension humaine respectueuses de la richesse et de la subtilité de l’expression musicale. Depuis trois décennies, Sons d’hiver, enraciné dans le vaste territoire francilien, développe un travail de proximité (production artistique, actions culturelles) avec une quinzaine de théâtres du département du Val-de-Marne avec aussi, deux incursions parisiennes. Cet ancrage territorial et l’exigence artistique du festival réinventent sans cesse cette poétique de la relation.

Après la programmation complète du festival, les choix de la rédaction qui ne vous empêchent absolument pas d’aller sur le site de Sons d’Hiver sur les pages agendas, histoire de tout savoir sur ce que vous pourriez rater. Et vous donner envie, pardi ! Comme le festival fait partie des classiques de l’hiver, on vous dit que les ouvertures et fermetures d’icelui sont toujours remarquables, du Kremlin-Bicêtre à Créteil, cela vaut plus que le déplacement, c’est le best of d’une programmation au petit poil, ou à l’anche bien affûtée.

En guise d’ouverture , au Kremlin-Bicêtre ce 19/01/2024 Teriya Quartet feat. Hamid Drake, Aly Keita, Hervé Samb & Brad Jones Certains sons nous filent le blues, d’autres nous réjouissent. Ce genre de sons, Hamid Drake et Aly Keïta en ont entendu et créés quelques-uns dans leurs vies, en compagnie de pas mal de grands noms du jazz libre et des musiques du monde. En langue bambara, l’amitié, se dit Teriya. C’est aussi le nom que le balafoniste et le batteur ont donné à la formation réunie ce soir. L’amitié danse au cœur des échanges du quartet qu’ils ont imaginé ensemble. C’est aussi un retour aux sources même de la musique : la rencontre, le dialogue et l’unisson. Sons d’hiver adore ces retours à la base. Amis fidèles du festival, Drake et Keïta le baignent de pensée et de sagesse depuis longtemps. De sons libres, aussi. De sons qui consolent, de sons qui rassemblent.

Eve Risser Red Desert Orchestra & Kaladjula Band “Kogoba Basigui” au Kremlin-Bicêtre - Pour se croiser, il faut faire un pas vers l’autre. C’est le cœur de cette rencontre, titrée Kogoba Basigui, projet rare au point de mixer l’ADN du Red Desert Orchestra et celui du Kaladjula Band réuni à Bamako par Naïny Diabaté. Voici neuf musiciennes et musiciens européens, dont les noms font saliver d’avance, voici six musiciennes maliennes incantatoires, voici un grand ensemble riche de différences mises en vibrations. À chacun des pas faits par les un.e.s et par les autres, les flammes s’élèvent, la danse agite les corps et les âmes se mettent à chanter. Kogoba Basigui, ça gratte, ça cogne, ça griffe. C’est une affaire de transe, abordée «une main sur le groove, l’autre sur l’âme et les pieds pour la fête », comme le résume avec feu Eve Risser.

Coproduction : Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise, Nouveau Théâtre de Montreuil, Africolor, Jazz au Fil de l’Oise, Colore. Eve Risser est compositrice associée DGCA SACEM de la Soufflerie – Rezé

24/01 - Marc Ribot New Trio with special guest James Brandon Lewis au Perreux - Marc Ribot a 70 ans, part two. Homme-clef de la scène downtown de NYC, homme-moteur des pépites en franc dérapage de Tom Waits, homme-studio avec Tricky ou Caetano Veloso. Marc Ribot est un phare, éclairant tous azimuts. Marc Ribot ne choisit pas. No Way! Son insolence est pourtant restée fidèle au jazz : interprète d’Albert Ayler, artificier des Lounge Lizards, de l’Electric Masada et du Wadada Leo Smith’s Silver Orchestra, sideman chez Jack McDuff, Don Byron, Medeski Martin & Wood. Son New Jazz trio prolonge les pistes du trio créé avec Chad Taylor et le bassiste Henry Grimes. Empathique, expérimental et volubile. Dérivé en quartet avec l’invitation de James Brandon Lewis, autre artisan d’hymnes universels, autre fidèle du festival Sons d’hiver.

+ Marc Ribot “Ceramic Dog” Marc Ribot a 70 ans, troisième et dernière party. Ce trio a du chien. Aussi commode que ces cabots de faïence au regard pas commode posés en bordure d’escaliers de zones pavillonnaires. Faussement malcommode pourtant, le Ceramic Dog. Guitare diagonale, batterie suffisamment binaire pour mieux nous surprendre, et basse faste et furieuse. Récemment, l’arsenal du power jazz trio, a rafraîchi le teint de son free-punk lettré et revendicatif. Leur aboiements noise d’avant-garde mixent rock’n’roll, funk, disco, flamenco, délires psychédéliques et, cerise flashy sur le gâteau, des harmonies pop. Le chien de faïence a, encore et toujours, les crocs plantés dans ses poèmes érectiles et longs chants cabossés avec classe. Pas mal du tout comme birthday cake.

© Franck-Farre

26/01 - Yuko Oshima solo à Arcueil - Yuko Oshima a un pied du côté de Strasbourg, où elle vit depuis 2000, et l’autre posé dans sa culture natale. Dans son solo, développé au fil des concerts, la percussionniste combine influences japonaises et expériences actuelles. Elle y joue une musique qu’elle qualifie bien volontiers d’inqualifiable. Inqualifiable ? Que dire alors ? Que ses solos, par exemple, se nourrissent de jazz, de rock, de musique traditionnelle, de batterie turbulente, de percussions délicates. Que sa langue natale sonne en écho à ses toms et cymbales. Chaque mot de japonais, chanté ou chuchoté, structure un rythme complexe, magnifique et sensible. Par éclats et tensions. Sur le vif et dans l’instant présent, la délicatesse s’anime du groove et des battements de l’espace sonore.

26/01 - Otomo Yoshihide New Jazz Quintet à Arcueil - Otomo Yoshihide est aux platinistes ce que Platini est à la Juventus de Turin. Un zèbre parfaitement rayé mais qui tire dans les coins. Quand il joue de la guitare électrique, idem. C’est très fort, au sens multiple du mot, c’est rarement droit mais c’est très beau. Grand aventurier de la scène japonaise, le fondateur de Ground Zero, est une pièce maîtresse de la musique noise mondiale. Son New Jazz Quintet, né en 1999, dans la furie qu’il déclenche, a même poussé les jazz critics à néologiser le onkyō-jazz. Du jazz qui n’a pas son pareil. Du jazz qui revisite in extenso les standards américains. Du jazz très libre et hyperinventif. C’est très intelligent, fabriqué, et ciselé avec une dextérité impressionnante. Eclairé par la lumière des comètes insolentes.

Avec le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique

© Jacky-Cellier

02/02 - “Tu danses-tu ?” Grand Bal d’hiver par Papanosh & invité.e.s à Vitry-sur-Seine La cigale avait chanté tout l’été ? Papanosh et ses amis danseront cet hiver. Dans l’esprit hérité de la bande à Uzeste, des cabarets populaires, des fêtes improvisées dans le monde entier qui prête gentiment ici ses chansons. Papanosh ? C’est un ensemble réjouissant. De vieux amis reconvertis, au sein des Vibrants Défricheurs, dans la musique insolente, pleine d’une ferveur discrète et d’une joie partageuse. Ce bal aux allures XXL, posé au mitant du festival, s’impose. Frondeurs, les Papanosh la jouent plutôt free avec le savant et le populaire, adorés de Sons d’hiver. Ça joue pop pour faire valser les têtes et les corps. Papanosh célèbre le flou des limites et, c’est cocasse pour une tribu de fieffés laïcs, c’est une vraie bénédiction. Comme l’était leur hommage à Jacques Prévert en compagnie d’André Minvielle. Ce dernier, rejoint par Linda Olàh, Napoleon Maddox ou encore Bernard Lubat sera présent pour ce grand Bal d’hiver. De quoi réchauffer les cœurs et les corps. S’en fout le répertoire, s’en fout la mort. Vive la joie terrible. Pas mal pour le son d’un soir d’hiver.

© Nicolas-Derne

06/02 - Sélène Saint-Aimé “New Orleans Creole Songs” à Nogent-sur-Marne - La Caraïbe est une mère. On y nage, on s’y nourrit. Une mère nourricière dont les bouillons et les remous sont au cœur de la musique de Sélène Saint-Aimé, explorant les traditions de ses ancêtres afro-descendants. Traditions rejouées, en trois mois de résidence à la Villa Albertine, à la Nouvelle-Orléans. La bassiste a pu explorer les lieux et l’histoire musicale de la ville, en tracer des cartes mentales héritées des cultures africaines, afro-indiennes et caribéennes de la cité-berceau du Jazz. Apprentissage de rythmes (la danse djouba, le tambour bèlè), et de vieilles chansons créoles de Louisiane. Connexions en pagaille. Creole Songs fédère des musiciens locaux dans une vision très personnelle, pour partager ce bouillon de cultures. Et laisser poindre l’ancien mâtiné de nouveau.

Coproduction : Festival Sons d’hiver avec le soutien de l’Onda – Office national de diffusion artistique

@ Enzo-Addi

07/02 - Benoît Delbecq 4 “Gentle Ghosts” feat. Mark Turner, John Hébert & Gerald Cleaver - Paris 14, Théâtre de la Cité internationale - Sans être pointilleux, on peut être pointilliste. Ou même impressionniste pour ce grand admirateur de Claude Monet qu’est Benoît Delbecq. Impressionniste, le monde subtil et organique de Gentle Ghosts. Monde où le moindre blues pourrait avoisiner la magie suspendue des imaginery landscapes dessinés au piano préparé par John Cage. Striés, pesés, vifs. Gentle Ghosts repose sur une complicité de pleine évidence entre les musiciens, à la modestie exigeante. De celle qui vous pousse vers le fond plutôt que vers le décorum. Ce quartet quadrille son espace sonore avec une tendresse furieuse. Mais sans pression inutile. La liberté rythmique et le groove discret pourrait faire tomber de vraies larmes des yeux des pleureuses siciliennes. Impressionniste ? Impressionnant. Point.

07/002 - Ambrose Akinmusire “Owl Song” feat. Billy Hart & Jakob Bro -* Paris 14, Théâtre de la Cité internationale - Poto de Kendrick Lamar, disciple d’Archie Shepp, Ambrose Akinmusire possède cette science très classe d’un son velouté au service d’une conscience noire implacable. Se souvenir du set tiré d’Origami Harvest qui ouvrait magistralement l’édition 2019 de Sons d’hiver. Musique à tiroir, art subtil de la mélodie, posés sur des beats puissants, politique chevillée au pavillon, le trompettiste creuse le sillon d’une révolution musicale, complexe et limpide. Sa musique, pour ce concert livré à l’exercice si périlleux du trio, sera remise entre les mains d’un fidèle de l’avant-garde, le batteur Billy Hart, et d’un chantre de l’impressionnisme musical, le guitariste danois Jakob Bro. Tous trois, introspectifs, discrètement enragés, donc fascinants.

@ Laura Partain

10/02 - Leyla McCalla “Kanaval: Haitian Rhythms & the Music of New Orleans” - Créteil, Maison des Arts - Magnifique paradoxe, encore un. Derrière la sérénité de la voix de Leyla McCalla, ses chants grenouillent dans le marigot des luttes raciales et sociales. C’est d’abord Haïti qui est le terreau pour ses disques-brûlots. Aujourd’hui, la Louisiane s’impose. La violoncelliste, née à New York, haïtienne d’origine et établie à La Nouvelle-Orléans, joue avec toutes les nuances de noir que l’histoire des premières nations contient. Pour ce Kanaval, c’est une Nouvelle-Orléans où dansent ensemble le folk américain et le Kreyòl haïtien, une des composantes de l’identité africaine. Dansent aussi le Zydeco et la part blanche du créole, échappée du Bayou. Plus fort qu’un tract anticolonialiste, pas moins brutal qu’une statue déboulonnée, plus doux qu’un cataplasme de lait chaud sur une blessure.

Alors, les choix sont difficiles et on ne peut pas tout voir/écouter/apprécier. D’où l’idée d’aller musarder sur le site pour en savoir/vouloir plus, d’autant plus que La Plateforme vous propose rendez-vous avec des artistes, créations sonores en podcasts et rencontres ; dont une avec Hamid Drake à Souffle Continu. De quoi s’affiner les oreilles en restant low/no budget. On les aime aussi pour ça ! Sachant que Trilok Gurtu et Ribot c’est déjà complet, la billetterie vous dira ce à quoi vous pourrez assister. Mais magnez-vous car ça part vite. Bon premier festival de l’année 2024, on s’y croisera peut-être.

Jean-Pierre Simard le 17/01/2024
Festival Sons d’Hiver 2024 du 19/01 au 10/02/2024