L'AUTRE QUOTIDIEN

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Entre Weegee et Diane Arbus, le combat vent debout de Letizia Battaglia contre la mafia

Décédée le 13 avril 2022 à l’âge de 87 ans, Letizia Battaglia fut la première femme italienne photojournaliste reconnue internationalement pour son travail documentaire sur les crimes commis par la mafia en Sicile. Ce que l’on connait moins, c’est son approche picturale doublé d’un intérêt pour l’art du nu féminin. Frederika Abbate sort une seconde édition de son livre, à ce propos, aux Editions de la Reine Rouge.

« Il n’était pas question de faire de belles photos ou de se sentir courageuse, mais simplement de résister, de se tenir face à eux pour dire non,” déclare Letizia Battaglia.

Biographie, analyse de la vie et de l’œuvre d’une photojournaliste hors du commun “Letizia Battaglia, une femme contre la mafia” (aux éditions de La Reine Rouge) est à l’image de son auteur, une foisonnance d’idées, de culture, d’histoires, de personnages, d’époques … incroyable récit, fourmillant de pauvreté héroïque et de sang coagulé et en même temps cherchant l’absolu et la pureté, “des fous de la maison des fous de Palerme … aux enfants qui jouent dans la rue ou qui végètent dans un lit parce qu’ils sont trop pauvres … de la fillette aux dévots … de la femme qui pleure aux cadavres des mafieux … Battaglia est toujours dedans.”

Pendant près de 20 ans elle va combattre le crime organisé, impliquée totalement dans sa lutte contre le mal, la photo lui permet de “tisser une culture de la paix” … Parallèlement Letizia Battaglia et Franco Zecchin vont donner des cours de théatre aux malades de l’hopital psychiatrique de Palerme. “Contre la tristesse qui est amoindrissement de l’être (Spinoza), ils opposèrent la joie, qui est accroissement et affirmation de l’être.”

“Elle réalise pendant près de deux décades sa magnifique et terrible chronique des années de guerre en Sicile” avec la peur en toile de fond, toujours présente mais qui ne l’empêche pas de capter le réel, d’aller au coeur saignant du réel. Le théâtre nu de la cruauté … Les morts de la Cosa Nostra

Les assassinats en 1992 des juges Falcone et Borsellino,  créateurs d’un pool anti mafia, vont accélérer son besoin de commencer une nouvelle histoire en laissant partir la précédente. Il s’agit des Ré-élaborations, ce projet pour lequel elle ajoute à certaines de ses archives des photos de corps féminins. Le but est de rappeler les événements traumatiques du passé en y incluant, selon Letizia Battaglia, une forme d’espoir, les femmes représentant « la possibilité de régénération et de transformation ».

Entre 2013 et 2014 elle crée les Invincibles, un hommage à celles et ceux qui l’ont inspirée et soutenue … en noir et blanc comme toujours : Joyce, Yourcenar, Freud, Rosa Parks, Che Guevara, Pasolini et bien sûr Borsellino et Falcone.

Finalement, sa série des femmes nues photographiées au-delà de la séduction ou de la non séduction, par un regard qui laisse parler de la peau, la chair de femme, va marquer un tournant dans l’histoire artistique du nu féminin.

Letizia Battaglia

On connait le travail de Frederika Abbate qui va chercher loin ses analyses et en sort des idées complexes pour bien faire le tour de la question qui l’occupe. Ici, a la croisée du destin de deux femmes, le sien et celui de Battaglia , au prisme de la Sicile et du sujet multiple on finit par avoir une vision large des intérêts de cette immense photographe et de la diversité de ses approches en fonctions des sujets. Un seul point d’achoppement : parvenir à éditer un livre sur une photographe avec pour seule photo la couverture, c’est un peu limite.

Jean-Pierre Simard, le 6/11/2023
Fredeka Abbate - Letizia Battaglia, une femme contre la mafia - éditions de la reine rouge