L'AUTRE QUOTIDIEN

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Avoir vingt ans en 2022

D’abord publiée dans la revue PLI, cette tribune rédigée par un mystérieux groupe appelé le C.J.O. a particulièrement touché notre rédaction. Avec son style télégraphique, elle saisit bien le refus de la catastrophe, les émotions rebelles et les aspirations à la désertion qui traversent notre jeunesse. 
Tous dehors !

Avoir vingt ans en 2022.

C’est se dire qu’à l’image du présent, l’avenir est aux issues scellées : chose promise chose due.

C’est être et avoir été, éduqué au signalement, à émarger, à rendre compte partout de notre compatibilité avec ce monde de la vraie vie dont on nous parle depuis l’enfance, et désormais à distance.

C’est être en bout de chaîne, connecté, et déjà à bout de souffle.

C’est tous les jours la fin du mois.

C’est se demander où est passé la vraie vie dont on nous parlait hier encore.

C’est devoir faire des plans sur une comète manquante ou impraticable, voir déjà colonisée.

C’est être contraint par les bons vouloirs de tous les pouvoirs, familles, écoles, gouvernements : on nous dresse comme des chiens de combat, on nous traite comme des ânes.

C’est être sommé de continuer à vivre ainsi,
sous l’obligation de contraintes définitivement mutilantes.

C’est devoir porter, en citoyen vigilant, tout le poids de la connerie qui a ravagé cette Terre.

C’est se douter qu’un excès d’attention à notre égard préparait quelque chose comme, un anéantissement.

C’est avoir l’âme marquée d’une terreur sans nom.

C’est se sentir responsable, c’est se punir seul, c’est porter tous les costumes.

C’est entendre Guerre, entendre encore Guerre, ce sont des morts dans nos têtes, des visions de morts, des millions et plus encore dans nos cœurs.

C’est compter nos semblables qui à peine sortis de l’enfance se mutilent, se pendent ou se défenestrent.

C’est se demander si demain nous serons encore debout.

C’est constater la déraisonnable et diffuse foi envers le scénario catastrophe que certains de nos indésirables pères avaient avancés alors que nos grandes sœurs et nos grands frères venaient au monde.

C’est être privé de la possibilité de réaliser une vie qui nous semblerait désirable, décemment vivable.

C’est devoir composer dans le cadre très serré qui est partout imposé, continuer à commercer lorsque tout de la bonne vie meurt ou manque.

C’est dire que bientôt, ils commerceront de nos fantasmes, notre monnaie sera quantique, nous échangerons nos rêves contre un droit de passage, dans un monde raisonnablement clos.

C’est notre jeunesse, cette belle jeunesse, agenouillée, mains derrière la tête, yeux rivés sur le sol, c’est cette image de corps alignés.

C’est être suspect et suspecté depuis la maternelle.

C’est observer nos corps frappés de maladies auto-immunes, nos corps déjà vieillissants, nos âmes ces petits accessoires que l’on tait à coups de calmants, nos esprits résignés à une forme de mort tenue, entretenue, par les divers soins palliatifs que nous proposent les mises à jours quotidiennes de diverses applications absurdes et incapacitantes.

C’est prendre la forme des outils que nous entretenons.

C’est dire que partout où s’étend la sécheresse des minéraux, nous cherchons l’ombre où nous reposer.

C’est dire qu’on aurait mis au point, pour nous, un ensemble de dispositifs, qui n’étaient finalement que le rêve cauchemardesque de nos pères.

C’est qu’en réalité, nous sommes bien plus sages que nos mères, nos pères, que nos sœurs et frères, et c’est peut-être notre sagesse qui laisse la route libre à tout ce qui nous oppresse, qu’il s’agisse d’hommes ou des exo-pouvoirs d’hommes rendus à l’état de machines auxquelles on délègue désormais le soin de nous contrôler. Notre sagesse n’en n’est pas une. Notre sagesse est un abattement.

C’est avoir appris à vouloir être auto-entrepreneur, comme on nous a appris à ne surtout pas connaître nos droits et encore moins y prétendre.

C’est affirmer que nous sommes sincères, de nos yeux d’enfants dans ce monde injustifiable, si quelqu’un attaque quelqu’un, quelqu’un attaquera quelqu’un.

C’est affirmer que nous ne sommes pas dupes : on ne rendra pas plus sexy le capitalisme écologisant avec Cotillard et ce genre d’artifices. Aussi, nous prenons conscience que les identitarismes, produits du monde libéral, sont en train de nous mutiler, de nous diviser, et de parfaire le long chemin de la censure qui rôde depuis de nombreuses années déjà.

Nous sommes pour une grève offensive et irréversible, joyeuse et libératrice. Nous en appelons à défaire l’abattement dans lequel on souhaiterait nous tenir, nous appelons à défaire la morale et la morosité qui travaillent sur nous comme le poids d’une longue peine. Nous appelons à méfier toutes les censures et tous les replis, nous appelons à acter directement partout où ce qui défait l’humanité ose encore se montrer. Échangeons nos savoirs et nos intuitions, puis montrons leur qu’il faut se méfier de l’eau qui dort.


Et la jolie planète Terre que les vieux qui s’accrochent au pouvoir laissent aux jeunes, on en parle ? Ils nous méprisent. Qu’ils sachent bien que tout cela est au moins réciproque. Et qu’il y a des chances qu’on leur présente l’addition avant qu’ils finissent par s’éclipser.