L'AUTRE QUOTIDIEN

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Biélorussie : un mouvement animé par des femmes

« Un petit peu encroûté »

Tout est nouveau de ce qui se passe à l’Est, en Russie et en Biélorussie. Tant du côté du pouvoir que du côté des gens. En Biélorussie, il y a deux grandes nouveautés, par rapport à tous les autres mouvements de contestation : d’abord, une non-violence totale, absolue, de même qu’à Khabarovsk, ou dans toutes les autres villes où se déroulent des manifestations — et ces manifestations sont massives, regroupant des dizaines, voire, souvent, des centaines de milliers de personnes. Ensuite, le fait que le mouvement est non pas dirigé, mais animé (et la différence est fondamentale, parce que, justement, il n’y a pas de direction) par des femmes, et que ce sont les femmes qui sont toujours en avant. Ce sont des femmes qui se mettent face aux OMON (qui sont l’équivalent, en beaucoup, beaucoup, beaucoup plus violents, de nos CRS dont je ne dirai jamais qu’ils sont des agneaux) — ce sont les femmes qui continuent, semaine après semaine, à manifester, ou juste à se tenir ensemble, former des chaînes de solidarité, imaginer des formes de contestation nouvelles. Et cela, justement, dans un pays où le président, Loukachenko, a expliqué tranquillement que ce n’était pas possible qu’une femme soit présidente, parce que les femmes, quand même, c’étaient des femmes, et qu’elles n’avaient pas l’ampleur de pensée nécessaire à gouverner un pays. Il a dit ça comme une évidence, et le pays s’est levé — les femmes se sont levées. Cette indignation ne peut pas s’apaiser.

Et comment ne pas penser aujourd’hui à Maria Kolesnikova, la dernière des trois femmes à la tête du mouvement à être restée à Minsk. — Elle a été kidnappée, menacée de mort et les policiers de Loukachenko lui disaient que si elle ne quittait pas le pays, elle le quitterait quand même, « mais en morceaux disjoints ». Et, au dernier moment, au moment où elle était devant le poste-frontière ukrainien pour être expulsée, elle a trouvé le moyen de déchirer son passeport — ce qui fait que non seulement elle n’a pas pu être expulsée, mais elle est aujourd’hui enfermée et menacée de vingt-ans de prison pour « tentative de coup d’Etat » .

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Et néanmoins, tant en Russie qu’en Biélorussie, le mouvement de contestation est en danger. En Russie, à Khabarovsk, malgré les protestations, qui restent aussi nombreuses, le pouvoir a fini par inculper de meurtre l’ancien gouverneur Fourgal, et n’a jamais parlé aux manifestants. Il n’y a pas eu de répressions massives, seulement des arrestations isolées (qui n’ont eu aucun effet sur la mobilisation générale des gens). Il y a eu juste la tactique de l’étouffoir et de l’indifférence. Sur quoi mise le pouvoir ? D’abord sur la fatigue des gens — parce que c’est une charge de fatigue immense, — de fatigue physique et émotionnelle, bien sûr, — ces manifestations semaine après semaine. Et puis, on entre dans l’automne, et les froids vont venir. Et le rouleau compresseur continue.

En Biélorussie, le pouvoir a réussi quelque chose : la grève générale qui menaçait n’a pas eu lieu, et donc, l’économie n’est pas totalement à l’arrêt. Du coup, Loukachenko mise sur le même facteur de fatigue, même si, en Biélorussie, les arrestations se multiplient, avec une violence toujours accrue.

On avait vu le dictateur et son fils en gilets pare-balle, une kalachnikov à la main (mais sans chargeur, ce qui, en soi, était tout un symbole) pendant les premières manifestations, traitant les manifestants de « rats ». C’est une image qu’on ne voit plus, parce que, du moins me semble-t-il, ce n’est plus Loukachenko qui dirige le pays. Je veux dire que Loukachenko joue son rôle de marionnette, d’imbécile, de repoussoir, tout ce que vous voulez, mais les décisions sont prises, très concrètement, à Moscou. — On a vu la visite du premier ministre russe, Michoustine, avec je ne sais plus combien de ministres, et l’accueil d’état fait par le président biélorusse. C’était, réellement, une image dégoûtante de le voir essayer de flatter le premier ministre, d’essayer, d’une façon ou d’une autre, de se montrer un bon élève, alors que, l’autre, tout simplement, le regardait et restait silencieux. Et il y a eu cet épisode ridicule quand Loukachenko a expliqué que ses services secrets ont espionné une conversation entre le gouvernement polonais et le gouvernement allemand pour mettre au point une mise en scène et « faire accuser » la Russie de l’empoisonnement de Navalny. C’était une image, réellement, répugnante par son ridicule, — et il fallait voir le regard de Michoustine à ce moment-là, juste une seconde.

Et puis, il y a une longue interview de Loukachenko à la télé russe dans laquelle il a confié, pour expliquer les « quelques troubles » qui accablaient son pays, troubles évidemment provoqués, selon lui, par des puissances étrangères, qu’il était « s’était sans un peu encroûté dans son siège » (en russe : немножко пересидел). Dire ça, c’est très clairement faire comprendre qu’il sait qu’il sera remplacé — très vite ou pas — par quelqu’un d’autre, parce que le processus d’intégration est lancé. Poutine lui fait payer ses tentatives d’indépendance, ses essais de résistance sur le prix du gaz, et il lui trouvera un remplaçant. Peut-être pas tout de suite, bien sûr. Et l’intégration ne se fera pas par une annexion, qui ne servirait sans doute à rien. Il n’y aura sans doute pas de vote comme il a pu y en avoir en Crimée. Non, simplement, il y aura un protectorat total, et aussi silencieux que possible. Et nous verrons bien ce qui ressortira de la « visite de travail » qu’il fera chez Poutine le 14 — une visite qui, très symboliquement, n’aura pas lieu à Moscou.

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Hier ont commencé en Russie des élections sur trois jours (théoriquement à cause du coronavirus) qui étaient prévues le 13 : ce sont des élections locales, pas dans tout le pays. Les falsifications ont d’ores et déjà commencé, elles aussi, parce que Poutine ne peut pas se permettre une défaite — défaite inévitable si les élections étaient réellement libres. Et si Navalny a été empoisonné, c’est aussi à cause des reportages qu’il préparait sur les régions concernées par ces élections. Ces reportages, son équipe, extraordinaire, héroïque, les a mis en ligne alors qu’il était toujours dans le coma, et ils sont accablants. Dans toutes les régions, les fonctionnaires de « Russie Unie », le parti de Poutine, se comportent comme des chefs mafieux — sont des chefs mafieux —, et ramènent à eux et à leur famille tous les biens du pays. A mettre ensemble ces fragments de Russie, on arrive à une conclusion étonnante : Poutine a divisé le pays en une quantité de fiefs féodaux, indépendants dans les faits, et la seule unité du pays est le mode de fonctionnement du pillage, — et le pouvoir de répression, assassin, mesquin, implacable, qui est exactement celui de la Mafia. Et autre chose, fondamentale : l’indignation croissante de la population.

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Parce qu’aujourd’hui, les choses sont claires : ceux qui soutiennent les dictateurs, Loukachenko, Poutine, les autres, ce sont ceux que ces dictateurs payent, ou qu’ils laissent se payer. Pour tout le reste de la population, vis à vis du pouvoir, ce qui monte de plus en plus, c’est, au minimum, le mépris, et, plus généralement, la haine. Et tout le monde le sait — eux y compris. Et ça aussi, c’est nouveau — là, au moins, il n’y a pas de mensonge. Et, j’ajouterai un dernier point, très nouveau lui aussi : la propagande rageuse des télés officielles est aujourd’hui totalement inefficace, parce que les gens regardent de moins en moins la télé — ils regardent internet.

Et, en même temps, la crise économique et la misère augmentent, pas seulement — et de loin — à cause du coronavirus. Non, parce la structure économique est comme ses dirigeants, vieille, obsolète, encroûtée.

Encroûtés, certes, les dirigeants russes, mais prêts au pire pour rester au pouvoir. J’allais dire « pour rester à l’argent » .

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André Markowicz


Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses fameux posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime sur les "affaires du monde" et son travail de traducteur. Nous lui en sommes reconnaissants.