L'AUTRE QUOTIDIEN

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Prisonnier de Bachar Al Assad. Ni oubli, ni pardon !

Pendant les 10 mois que j’ai passés dans les prisons de Bachar al-Assad comme détenu, je n’ai vu ma famille que dans mes rêves. Pendant la nuit, les cris pouvaient s’arrêter durant une heure ou deux; je pouvais alors fermer mes yeux et me souvenir ce que voulait dire être un humain. Lorsque je dormais, je pouvais retourner à mon existence.

Entre 2011 et 2015, chaque semaine, souvent deux fois par semaine, dans la prison de Saidnaya en Syrie, des dizaines de prisonniers ont été sortis de leurs cellules et condamnés, sans aucune forme de procès, à la pendaison. D'autres sont morts après avoir été torturés, privés de nourriture, d'eau, de médicaments et de soins médicaux. En cinq ans, entre 5.000 et 13.000 personnes, pour la plupart des opposants au régime de Bachar al-Assad, des civils, ont été exécutés dans cette prison gouvernementale à 30 kilomètres au nord de Damas, selon un rapport d'Amnesty International.

Aujourd’hui [26 juin], c’est la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture. Malheureusement, les victimes de torture ne manquent pas en Syrie. Des dizaines de milliers d’entre nous ont été jetés dans les prisons d’Assad et torturés au-delà de ce que pouvaient supporter nos corps et nos esprits. Un grand nombre d’entre nous y sont morts. Ceux d’entre nous qui avons survécu allons passer le reste de nos vies à nous rappeler à quel point l’humanité est capable du mal.

Je n’avais que 15 ans lorsque j’ai été arrêté et soumis à des mois de torture psychologique et physique.

J’ai eu la chance de survivre. Parfois, je souhaitais mourir. Bien que je sois heureux d’être revenu à la vie, je suis également saisi de tristesse et de souffrance parce que je sais que plus de 200’000 prisonniers se trouvent encore là-bas. Ma liberté reste incomplète tant que mes frères et sœurs syriens souffrent derrière ces hauts murs. Je suis otage de ma mémoire.

Alep est mon domicile. J’ai été contraint de quitter la ville en 2013 pour tenter d’échapper aux barils de bombe et au siège de la ville par Assad et ses alliés. Ma mère, mes frères et sœurs et moi-même avons fui vers le Liban. A l’âge de 14 ans, j’ai dû quitter l’école et commencer à travailler pour tenter de soutenir ma famille. Fin 2014, nous avons été contraints de rentrer en Syrie car nous ne pouvions nous assurer un logement au Liban et obtenir des permis de travail.

Sur le chemin du retour, j’ai été arrêté par des agents de l’une des branches de la sécurité politique à Damas. Ils m’ont accusé d’avoir participé aux manifestations pacifiques au début de la révolution populaire syrienne contre Assad.

Ce régime est connu pour son oppression, sa tyrannie et sa corruption. Mais c’est aussi un régime contre l’humanité. C’est un régime qui peut arrêter un enfant de 15 ans, le soumettre à des mois de torture, d’épuisement extrême et de trauma psychologique. Mon histoire est loin d’être unique en Syrie.

Lors de mon arrestation, j’ai été conduit au siège de la branche de la sécurité près de Damas, où j’ai été torturé lors de séances d’interrogation pendant 58 jours d’affilée. Après 58 jours de ce traitement, je n’avais d’autre choix que de signer de faux aveux rédigés par l’interrogateur lui-même. J’ai ajouté mon nom à des crimes que je n’avais jamais commis et des aveux au sujet de personnes que je n’avais jamais rencontrées. J’ai même été contraint de signer un document qui accusait mon frère d’être un rebelle armé.

J’ai été détenu dans cette division de l’appareil de sécurité pendant quatre mois et demi avant d’être déplacé vers l’administration de la sécurité politique dans le quartier de Fayha à Damas. J’y ai été torturé de multiples façons. Les parties sensibles de mon corps ont été électrocutées; j’ai été suspendu au plafond; les méthodes brutales de torture comprenaient aussi le «wind carpet» (attaché, le torturé est plié jusqu’à la limite de briser la colonne vertébrale et les côtes), la «roue» et «le lit». Cela, pendant trois mois supplémentaires. [Des recensions terrifiantes de ces diverses méthodes de tortures sont établies par diverses ONG et indiquent aussi leur extension planétaire, ce qui est symptomatique de «l’état du monde réellement existant».]

Prison de Saidnaya

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J’ai alors été transféré à la prison de Saidnaya. La tombe des vivants. L’abattoir humain. Deux termes qui décrivent Saidnaya [un «centre d’extermination» du régime syrien comme le qualifie Amnesty International]. J’y ai passé un mois. Les matinées y commencent par la mort. Avant le lever du soleil, les gardiens hurlent de haine et de dédain pour nous réveiller. Nous sommes arrachés des rêves dans lesquels nous tentions de trouver un doux refuge. «Vous autres, bâtards de la cellule, qui a un cadavre?» criaient-ils. Nous amenions alors les cadavres de nos frères qui avaient quitté cet enfer sur terre.

Nous survivions en nous nourrissant pour tout repas de rebuts de nourriture. Nous étions si affamés que nos corps ne ressemblaient plus à quelque chose d’humain. Nous étions fouettés, battus, affamés et électrocutés. Nous voyions des gens se faire pendre en masse. Il y a des récits de prisonniers contraints de se violer ou de gardiens violant des prisonniers. Il y a des récits de gardiens forçant des prisonniers à tuer leurs propres amis et des membres de leur famille ou d’être torturés et exécutés. Saidnaya est un enfer sur terre.

Nous attendions chaque jour notre punition. On ne sait rien et ne sait pas si l’on va être torturé ou tué. Saidnaya n’est pas un lieu où l’on est emmené pour être torturé dans le but de tirer des informations. Saidnaya c’est là où l’on va pour mourir.

Après un mois de cet enfer vivant, j’ai été transféré à l’hôpital militaire de Tishreen. Ne vous méprenez pas quant à l’utilisation du terme «hôpital». Il ne s’agissait pas d’un lieu où l’on recevait des soins. Il y a une raison qui explique pourquoi les détenus de Saidnaya ne demandent pas à voir un médecin ou refusent de répondre lorsque des infirmières demandent qui est blessé.

Alors que j’ai été physiquement torturé pendant mes mois de détention, la torture psychologique à l’hôpital militaire était incomparable. Je me trouvais là-bas depuis seulement deux jours, mais cela a suffi pour assister à ce qu’il y a de pire dans l’humanité. Je n’ai pas été alimenté pendant deux jours. J’ai été placé dans une minuscule pièce de trois mètres sur trois où les cadavres étaient empilés les uns sur les autres; l’un d’eux pourrissait. Il y avait deux patients atteints de la tuberculose dans ma «chambre». Nous devions transporter les cadavres.

J’ai assisté à de nombreuses exécutions. Un gardien pressait son pied sur la nuque d’un détenu jusqu’à ce qu’il décède d’asphyxie. Un autre a reçu une «injection d’air» de poison. L’odeur de la mort nous entourait.

Je suis ensuite retourné à Saidnaya, où je suis resté un dernier, et violent, mois. Un jour j’ai été battu si fort que je me suis évanoui – tout cela parce qu’il s’est trouvé que je suis né dans une rue sous contrôle de l’opposition.

En octobre 2015, après 10 mois de détention, j’ai obtenu ma liberté. Mon esprit ne sera toutefois jamais libre. Je suis libre, mais je suis l’otage des pleurs de mes compagnons de détention, des gémissements provoqués par leurs blessures, de leurs cris sous la torture, de leurs prières secrètes, de leurs corps émaciés et de leur mort lorsqu’ils ne pouvaient plus supporter la vie.

Mon histoire est semblable à des centaines de milliers d’autres, mais je vous demande d’aller au-delà des chiffres et de réfléchir: qu’en serait-il si cela vous arrivait? Ou à votre frère, votre sœur, votre père, votre mère, votre enfant ou votre ami? Supporteriez-vous que l’homme responsable de cela reste au gouvernement?

J’ai quitté les prisons et quitté les frontières de la Syrie, mais je n’ai pas d’avenir. Je n’ai pas de signes d’espoir. Assad a ruiné la vie et les conditions d’existences de centaines de milliers de personnes. Si nos enfants et les enfants de nos enfants ont un espoir quelconque, Assad ne peut rester en place. Tant qu’il sera au pouvoir, ses forces continueront d’écraser l’esprit de quiconque osera désirer la liberté.

(Texte publié le 26 juin par le quotidien britannique The Guardian; traduction A l’Encontre)