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42 mots en page 3 : comment les journaux égyptiens ont annoncé la mort en plein tribunal de Mohamed Morsi

Si les quotidiens égyptiens sont votre seule source d'information, à supposer que vous lisiez le journal très attentivement, vous vous êtes peut-être réveillé en découvrant qu'un citoyen du nom de Mohamed Morsi al-Ayat est mort hier lors d'une audience au tribunal pour espionnage. En réalité, cet homme de 67 ans, apparemment anodin, a été le premier président civil démocratiquement élu d'Égypte. Membre éminent des Frères musulmans, il a été élu en juin 2012 et évincé un an plus tard par l'armée, qui a déclenché une répression impitoyable contre ceux qui défendaient le président élu. La démocratie aura été de courte durée en Égypte. Au grand soulagement des média du monde libre, qui ont applaudi le coup d’état du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, le nouveau dictateur qui allait sauver les Égyptiens des conséquences malheureuses de leur vote pour des islamistes. Tant pis pour la démocratie. Ils n’avaient qu’à mieux voter. Là, l’armée pouvait tirer à bout portant sur les manifestants qui tentaient de défendre leur président - c’était pour leur bien. Nous nous souvenons d’avoir vu des scènes horribles. Nous ne nous souvenons pas qu’elles aient choqué les chaînes d’information.
L’Autre Quotidien
 

En réalité, cet homme de 67 ans, apparemment anodin, a été le premier président civil démocratiquement élu d'Égypte. Membre éminent des Frères musulmans, il a été élu en juin 2012 et évincé un an plus tard par l'armée à la suite de manifestations populaires.

Cette information n'était pas pertinente pour les éditions du 18 juin des journaux égyptiens, qui ont ostensiblement abandonné toute référence à la présidence de Morsi. L'homogénéité était encore plus marquée : la majorité des journaux ont publié le même article de 42 mots pour annoncer le décès de l'ancien président.

Cet article de 42 mots a été envoyé aux rédacteurs en chef par une entité gouvernementale sur l'application de messagerie WhatsApp, une pratique de plus en plus utilisée par les autorités pour dicter la couverture médiatique, selon une source travaillant dans un des journaux. La source ajoute qu'elle a reçu l'instruction de placer le bref récit de la mort de Morsi en pages intérieures plutôt qu’en première page.

Au cours d'une émission en direct sur une chaîne de télévision appartenant au General Intelligence Service (Service général de renseignement), une présentatrice - lisant sur le téléprompteur - a terminé son laïus sur la mort de Morsi en disant "Envoyé d'un appareil Samsung", dans une gaffe qui semble indiquer que les chaînes de télévision ont également reçu des messages écrits pour leurs compte-rendus.

Alors que les journaux ont été informés du décès de Morsi environ 10 minutes après qu'il a été déclaré mort à son arrivée à l'hôpital, où il a été transporté après être tombé inconscient lors d'une audience, la plupart des journaux ont attendu les instructions officielles sur la façon de couvrir l'événement, selon la source.

Les instructions ont été suivies par les trois journaux publics : L'article de 42 mots a été publié en troisième page d'Al-Akhbar et d'Al-Gomhoreya et en quatrième page de la section "faits divers" de la première édition d'Al-Ahram. L'histoire a été déplacée au centre de la page dans la mise en page de la deuxième édition d'Al-Ahram, lorsque les déclarations du parquet général ont été ajoutées.

Les journaux privés ont également suivi les instructions. Youm7, Al-Dostour et Al-Shorouk ont publié le message Whatsapp sur leur troisième page. Al-Watan a également publié l'article à la troisième page, en s'appuyant sur la déclaration du bureau du procureur général.

La seule exception à la mise en page uniforme du compte-rendu est venue d'Al-Masry Al-Youm, qui a publié la nouvelle en première page et mentionné la qualité d’ancien président de Morsi.

L'intérêt de l'Etat à contrôler le récit de la mort de Morsi a été mis en évidence dans un communiqué de presse retentissant publié par le Service d'information de l'État dans les premières heures du mardi matin. 

Les quatre communiqués du Service d'Information de l'État, traduit officiellement par "L'Organe Général de L'Information" (sic) sur la mort de Morsi

L'organe chargé de "réglementer" la couverture médiatique étrangère a pris ombrage d'un tweet publié par Sarah Leah Whitson, directrice de Human Rights Watch pour le Moyen-Orient, dans lequel elle établit un lien entre la mort de Morsi et le fait que l'État "ne lui a pas permis de bénéficier de soins médicaux adéquats et encore moins de visites familiales".

Le SIS, dirigé par Diaa Rashwan, responsable du Syndicat des journalistes, a publié une déclaration selon laquelle Mme Whitson est tombée dans une "nouvelle bassesse éthique" et que ses allégations de négligence médicale n'étaient "que des mensonges sans fondement". La déclaration faisait référence à un rapport officiel publié en 2017 selon lequel Morsi " était en bonne santé et ne souffrait que de diabète ", malgré les nombreux témoignages d'organisations de défense des droits qui documentent que la santé de l'ancien président s'était détériorée suite à une négligence médicale en détention.

Mohamed Morsi à son procès

Morsi est décédé hier au tribunal pendant son nouveau procès dans une affaire d'espionnage. Après s'être adressé à la cour pendant plusieurs minutes, Morsi est tombé inconscient aux côtés d'autres accusés dans leur cage. Il a été immédiatement transporté à l'hôpital, où les médecins l'ont déclaré mort à son arrivée.

Selon Abdel Moneim Abdel Maqsoud, l'un des avocats de la défense de Morsi qui s'est entretenu avec Mada Masr par téléphone, Morsi a demandé au tribunal de lui permettre de rencontrer son représentant dans son dernier discours, arguant que son avocat commis d’office n'avait pas les informations nécessaires pour le défendre correctement. Interdit de consultation juridique, l'ancien président s'est comparé à un aveugle qui ne savait rien de ce qui se passait dans son procès ou dans les médias.

Morsi a été enterré mardi matin dans un cimetière du quartier de Nasr City au Caire, où reposent également d'éminents islamistes. Selon Abdel Maqsoud, tous les membres de la famille immédiate de Morsi étaient présents à l'enterrement. Ahmed Morsi, le fils de l'ancien président, a informé sur sa page Facebook que les autorités avaient empêché sa famille d'enterrer Morsi dans leur cimetière familial dans le gouvernorat de Sharqiya.

Mada Masr مدى مصر , le 19 juin 2019
Traduit par  Fausto Giudice
Mada Masr est un site égyptien d'informations animé par des jeunes journalistes indépendants, lancé le 30 juin 2013.

Merci à Tlaxcala
Source:https://bit.ly/2L1N0Jd
Date de parution de l'article original: 18/06/2019
URL de cette page:http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=26303