L'AUTRE QUOTIDIEN

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Pour un printemps de la psychiatrie : quelle hospitalité pour la folie ?

La manifestation du 22 janvier à Paris, à l’appel de collectifs de soignants et d’associations de patients en psychiatrie. Les fameux Shadoks du personnel de l’hôpital Pinel d’Amiens (7 mois de lutte pour obtenir 30 créations de postes sur les 65 demandés, c’est dire comme le combat est dur pour obtenir des budgets pour la psychiatrie, avec de terribles conséquences sur les soignés et les soignants) étaient présents en force.

“Nous voulons en finir avec l’augmentation continuelle du recours à l’isolement et à la contention. la contrainte doit cesser d’être la norme.”

Cela fait dix ans et c’est pire encore !

Un soir de décembre 2008, 39 professionnels de la psychiatrie se sont retrouvés en urgence après le discours sécuritaire tenu à l’hôpital d’Antony par le président de la République de l’époque. Psychiatres, psychologues, infirmières, travailleurs sociaux, éducateurs, exerçant dans le public, le libéral, l’associatif, aucun des participants de cette soirée ne pouvait imaginer qu’un collectif allait se créer et qu’il serait toujours en mouvement 10 ans plus tard.

Le collectif des 39 rédigea en réaction, un appel « Contre la Nuit Sécuritaire » qui eut un immense retentissement public en recueillant l’adhésion de près de 40.000 personnes, soignants, patients, et de très nombreux autres citoyens ; une manifestation de soutien inattendu pour cette question sociale et culturelle, l’accueil de la folie et des personnes malades. Notre mouvement a été également soutenu par un nombre important d’artistes, intellectuels et gens de culture.

Nous nous sommes mobilisés pour défendre une hospitalité « suffisamment bonne » pour la folie. Au cours de nombreux meetings et forums tout au long de ces années nous avons porté une analyse collective pour dénoncer les dérives normatives, sécuritaires et scientistes responsables de la dégradation inexorable des modalités d’accueil et de soin dans le sanitaire et le médico-social.

Notre mouvement a eu aussi le mérite de porter sur le devant de la scène l’insupportable banalisation des pratiques d’isolement et de contention qui se sont multipliées au cours des vingt dernières années. Désormais cette question, dont s’est saisie la Contrôleure Générale des Lieux de privation des libertés, mais aussi des associations de patients et de familles, ainsi que de nombreux médias n’est plus un tabou.

Nous avons dès le début de ce mouvement porté l’attention des pouvoirs et de l’opinion publique tant sur les moyens budgétaires et des effectifs soignants, que sur l’emprise de la gestion bureaucratique et comptable qui a perverti le fonctionnement des hôpitaux publics, sur les lacunes des formations des professionnels mais aussi et surtout sur la conception culturelle et sociétale de la folie et des maladies mentales.

Le Collectif des 39, initialement nommé « Contre la Nuit sécuritaire », s’est très vite renommé « Quelle hospitalité pour la Folie ? ».

Il s’est inscrit dans la continuité du mouvement créé en juin 2003 avec les États Généraux de la psychiatrie qui déjà avait alerté les pouvoirs publics sur la situation dramatique de la psychiatrie… sans qu’aucune des mesures d’urgence revendiquées alors ne soit prise en compte par le gouvernement de l’époque. La mobilisation à l’initiative du Collectif des 39 a été très forte pour lutter contre le projet de loi liberticide sur les soins sans consentement en ambulatoire. Malgré plusieurs manifestations devant l’Assemblée et le Sénat, et le débat déclenché dans les médias, le vote de cette loi le 5 juillet 2011 n’a pu être empêché, mais ce fut l’occasion de lutter contre la stigmatisation des patients de la psychiatrie, considérés comme incapables de consentir aux soins. C’est dans ce mouvement d’ailleurs que des patients et des familles ont participé et participent encore aujourd’hui à l’activité du Collectif, ce qui en fait un mouvement inédit associant professionnels, patients et familles.

Nos actions ont eu peu d’effets sur les politiques publiques dans un contexte néolibéral de rationalisation à court-terme des coûts et de la mise en œuvre de toutes les procédures et protocoles d’accréditation, elles n’ont pas enrayé les dérives contrôlitaires des Agences Régionales de Santé, et le contrôle normatif des pratiques d’une Haute Autorité de Santé soumise aux approches pseudo-scientifiques d’une médecine basée sur les preuves (EBM).

Elles ont néanmoins permis de déployer des espaces de pensée, de résistance, de soutien et de créativité lors des manifestations, des grands meetings à la Parole errante ou les Assises citoyennes de la psychiatrie et du médico-social de Villejuif. Ces événements ont été autant d’occasions de soutenir une hétérogénéité des pratiques tenant compte des avancées et des savoirs dans tous les champs (psychiatrique, psychopathologique, biologique, phénoménologique, philosophique, psychanalytique) insistant sur le fait que la psychiatrie dépasse le champ purement médical et s’appuie aussi sur les sciences humaines.

Les pouvoirs publics s’appuient eux sur un certain nombre de psychiatres, pour homogénéiser les pratiques : ceux-ci, prétendant que la folie est une maladie comme les autres, dans une vision simpliste, faisant fi des problématiques individuelles, mais aussi sociales et culturelles, avancent qu’il suffit de médicaments et de psychoéducation sur le modèle du diabète par exemple, pour traiter les pathologies mentales. Et dans une porosité avec les tenants des groupes pharmaceutiques et financiers, dans la logique de l’ouverture d’un marché de ces pathologies vers le monde sanitaire et médico-social. Une vision tellement réductrice dont la conséquence directe est que les formations s’appauvrissent des apports de la complexité humaine et de l’indispensable compétence d’initiative et de créativité dans la relation. Les professionnels sont de fait de plus en plus démunis face aux manifestations imprévisibles de la folie, ce qui entraîne alors les pratiques d’isolement et de contention généralisée pour faire taire les symptômes.

Nous avons alerté également sur la destruction en cours de la pédopsychiatrie et la mise en danger des enfants en souffrance, mais aussi au delà, sur la normalisation de l’Enfance et les dérives générées par les mises à mal de l’École, les désignations « d’handicapé » pour toute manifestation dérangeante des enfants (expansion des « diagnostics » de TDAH, troubles de l’attention, surinflation des autismes etc.)

L’Etat sourd et aveugle, ne voulant pas reconnaître la complexité des pathologies mentales, ne permet nullement la diversité des outils de soin. La sectorisation psychiatrique, souvent encensée dans les discours officiels, est en voie de déstructuration, complètement étranglée par les questions budgétaires et déformée par l’hospitalo-centrisme toujours hégémonique, alors qu’elle est à même d’assurer une prévention et une continuité des soins.

Si les gouvernements successifs ont de façon éhontée renvoyé la responsabilité des impasses et dérives actuelles aux professionnels « qui ne sauraient pas s’organiser et se moderniser », des mouvements de soignants de très nombreux hôpitaux psychiatriques dans toute la France se sont développés depuis plus d’un an, parfois ayant pris des formes dramatiques témoignant de l’insupportable des conditions d’accueil et de soins. Le Collectif des 39, “Quelle hospitalité pour la folie ?” continue son action, notamment aux côtés des multiples collectifs, syndicats et associations, et soutient toutes les mobilisations, et le “Printemps de la psychiatrie” qui s’annonce.

Collectif des 39