L'AUTRE QUOTIDIEN

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Pourquoi s'opposer à la loi relative à l’Orientation et la Réussite des étudiants (ORE) ?

La loi relative à l’Orientation et la Réussite des étudiants (ORE) dont Parcoursup est l’un des volets, loin de répondre à l’esprit qui lui donne son nom, apparaît comme une politique de gestion des flux qui désavantage les élèves des quartiers populaires, et en particulier celles et ceux issus de l’immigration post-coloniale.

Entre les murs, de Laurent Cantet (2008)

Les études sociologiques montrent que l’école n’offre pas les mêmes chances à tou·te·s les élèves accueillis en son sein. Car sa mission n’est pas seulement de transmettre des connaissances mais de préparer les travailleurs de demain. Or pour répondre aux besoins de notre société capitaliste, l’institution scolaire accomplit la mission de sélectionner et d’orienter les étudiant·e·s en fonction de critères de classe, de genre et de race. Le traitement différencié des élèves débute très tôt mais dans un pays où 80% d’une classe d’âge est titulaire d’un baccalauréat, la question de la formation supérieure s’avère centrale. La loi relative à l’Orientation et la Réussite des étudiants (ORE) dont Parcoursup est l’un des volets, loin de répondre à l’esprit qui lui donne son nom, apparaît comme une politique de gestion des flux qui désavantage les élèves des quartiers populaires et principalement celles et ceux issus de l’immigration post-coloniale.

Une école qui oriente en fonction des catégories sociales de chacun·e

En contradiction avec les valeurs qu’elle prône, l’école française ne réserve pas le même sort à tou·te·s les élèves. Dès leurs premiers pas dans l’institution scolaire, le processus d’orientation s’enclenche. Le système d’évaluation des connaissances et du comportement – que ce soit par le biais de couleurs, de notes, des mentions ou des admonestations – va servir à classer et à hiérarchiser les élèves. Cette classification s’appuie sur des paramètres de classe, de genre et de race. La sectorisation et la ségrégation scolaire séparent tout d’abord les élèves des classes supérieures de ceux des secteurs populaires. D’autre part, l’école utilise et renforce les stéréotypes de genre. Les filles sont globalement perçues comme étant plus studieuses et aptes aux études. Cela découle notamment de leur incorporation d’un habitus sexué de soumission et de docilité. Or, cette attitude répond mieux aux attentes de l’école. En conséquence, les filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires : elles redoublent beaucoup moins que les garçons et elles sont plus nombreuses à obtenir le baccalauréat (85,7% contre 71,8%) (1). En revanche, les garçons sont davantage associés à l’agitation et à une moindre rigueur. Mais en même temps, ils se voient encouragés à occuper plus d’espace, à prendre la parole et à maîtriser les matières scientifiques. Les stéréotypes raciaux interviennent également dans le classement des élèves. Ainsi, les garçons des classes populaires et issues de l’immigration post-coloniale sont plus souvent qualifiés d’élèves perturbateurs et faibles scolairement. A contrario, il existe une tolérance de l’institution scolaire pour les filles des milieux populaires et issues de l’immigration post-coloniale. Le personnel enseignant et d’encadrement considère accomplir sa mission de service public auprès d’elle, à savoir celle de « sauver » des jeunes opprimées par leur culture et leur milieu.

Il en résulte une organisation des filières bien distincte et hiérarchisée. Un premier groupe – 40% des sortant·e·s de troisième – est orienté vers la voie professionnelle (CAP, BEP, Bac Pro) (2). On y trouve les élèves provenant des classes populaires et tout particulièrement les garçons issus de l’immigration post-coloniale. En haut de la pyramide, se situent les élèves venant de familles aisées qui intègrent les filières générales et spécialement les séries les plus cotées (scientifiques). Ces élèves se réservent les meilleurs lycées, mieux dotés en termes matériels et de personnel enseignant. Dans ce groupe, les garçons sont mieux représentés que les filles en dépit d’un parcours éducatif moins brillant. Entre les deux, on trouve un ensemble d’élèves aux origines et aux parcours diversifiés. Parmi eux figurent les filles issues des quartiers populaires qui ont réussi à se frayer un chemin grâce à leurs efforts et à l’investissement de leurs familles.

En somme, l’école, dans sa configuration actuelle, prépare les élèves aux fonctions que leur assigne notre société en fonction de leurs origines sociales, sexuelles et ethniques. Comme le notaient Bourdieu et Passeron depuis 1970, elle prépare une élite d’héritier·e·s auxquel·le·s, elle destine les meilleures places dans l’enseignement qui leur permettent ensuite d’occuper une situation privilégiée dans le monde professionnel. En revanche, elle limite les possibilités des élèves les plus pauvres, en particulier celles des enfants issus de l’immigration post-coloniale. Et toutes les réformes concernant l’université depuis les années 1960, n’ont finalement pour objet que de maintenir cet état de fait.

Sélection ne rime pas avec élitisme

La sociologue Sophie Orange montre dans ces études que la fragmentation du corps des étudiant·e·s se maintient dans le premier cycle universitaire. Elle distingue ainsi trois pôles (3) :

  • Le pôle des voies dites d’excellence : Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (CPGE), Écoles de management, Écoles d’ingénieur, Médecine, Écoles d’Art ;

  • Celui des licences universitaires telles que le droit, les sciences politiques, les sciences économiques ou les langues ;

  • Le troisième pôle est constitué quant à lui par les Instituts Universitaires Technologiques (IUT), les sections de techniciens supérieurs (STS), les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI), les lettres et les arts.

Elle observe que dans ce tableau le discours étatique se focalise sur le pôle central, constitué par les filières universitaires. Ce discours présente le même diagnostic et les mêmes solutions depuis la massification du système universitaire français des années 1960. En premier lieu, pour répondre à l’échec massif, il propose une secondarisation des premières années d’université. À la faiblesse des taux d’insertion professionnelle des diplômé·e·s, il oppose la professionnalisation des filières. Le dernier trope est l’idée que l’université serait la voiture balai de l’enseignement supérieur. Pour pallier ce problème, le discours public met en avant des mesures accusant la sélection. En d’autres termes, la loi ORE s’inscrit dans la continuité des politiques menées par le Ministère de l’Enseignement Supérieur depuis plus d’un demi-siècle. Dès lors, on peut se demander quelle est la raison de cette focalisation sur l’un des pôles du système – l’université – au lieu de s’attaquer à toute cette organisation hiérarchique.

Les enjeux de la focalisation sur l’université

Parcoursup constitue ainsi l’un des trois volets de l’action publique qui cherche à reconfigurer la sélection à l’entrée à l’université. Son établissement est justifié par l’idée que l’université reçoit des flots d’étudiant·e·s qui n’ont pas choisi de s’y inscrire et qui ont fait un choix par défaut. Le système se donne pour but de mieux les orienter pour éviter l’échec et la défection en première année. Or, la sélection ne rime ni avec élitisme ni avec réussite comme on le voit dans les autres pôles de l’enseignement supérieur. Ainsi, les sections de techniciens supérieurs sont des filières sélectives. Elles ne constituent pas pour autant un premier choix pour les élèves qui les demandent. Elles connaissent enfin un fort taux d’échec au cours de la formation. La sélection ne constitue donc pas forcément un gage de réussite.

Marie-Paule Couto et Fanny Bureja-Bloch proposent des éclairages concernant les objectifs de la mise en place du dispositif Parcoursup notamment en termes de genre (4). Celui-ci s’attaque aux filières qui accueillent depuis des décennies des étudiant·e·s qui voient dans l’université une possibilité d’acquérir un diplôme relativement valorisé et offrant des perspectives professionnelles moins fermées que celles des filières professionnalisantes. C’est notamment le cas pour les filles de classes populaires et issues de l’immigration post-coloniale. Or, Parcoursup, en restreignant le nombre de vœux à faire, renforce l’autocensure des candidat·e·s. Par conséquent, le dispositif va léser principalement les filles qui ont tendance à s’autocensurer beaucoup plus que les garçons. À cela s’ajoute l’amendement Grosperrin qui vient compléter la loi ORE. Il stipule qu’« une formation dont les taux de réussite et d'insertion professionnelle sont faibles ou en diminution devra connaître une réduction de ses capacités d'accueil (5) ». Il se trouve qu’une importante proportion de filles de classes populaires s’inscrit dans des filières où il y a une plus faible insertion professionnelle, notamment en sciences humaines, lettres, langues ou arts. La loi ORE prévoit de réduire précisément les places dans ces disciplines et touchera donc prioritairement ce public.

Pourquoi vouloir détourner les filles des classes populaires des universités ? Couto et Bureja-Bloch fournissent un élément de réponse à prendre en considération. Elles notent que les filles issues des classes populaires ont de meilleurs résultats que les étudiant·e·s provenant des classes supérieures. Ainsi, selon l’enquête POF 2017-2018, 72% des étudiantes boursières ont validé leurs examens lors de la première session contre 66% des étudiant·e·s non boursiers. Par conséquent, le renforcement de la sélection à l’université ne vise ni à une meilleure réussite ni à une meilleure insertion professionnelle des étudiant·e·s des classes les plus démunies, mais à maintenir un cadre éducatif très hiérarchisé et qui assigne à ces dernier·e·s les places les moins attractives et moins valorisées dans notre société. La politique qui guide Parcoursup tend de ce fait à réduire les perspectives et possibilités économiques et sociales de nos enfants.

Que faire ?

– La loi ORE renforce les inégalités et la concurrence entre les élèves, les filières et les universités. Tout ceci dans le but de gérer les flux d’étudiant·e·s qu’on souhaiterait voir dans des filières et des emplois précaires, indispensables au fonctionnement du système économique actuel. C’est ce système inégalitaire qu’il faut renverser. Pour y parvenir, il faut s'organiser collectivement et politiquement.

– Pour une école publique, gratuite, égalitaire qui respecte la dignité et notre aspiration au bonheur de nos enfants.

Le Front de Mères
Le front de mères rassemble parents, enseignants et militants. Il vise à devenir un syndicat représentatif des parents d'élèves des quartiers populaires.

Notes

(1) Philippe Meirieu, « Les filles sont meilleures à l’école, mais c’est parce qu’elles travaillent !»

(2) Fabienne Maillard, « La disgrâce d’un diplôme professionnel français : le brevet d’études professionnelles », Cahiers de la Recherche sur l’Éducation et les savoirs, Hors-série n° 4, 2013, 71-90.

(3) Sophie Orange, conférence « Comprendre la sélection »

(4) Marie-Paule Couto et Fanny Bureja-Bloch, "Le Parcoursup des filles, classe et genre à l'université", La vie des idées, 1er juin 2018

(5)  Projet de loi, 19 janvier 2018

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