L'Italie après le 4 mars et le "risque racisme"

Même s'ils étaient largement prévisibles, les résultats des récentes élections et la perspective d'un exécutif, même s’il ne sera que de circonstance, entre le Mouvement 5 Étoiles (M5S)  et une coalition de droite dans laquelle la Ligue fait office de patron, sont plus qu’inquiétants, au moins pour  celles et ceux qui ont à  cœur les droits des personnes immigrées et réfugiées, et redoutent la montée du racisme, de toute façon déjà répandu.

Aujourd'hui, plus d’un commentateur reconnaît qu’en se nationalisant, la Ligue de Salvini, a pour ainsi dire accentué son coté raciste. En réalité, dès le début, celui-ci a fait partie intrinsèque de l'identité politique de la Ligue. Il suffit de lire Svastica verde (2011), le livre bien documenté et plus que jamais actuel de  Walter Peruzzi et Gianluca Paciucci (avec une postface de l'auteure de ces lignes), pour se rendre compte à quel point la Ligue a pêché dans les répertoires les plus classique du racisme, y compris national-socialiste.

Les M5S, de son côté, n'est pas du tout étranger aux orientations droitières et racistoïdes, comme depuis plus d'une décennie, depuis l'époque des « Amis de Beppe Grillo », je continue à le documenter et à l’analyser, au risque de me répéter. Je ne mentionne que quelques "perles" parmi tant d'autres. En janvier 2013, Grillo, ouvrant les bras à CasaPound,  déclare que l'antifascisme "n'est pas de mon ressort". Le 22 avril 2015, au nom de l'ensemble du M5S, il réclame l'expulsion sommaire de tous les «immigrants arrivés illégalement sur le sol italien». Le 17 juin suivant, il demande pour Rome «des élections dès que possible, avant que la ville ne soit submergée par les rats, les ordures et les clandestins».

De telles éructations (la seconde non seulement raciste, mais à la lumière de la situation actuelle un paradoxe) ne sont pas exclusifs du richissime comique en chef mais sont aussi le fait du chef politique actuel lui-même: l'ineffable Luigi Di Maio, capable de dépasser Grillo, sinon pécuniarement, certainement pour l'ignorance grossière. Il suffit de mentionner  quelques-unes de ses déclarations les plus récentes: de la définition des ONG engagées en Méditerranée comme des «taxis de la mer», qui transporteraient des «criminels», jusqu'à «l'Italie a importé de Roumanie 40% de leurs criminels», posté sur Facebook le 10 avril 2017. Il était là parfaitement dans la ligne de son maître, qui, en 2007, parlait des Rroms roumains présents en Italie comme d’une "bombe à retardement" à désamorcer, en empêchant leur  libre circulation dans l'UE, pour contrer la violation des «frontières sacrées de la patrie».

Il ne s'agit pas seulement d'excès verbaux: chaque fois qu'il y a eu une proposition législative en faveur des droits des immigrés, les dirigeants suprêmes du 5-Étoiles ont tout fait pour l’enterrer. Même si, le 9 octobre 2013, ce furent deux de leurs parlementaires, Maurizio Buccarella et Andrea Cioffi, qui ont proposé à la commission Justice du Sénat  un amendement (finalement approuvé) pour l'abrogation du délit d'immigration clandestine. Plus récemment, dans une interview au quotidien  Libero du 18 juin 2017, Di Maio a rejeté « le projet de loi, pourtant très modéré dit du   ius soli –droit du sol) avec des arguments empruntés au  vocabulaire de style liguiste : de « assez d’angélisme » au tout aussi typique" pensons d'abord aux familles italiennes ".

Bien que le M5S essaie aujourd'hui de se présenter comme un parti centriste auquel les institutions et les pouvoirs financiers et économiques peuvent se fier, ses veinures racistes, nous le craignons, n’en seront pas pour autant atténuées. D'un autre côté, le racisme institutionnel pratiqué par le gouvernement Gentiloni, notamment par son ministre de l'Intérieur, n'a fait que légitimer de manière implicite les tendances racistes «spontanées» ou organisées. Que l’on pense  à la loi Minniti Orlando  du 12 avril 2017 ( «Mesures d'urgence pour l'accélération des procédures relatives à la protection internationale et la lutte contre l'immigration clandestine ») et la loi Minniti du 18 avril de la même année ( « Dispositions urgentes relatives à la sécurité des villes ").

Sans parler de la délégitimation  des ONG de la part du gouvernement, des  accords avec les gangs criminels libyens et, last but not least, l'opération militaire au Niger, « Désert rouge », visant à endiguer l'afflux de réfugiés du sud vers les côtes libyennes, mais aussi, en réalité, à entrer en compétition avec le néocolonialisme français. Cette opération, officiellement annoncée en décembre 2017, mais divulguée dès le mois de mai de la même année, avait été approuvée implicitement par Di Maio, dans l'interview déjà citée avec Libero  du 18 juin 2017.

Bref, l’aire raciste (voire fasciste) sort considérablement renforcée, en tout cas légitimée, par les résultats électoraux. En fait, la tentative de massacre de Macerata et le meurtre d'Idi Diene à Florence sont déjà des indices alarmants de l’air pestilentiel ambiant. D'autant plus que, dans une ville qui passe pour être  ultra-civilisée, le meurtre de Diène est le troisième cas d'homicide raciste-fasciste en sept ans, après celui, en 2011, de Samb Modou et Diop Mor. Il semble que l’on assiste à une sorte de pogrome par étapes, qui cible les Sénégalais, à Florence, et les « noirs », plus généralement, comme dans le cas de Macerata.

Tout cela a in contenu qui renvoie  à la structure de l'antisémitisme. Cette déclaration ne me semble pas hyperbolique : déjà en 1991 Etienne Balibar soutenait que « le néoracisme peut être considéré, d'un point de vue formel, comme un antisémitisme généralisé. » Cela se reflète dans l'une des analogies avec l'antisémitisme: les trois cas de Florence, surtout, montrent que pour être acceptés, il ne suffit pas d'être « intégrés » (comme on dit, entendant par là, en fait, « assimilés »). À Florence, la communauté d'origine sénégalaise est parmi les plus organisées, les plus enracinées, les plus actives et conscientes politiquement. Tant et si bien qu'elle a donné des dirigeants politiques comme Pape Diaw, , conseiller municipal de centre gauche  pendant cinq ans, puis candidat au Sénat. Donc, on peut se demander si ce n'est pas pour cela que, dans cette ville les Sénégalais sont la cible de la violence raciste-fasciste.

Pour revenir au sujet principal et à la question des tendances racistes « spontanées »: le triomphe des 5-Étoiles et l'excellent résultat électoral  de la Ligue sont aussi (mais pas seulement) le fruit de ce qui, à la suite de Hans Magnus Enzensberger, peut être défini comme la socialisation de la rancoeur. Alimenté par le sentiment d'incertitude et de frustration, d'impuissance et de perte face aux changements dans la société et en particulier à la crise économique, ainsi que sociale et identitaire, ce sentiment se retourne contre les boucs émissaires les plus faciles : les migrants et réfugiés, sans parler des Roms, Sinti et gens du voyage.

Les derniers résultats électoraux montrent qu’il s’agit d’un processus à long terme, et non de manifestations éphémères de ce qu'on appelle improprement « guerre entre les pauvres ». ÀGorino, le village des barricades contre les demandeurs d'asile, la Ligue recueille 43% des voix et la candidate de la coalition de droite 68%. À Macerata, si le M5S obtient 31,8%, la coalition de droite atteint 37,9% et, en son sein, le parti recueillent le plus de voix  est la Ligue.

Le premier facteur qui a favorisé ce processus, c’est la politique du Parti démocratique , mais aussi l’inaction de la gauche dite radicale qui a délaissé ce que l'on appelait autrefois « le travail de masse », avec pour conséquence l'abandon des banlieues, pas seulement en milieu urbain, à l’ hégémonie  des ligueurs ou au travail de CasaPound et de Forza Nuova. Ajoutons que la gauche politique - je ne parle pas des associations et mouvements - a été réticente à attribuer un rôle stratégique dans la lutte contre la discrimination, le racisme etla politiques migranticide de l'UE. Elle n'a pas non plus fait grand-chose pour surmonter un trait typique de la situation italienne: l'apartheid politique, à quelques exceptions près, des personnes d'origine immigrée; et, par conséquent, le fait que, par exemple, cela ne provoque pas de scandale ou ne fait pas honte que des assemblées nationales soient de façon homogène « blanches » et « autochtones ».

Si l’on considère la défaite électorale de l’entièreté de la gauche et de l’ex- gauche et la crise profonde de la démocratie représentative, il n'est pas trop hasardeux d'évoquer, comme le fait Roberto Esposito, les dernières années dramatiques de la République de Weimar. Bien sûr, comme il le souligne, les contextes internes et internationaux sont incomparables. Pourtant, il y a un trait commun: «l'effondrement de la politique, qui n'est plus capable d'arbitrer les conflits par la représentation de valeurs et d’intérêts collectifs».

Annamaria Rivera 
Traduit par  Fausto Giudice