L'AUTRE QUOTIDIEN

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Argenteuil : cette vidéo qui dénonce des violences policières à une échelle inédite

Dans les quartiers populaires, les brimades, humiliations, violences sont le quotidien d'une grande partie des jeunes hommes qui y vivent. Mais ce qui se passe depuis plusieurs mois à Argenteuil dépasse l'ordinaire. Nous publions donc cette vidéo du collectif "Argenteuil-Stop-Violence-Policières" et vous invitons à la regarder pour comprendre la violence et l'arbitraire auxquels font face une partie de nos concitoyens, qui ont le tort d'habiter des quartiers déshérités et d'être noirs ou arabes.

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"Vous allez assister à un ensemble de témoignages d'hommes et de femmes qui vivent à Argenteuil et qui, pour le dire sommairement, n'en peuvent plus des actions menées par une partie de cette police à leur encontre". C'est ainsi que commence la vidéo du collectif "Argenteuil-Stop-Violences-Policières" (ASVP), Luc Decaster et Omar Slaouti. Présentée par deux militants du collectif "Vérité et justice pour Ali Ziri", un retraité algérien décédé en 2009 après son arrestation à Argenteuil, la vidéo présente plusieurs témoignages symptomatiques des violences graves commises par les policiers dans cette ville du Val d'Oise. La plupart des victimes ont souhaité témoigner avec le visage flouté et leurs prénoms ont été changés. Elles craignent en effet des représailles, si ce n'est directement sur elles, du moins sur leurs proches. Certains ont porté plainte et subissent un harcèlement policier, d'autres n'ont pas osé faire la démarche car porter plainte contre un policier est compliqué, comme le rappelle l'un des animateurs du collectif ASVP. 

Les témoignages recueillis dans cette vidéo tournée il y a une semaine font froid dans le dos. Ils montrent que si un certain nombre de quartiers populaires sont bien des zones de non-droit, ce n'est pas au sens où la plupart des commentateurs l'entendent habituellement. Quel respect des droits des habitants quand un animateur scolaire pacifique de 18 ans, et qui en plus obtempère aux ordres arbitraires d'un policier, prend un projectile de lanceur de balles de défense (LBD) -qui a remplacé le flashball- dans le dos ? Quel droit à la sécurité lorsque un adolescent de 15 ans se voit intimer l'ordre d'essuyer de la main le crachat d'un policier par terre ? Quand un collégien de 14 ans est arrêté, placé arbitrairement en garde à vue et molesté par la police alors qu'il allait acheter des bonbons avec un ami ?

Les violences dont témoignent ces habitants d'Argenteuil sont d'une gravité absolue, par leur nature, leurs retentissements sur la vie de ceux qu'elles touchent mais aussi par leur nombre et leur caractère quasi systématique. Il y a ce père qui témoigne du tir de LBB dans les parties génitales qui a gravement blessé son fils aux testicules alors qu'il sortait de la Mosquée. Le père de Amine (c'est le prénom du jeune homme) est l'un des seuls à témoigner à visage découvert. Les policiers ont non seulement visé son fils au niveau du bas ventre, ce qui est interdit par le règlement d'usage de ces armes, mais ils l'ont aussi laissé sur place alors qu'il était blessé après l'avoir aspergé de gaz lacrymogène. Face à la caméra son père raconte le harcèlement policier que sa famille subit depuis qu'il a porté plainte à l'IGPN de Paris. Et ces images de vidéosurveillance qui disparaissent comme par hasard.

Il y a enfin le témoignage de Stanis. cet homme de quarante ans recueille systématiquement les preuves des exactions des policiers vis-à-vis des jeunes de la cité Champagne, l'un des quartiers d'Argenteuil où il a grandi. Il dénonce les contrôles abusifs, les violences mais aussi un autre stratagème des forces de l'ordre : les innombrables "procès-verbaux fourre-tout" dressés, sur des motifs fantaisistes (une remorque alors que le véhicule n'en possède pas, pour pneus lisses, absence de triangle) à l'encontre de jeunes hommes de la ville, dont il conserve soigneusement la trace. Les victimes de ces PV abusifs ne sont la plupart du temps même pas informées de ces actes établis contre elles. Elles le découvrent lorsqu'elles reçoivent l'amende majoré à leur domicile. Un record : l'un des jeunes conducteurs verbalisés s'est vu infliger à son insu une dizaine de pV en huit minutes ! Les faits rapportés par Stanis ont d'ailleurs fait l'objet d'un article de Mediapart publié le 10 décembre 2017, titré "A Argenteuil, des policiers musellent des habitants à coups de procès verbaux".

Stanis témoigne aussi des violences subies par son petit frère et ses amis. Le 30 octobre 2017, alors que son frère rentre chez lui, son frère reçoit une balle de LBD en plein visage, qui lui ont laissé des séquelles graves, malgré de nombreuses opérations. Les policiers l'ont accusé de réunion en vue de commettre des violences et l'ont placé en garde à vue. Objectif de ce harcèlement policier : obtenir les preuves des agissements policiers -des vidéos- pour les détruire ou du moins mieux préparer leur défense. Ce harcèlement se poursuit encore aujourd'hui, Stanis et ses parents sont régulièrement suivis ou intimidés par les policiers de la ville.

Un point commun entre toutes les violences graves subies par de jeunes Argentoliens, ils ont tous fait l'objet d'une plainte des policiers qui les ont agressés. Outrage, rébellion, violences : les policiers ne manquent pas d'imagination pour tenter de dissuader les victimes de leurs méfaits de porter plainte.

Cette vidéo du collectif ASVP -qui est aussi l'acronyme d'agent de surveillance de la voie publique- est l'boutissement d'un travail mené par le collectif Ali Ziri et un autre du Val Nord d'Argenteuil. Leurs membres, sensibilisés à la question des violences policière, ont rencontré des jeunes habitants de la cité Champagne et d'autres quartiers de la ville, afin de recueillir leurs témoignages concernant les actes arbitraires des policiers dont ils sont victimes. Un travail qui a mis en évidence une situation singulière dans cette ville du Val d'Oise. "Ce n'est pas simplement ce à quoi on assiste généralement dans de nombreux quartiers de banlieue" explique Omar Slaouti. "Ce sont des violences, pour certaines gravissimes, et des brimades à une échelle quasi généralisée", dénonce le militant antiraciste. Luc Decaster, militant de longue date qui a réalisé le film "Qui a tué Ali Ziri", que nous avions chroniqué dans l'Autre quotidien, explique que le climat qui règne à Argenteuil est proche de celui qui prévalait en France "au moment de la guerre d'Algérie".

Cette vidéo choc, le collectif souhaite qu'elle alerte au niveau national et qu'elle incite les personnes qui vivent ce même type d'exactions de la police dans d'autres villes à s'organiser eux aussi. Sur le plan local, il souhaite aussi que ce travail incite les jeunes d'Argenteuil à filmer systématiquement les violences policières dont ils sont témoins, qu'ils aillent en justice et témoignent afin de faire cesser ces opérations à l'encontre des jeunes noirs et arabes systématiquement ciblés par les forces de l'ordre. "il est légal de filmer la police", rappelle Omar Slaouti, qui évoque la nécessité d'un #BalanceTonFlic, à l'instar de ce qui s'est passé lors de la libération des paroles de victimes de violences sexuelles. 

ASVP compte publier d'autres témoignages de ces violences exacerbées à Argenteuil et met en relation les victimes avec des avocats spécialisés dans ce type de dossiers. Omar Slaouti, qui est l'un des fondateurs du comité Vérité et justice pour Ali Ziri souhaite dénoncer les multiples abus policiers du quotidien que vivent les habitants des quartiers populaires, notamment les jeunes. "Ils savent que ce qu'ils subissent n'est pas normal, insiste Omar Slaouti, mais ils n'ont aucune confiance en la justice et pensent que face à la parole d'un policier la leur ne vaut pas grand chose". Un sentiment de fatalisme que les militants d'ASVP sont décidés à combattre afin de faire émerger une contre-parole au discours des politiques et des policiers, pour que cesse un jour la "hogra" -terme algérien désignant le mépris et la discrimination- à l'égard des habitants des quartiers populaires et faire en sorte qu'ils soient enfin des citoyens comme les autres.

Véronique Valentino

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