L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Le BAL se met En Suspens 1/7

Grosse claque au BAL hier soir le 8/02/18 en découvrant les 14 propositions de Diane  Dufour pour son expo collective intitulée En Suspens qui convoque 14 artistes contemporains à témoigner d'un état de société - qu'on va vous détailler à raison de deux artistes par article au fil des jours à venir. 

Debi Cornwall, Welcome to Camp America : Inside Guantánamo Bay, série Beyond GitmoDebi cornwall / Steven Kasher Gallery, New York

«Ces hommes, détenus des années à Guantanamo sans procès ni jugement, ont été pour la plupart remis en liberté dans des pays dont ils ne sont pas originaires, dont ils ne parlent pas la langue, sans papier, sans famille, sans statut. Encore soumis à l’arbitraire du système, ils errent sans possibilité de reconstruire une vie. » Debi Cornwall

Debi Cornwall est à la fois avocate et photographe. A ce titre, elle a eu accès à Guantanamo et sa réflexion l'a portée sur l'après enfermement et ce que devenaient les détenus sans jugement pris dans la machine à encager américaine, qui se retrouvent deux fois exilés pur des raisons administratives. C'est clairement bluffant de se retrouver dans cette situation et à part un détenu français (aussi présent dans l'expo) qui a réussi à  rentrer chez  lui, peu ont obtenu assez d'appuis pour réaliser cet exploit…  
Plus sur son travail ici

En présentant 14 façons de voir la vie "En Suspens" le BAL y convoque :  Bas Jan Ader, DebiI Cornwall, Stéphane Degoutin & Gwenola Wagon, Luc Delahaye, Darek Fortas, Hiwa K., Aglaia Konrad, Jacques-Henry Michot, Rabih Mroué, Mélanie Pavy, Sebastian Stumpf, Paola Yacoub et  Henk Wildschut.

Ce qui est perdu, c'est l'intervalle qui aurait dû se former entre cet homme et ses semblables  Hannah Arendt

La baseline de l'expo parle haut et fort de ce qu'elle propose et nous va doit au cœur. La voici, une fois n'est pas coutume, in extenso : 

Cette exposition est une tentative poétique, abstraite et fragile, de traduire quelque chose de notre temps. Quelque chose d’indéfinissable, d’intangible mais que nous reconnaissons comme l’état d’un homme, de plusieurs ou de tous : être en suspens.

Ni transition vers un futur possible, ni étape intermédiaire, cet état est relatif au blocage ou à la répétition d’un même cycle à l’infini : ne plus savoir où se diriger, ne pas trouver sa place, avoir un statut indistinct, flou, précaire, répéter des gestes dénués de sens, de finalité, en sont autant de manifestations visibles.

Souvent assimilé à la paralysie ou à la sidération, le suspens force au contraire, à s’adapter constamment, sans trêve, une menace se précise, le temps paraît compté. Ce n’est pas une lutte pour s’affranchir de la temporalité mais une lutte pour s’y inscrire.

Insaisissable, protéiforme, le suspens est aussi ce contre quoi l’image vient buter. Comment en exprimer la matière, la réalité ? Comment représenter l’homme en suspens qui tend à disparaître dans une prolifération et une obsolescence immédiate des images, des discours, des lois, des technologies, indifférentes à son sort ?

Pour les artistes, le suspens n’est pas un « sujet ». Il opère là, quelque part, presque malgré eux. Et si leurs images frappent par une intensité brutale, concrète, immédiate, elles nous touchent aussi par leur simplicité, une forme de neutralité, de laconisme. Comme si le langage devait s’appauvrir pour se tenir au plus près du sens.

Est montré ici le suspens d’hommes relégués hors de l’histoire, hors du paysage, en situation de survie dans un no man’s land politique : des territoires désertés, des corps en arrêt, isolés ou happés, sans ancrage. L’espace s’est refermé. Les visages ont disparu, la connivence des regards aussi.

Constellation hétérogène de lieux et de problématiques, l’exposition tisse un large réseau de correspondances, suggérant un lieu commun du suspens. Quand prend fin le mythe d’une histoire linéaire du progrès, quand l’idée d’une communauté de destin fait défaut, le suspens se déploie à une autre échelle. Il en vient à désigner un état du monde.   Diane Dufour

Darek Fortas, Changing Room VI, 2012 Darek Fortas

Darek Fortas est un photographe polonais qui a fuit son pays à l'adolescence, pour y revenir adulte, voir comment s'était transformé la société communiste. Avec ses séries ‘Coal Story,’ ‘Changing Rooms’ et ‘At Source’, il a défini son identité artistique entre nostalgie et découverte d'un nouvel univers qu'il transcrit en termes de résolutions de conflits, avec la place des mineurs qui sont passé de simples résistants à enjeu international pour la démocratie. Son travail met en évidence les tensions et mixe souvent images d'archives associées à ses propres clichés. Se dire aujourd'hui que Changing Rooms témoigne à la  fois de la lutte des années 80 en Silésie et d'un futur écologiste fait simplement froid dans le dos. 
Plus sur son  travail ici  

Avec ces deux premiers témoignages d'un suspens annoncé, nous voyons les vices et les vertus d'une certaine attente historique, entre l'exil et le royaume… le clin d'œil à Camus est évident qui voyait ses nouvelles comme : le sentiment d'insatisfaction et d'échec du personnage central et sa difficulté à trouver « Le Royaume », c'est-à-dire un sens à sa vie et le bonheur en dépassant l'opposition apparente des contraires comme « solitaire/solidaire ». Etape un ou Bonjour chez vous ! 

Jean-Pierre Simard le 9/02/18

Expo collective En Suspens 1/7 (Cornwall/Fortas) -> 13/05/18
Le BAL 6, impasse de la Défense 75018  Paris

Djamel, Berber (Algeria 2015) Held: 11 years, 11 months, 18 days Cleared: October 9, 2008 & May 8, 2009 Released: December 14, 2013 Charges: never filed in U.S. Acquitted and exonerated at trial in Algeria.