L'AUTRE QUOTIDIEN

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Angela Merkel rattrapée sur son extrême droite

Sans surprise, les Allemands ont réélu Angela Merkel. Mais ce quatrième mandat de la chancelière est entaché par le score de l’extrême droite, qui fait son entrée en force au Bundestag. Une première depuis la seconde guerre mondiale.

Bjoern Hoecke, président de l'AFD en Thuringe, pendant un meeting.

A l’issue d’une campagne que tous les observateurs ont jugé ennuyeuse, l’extrême droite a récolté 13,6% des suffrages, ce qui lui permet de remporter 94 sièges sur 690 au Bundestag, la chambre basse du parlement allemand. L’Alternativ für Deutschland (Afd) est arrivée troisième du scrutin qui s’est déroulé dimanche dernier. Merkel va donc entamer un quatrième mandat qui s’annonce compliqué. Traditionnellement, dans le système allemand, le parti arrivé en tête s’allie à ceux qui sont arrivés en troisième position pour former une coalition. Une configuration politique inconcevable s’agissant de l’Afd, parti d’extrême droite qui a bâti son succès sur la haine des immigrés et de l’Islam, alors qu’elle est la troisième confession du pays, avec une forte communauté turque bien ancrée dans le paysage allemand depuis les années 1960.

Le tabou du nazisme enfoncé

Cette alliance est d’autant plus inconcevable que Alexander Gauland, le porte-parole de l’Afd a annoncé clairement que l’intention du parti était de « chasser Angela Merkel », à qui il reproche l’accueil de plus d’un million de réfugiés depuis 2015. De fait, la rhétorique de ce parti a de quoi inquiéter. « Si les Français ont le droit d'être fiers de leur Empereur (Napoléon) et les Britanniques de l’amiral Nelson et de Churchill, alors nous avons le droit d'être fiers des performances des soldats allemands durant la Deuxième Guerre Mondiale », a déclaré Alexander Gauland lors d'un meeting électoral de l'AfD, le 2 septembre dernier.

Une manifestation de l'extrême-droite allemande à Cologne

Des précurseurs à l’extrême droite

L’Afd n’est pas le premier parti xénophobe qui émerge en Allemagne. Les rassemblements du mouvement PEGIDA, à partir de 2014 avaient déjà suscité de nombreuses réactions en Allemagne. On se souvient aussi que Franz Schönhuber, ancien de la Waffen SS, avait fondé Les Républicains en 1983. Dissident de la CSU bavaroise, ce parti nationaliste, régulièrement affaibli par des dissensions internes, avait obtenu 7,1% des voix aux élections fédérales de 1989. Avant de décliner dès les années 1990. Les Républicains avaient fait leur entrée au parlement européen tout comme le Parti national-démocrate, créé en 1964 et ouvertement pro-nazi, qui a lui fait son entrée au parlement européen en 2014, mais avec un score plutôt faible. Les scores de ces deux partis s’effondrent au niveau local et national à partir de 2014, au profit de l’Afd.

Un parti issu des classes aisées de la société allemande

Ce qui inquiète une large part de l’opinion allemande, qui n’a pas tardé à manifester au lendemain des législatives, c’est que ce parti, créé en 2013 sur une ligne anti-euro, rassemble bien au-delà de l’extrême droite traditionnelle qui n’a jamais dépassé des scores modestes aux élections régionales ou nationales. Ce parti qui se prétend « anti-establishment » et qui avait raté de peu son entrée au Bundestag en 2013, a été fondé par d’anciens de la CDU de Merckel, comme Bernd Lücke, économiste de l’université de Hambourg, Konrad Adam, journaliste de la Franckfurter Allgemeine Zeitung, et d’autres personnalités de la CSU et de la FDP. L'Afd, qui se veut « ni de droite, ni de gauche », mais qui est clairement positionné très à droite de l’échiquier politique allemand est issu des classes aisées, mais a ratissé large aux élections, notamment dans l’ex-Allemagne de l’Est. Elle avait déjà récolté 7% des voix aux élections européennes et avait fait son entrée au parlement de plusieurs Länder, en Saxe, Thuringe et dans le Brandebourg.

Alice Weidel, l’avenir de l’Afd

A la tête du groupe Afd, au Bundestag, on trouve Alice Weidel. Cette ancienne analyste financière de Goldmann Sachs, qui admire Margaret Thatcher, n’a aucun état d’âme à soutenir la nouvelle ligne anti-immigration de l’Afd, qui s’est d’abord fait connaître, lors de sa fondation en 2013 pour ses positions anti-euro. C’est elle qui a mené la campagne de ces législatives aux côtés d’Alexander Gauland, déclarant que l’Islam est « incompatible avec l’Allemagne » et constitue une « menace » pour le pays. Lesbienne, elle s’oppose à une immigration musulmane homophobe, comme un Gerd Wilders aux Pays-Bas, avec qui l'Afd a plus d'un point commun. A 38 ans, elle est sans aucun doute l’avenir de ce parti et a réussi à mettre sur la touche Bernd Lücke et Fraucke Petry, dirigeants plus modérés. Elle laisse les provocations verbales à Alexander Gauland -contre un joueur noir de l’équipe de football allemande, contre un ministre germano-turc- et trace son sillon, tout en avertissant que légalement personne n’a le droit de désigner l’Afd comme un parti d’extrême droite...

Une coalition fragile

Les résultats de l’Afd ne vont pas faciliter les choses pour Angela Merkel, qui, avec 33% des voix, doit bâtir une nouvelle coalition de gouvernement. En 2013, elle s’était alliée aux sociaux-démocrates du SPD, pour une nouvelle grande coalition. Mais le SPD, qui a essuyé une lourde défaite avec seulement 20% des voix, envisage une cure d’opposition. Conduite par Martin Schultz, ex-président du parlement européen, le SPD a échoué à mettre au centre de la campagne législative la question sociale. En outre, ce parti, qui a porté les réformes de Gerhard Schröder, n’a jamais réussi à revenir au pouvoir après les réformes très libérales de l’agenda Hartz, du nom du DRH de Volkswagen qui les a inspirées. Quant au mouvement Die Linke, il paie les positions sécuritaires et anti-immigrés de sa tête de liste Sarah Wagenknecht, qui ont suscité de fortes oppositions internes. Du fait du score historiquement bas du SPD, Angela Merkel devra donc se tourner vers les libéraux de la FDP et les Verts pour construire une coalition de gouvernement. Arithmétiquement, c’est possible, mais politiquement risqué, car la FDP défend des positions très dures sur l’Europe, l’immigration et la sécurité, tandis que les Verts ne veulent pas entendre parler d’un « plafond » pour les demandeurs d’asile, soutiennent la création d’un budget européen et réclament de nouvelles fermetures de centrales nucléaires. Avec le succès de l’Afd, l’Allemagne entre dans une zone de turbulences certaines.

Véronique Valentino